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Roman

Chergui, Joëlle Pétillot (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mercredi, 12 Novembre 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Chergui, Joëlle Pétillot, Editions Fables Fertiles, novembre 2025, 112 pages, 15,20 euros

 

« Cette histoire est celle d’une cité ocre et blanche, posée en plein désert comme un bijou sur du sable ». Ainsi commence Chergui, le dernier livre de Joëlle Pétillot.

Sous la réverbération étourdissante de la lumière méridienne, une veuve, revenant du souk, s’effondre au milieu de la rue — non pas saisie par la mort, mais happée par un sommeil profond. Bientôt, un vieil homme, des enfants, puis une jeune fille promise à un mariage imminent, sont à leur tour gagnés par cette étrange léthargie. Sans logique apparente, le mal choisit ses proies : la cité se peuple alors « d’endormis » — corps animés d’une troublante absence-présence — et « d’éveillés », condamnés à l’impuissance, au silence, à la douleur de voir s’éloigner, sans comprendre pourquoi, ceux qu’ils aiment.

Les mois passent, les chagrins s’amoncellent, alourdis par l’incompréhension ; la peur s’installe. Pourtant le désert murmure qu’une présence s’annonce. Quelque chose ? Quelqu’un ?

Le Grand Rafraîchissement, Benoît Duteurtre (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 06 Novembre 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Le Grand Rafraîchissement, Benoît Duteurtre, Gallimard, 2024, 215 pages, 20 euros. Edition: Gallimard

 

On ne lira pas, hélas ! Le Grand Rafraîchissement de Benoît Duteurtre comme on lisait n’importe quel autre livre de Benoît Duteurtre, et pour une raison imparable : Benoît Duteurtre est mort en juillet 2024 ; il s’agit donc, sauf inédits posthumes, d’un ouvrage ultime, paru en janvier de la même année.

Il ne faut cependant pas exagérer cette circonstance et voir à toute force dans Le Grand Rafraîchissement, qui complète une œuvre déjà importante mais ne prétend pas la parachever, un exercice testamentaire. Benoît Duteurtre n’avait pas prévu de mourir si soudainement, à soixante-quatre ans, des suites d’un malaise cardiaque, alors qu’il séjournait avec son compagnon au Valtin, dans les montagnes vosgiennes, où il possédait une maison et où il a été inhumé. Il n’avait pas l’intention de nous transmettre une vérité définitive. Il ne s’adresse pas à nous d’outre-tombe.

Comme les amours, Javier Marías (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 05 Novembre 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Espagne, Folio (Gallimard)

Comme les amours, Javier Marías (Los enamoramientos, 2011), Traduit de l’espagnol par Anne-Marie Geninet, Folio 421 p. Edition: Folio (Gallimard)

Le temps est une affaire vertigineuse. Dans l’axe, seul le passé existe. Le futur est hasardeuse spéculation. Le présent une pure fiction. C’est la ligne continue qui traverse ce sombre roman, ce presque roman noir. La mort (violente en l’occurrence) fige une histoire dans le passé. L’histoire est alors saisissable, elle a un début et une fin, l’observateur sait ce qu’il en est de la narration du mort. C’est la position du lecteur de biographies : Baudelaire est né, il a vécu, il a souffert, il a aimé, il a écrit, il est mort. Baudelaire est lisible, il appartient au passé, du moins par sa vie, son œuvre, elle, continue par un miracle que seul le génie peut produire.

Luisa, l’épouse, et Maria la narratrice sont désormais en aval de Miguel, assassiné sauvagement, tailladé au couteau papillon par un inconnu. Et en aval, il n’y a évidemment plus Miguel. Le temps de Miguel est clos, tellement clos qu’un retour (impensable) de Miguel serait un cauchemar aussi terrible que sa mort. Non pas que son épouse, Luisa, ne le regrette pas - elle est au contraire écrasée par sa disparition, incapable de s’en relever malgré ses deux enfants – mais parce que le temps ne permet pas de manquement à ses règles : ce qui est clos est clos, provoque un ordre nouveau et une faille dans cette règle serait le pire des désordres.

Le bastion des larmes, Abdellah Taïa (par Abdelmajid Baroudi)

Ecrit par Abdelmajid Baroudi , le Mardi, 14 Octobre 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb, Julliard

Le bastion des larmes, Abdellah Taïa Editions Julliard, Paris 2024 . Ecrivain(s): Abdellah Taïa Edition: Julliard

 

Le bastion des larmes est une vengeance. L’auteur remue la plume dans la plaie afin de se venger d’une souffrance dont le corps est le seul témoin. Comment oublier ce que la chair a subi ? La cicatrice est indélébile.  Se venger, c’est acheter le silence de la doxa. Donne-leur de l’argent, tu vas sûrement éviter leurs médisances. C’est donc le matériel qui détermine leur conscience, le reste n’est que pure hypocrisie. Qui a dit que la justice est faite pour les faibles ?  Nous ne sommes pas toutes et tous égaux devant la loi, car être homosexuel dans une société où la religion et le pouvoir politiques sont complices est anormal et contre-nature. La liberté individuelle, vous dites ? Allez vendre ce discours aux mécréants. Seules les sœurs comprennent ce que veut dire efféminé.

Dans Le bastion des larmes, les narrations s’écrivent en larmes.  Des larmes qui font mal au défunt. Plus on pleure, plus le corps brûle dans l’au-delà. Et puis, il y a des larmes qui réparent. Elles confirment le lien sacré avec celle qu’on aime, en l’occurrence la mère.

Vies arides, Graciliano Ramos (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Octobre 2025. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, En Vitrine, Cette semaine

Vies arides, Graciliano Ramos (Vidas Secas, 1938), traduit du portugais (Brésil) par Mathieu Dosse, Chandeigne & Lima, 2025. 163 p.

 

Ce livre est sec comme une trique, comme un buisson desséché du Sertão. Rarement écriture n’a atteint un tel degré d’économie, une épure aussi proche de l’étisie, à l’image du territoire et des personnages qu’elle raconte. L’adjectif est rare, la fioriture absente, seule s’élève une voix simple, rauque, ravagée par la chaleur et la sécheresse. Un joyau noirci par un soleil létal. Un chant omineux sans consolation.

Étrangement, ce roman âpre fait penser à Essénine et sa Ravine, ode au désert glacial où vivent des malheureux paysans russes de la Taïga. On retrouve, dans la chaleur étouffante du Nordeste brésilien, la même Nature impitoyable qui frappe les hommes, les fait ployer, les écrase. On pense aussi, bien sûr, au chef-d’œuvre d’Euclides da Cunha, Hautes Terres, au prodigieux roman de João Guimarães Rosa, Diadorim et au magnifique Le Llano en flammes de Juan Rulfo.