Au pays de la fille électrique, Marc Graciano (par Léon-Marc Levy)
Au pays de la fille électrique, Marc Graciano, Ed. Corti, 149 p. 19 €
Ecrivain(s): Marc Graciano Edition: Editions José Corti
Nul doute que Graciano soit un lecteur passionné de Cormac McCarthy : l’enchaînement des coordonnées (et … et … et …), le récit déroulé dans un déplacement le long d’une route, l’affrontement à la violence la plus effroyable, la fascination pour les personnages perdus, marginaux, moitié fous, tout en un mot fait planer l’ombre du grand sudiste sur ce roman terrible, onyx étincelant. On croise aussi l’ombre de Claude Simon dans les phrases sinueuses et sans fin.
La patte propre de Graciano est assurément dans la longue trace indiciaire qu’il sème au long de sa route. Symptômes désolants d’une civilisation à l’agonie, déchets, laideur, haine. Éclairs de lumière dans des rencontres inattendues et pleines d’espoir. C’est notre monde, sur une ligne de crête, prêt à sombrer, avec peut-être encore quelques rares chances de se sauver. Chances ténues, redéposées dans des regards, des épiphanies, des ouvertures. Graciano les placent dans les lieux les plus étonnants : une gendarmerie ou un hôpital psychiatrique ou un chien.
L’autre signature de Graciano est incluse dans son style. En portant jusqu’au bout la langue sinueuse de ses maîtres américains, il invente une écriture étouffante qui prend dans ses méandres l’attention du lecteur, l’oblige à un effort permanent de profondeur alors que, paradoxalement, le champ lexical est des plus simples, parfois des plus nus, tricotant la langue des exclus à une prosopopée lancinante et ciselée.
Puis elle remonta sur la petite route et elle s’en retourna par où elle était venue, et elle traversa le village dans l’autre sens, et c’était la nuit maintenant et l’intérieur du minimarket était illuminé et pareillement celui du bar, et le patron et les habitués y étaient toujours présents mais ils ne la virent point passer dans l’obscurité du dehors *, et elle trouva une poubelle sur la place du village et elle y jeta la petite boule d’aluminium qu’elle avait gardée dans sa poche revolver et elle marcha dans l’obscurité sur le bord de la nationale, et, quand une voiture ou un camion arrivait face à elle, elle était aveuglée par la lumière des phares et elle zigzaguait en marchant et elle mettait le bras qui ne tenait pas le sac-poubelle en écran devant ses yeux […]
Cette écriture est une sorte de surenchère permanente de la didascalie, comme s’il s’agissait d’un roman graphique sans image. Cela crée un effet de fascination qui s’exerce tout au long de roman, effet accentué par le personnage de l’héroïne (QUI est-elle ?), jeune femme au physique stupéfiant de souplesse et de force malgré une maigreur insigne et une furieuse propension à l’anorexie, à la volonté farouche malgré sa solitude.
Sans cesse, les éloignements des zones civilisées – bois et vallons – offrent à la jeune fille des havres apaisés où nature et animaux constituent un temple sacré, une providence, un abri qui la soustraient au monde.
[…] elle toucha un toit de branches au-dessus de sa tête, et elle scruta longtemps l’obscurité qui était totale autour d’elle, et elle écouta les ténèbres autour d’elle mais les ténèbres étaient complètement silencieuses, et elle comprit que le monde était vide autour d’elle, et qu’elle était seule dans ce monde ténébreux et vide.
Les répétitions incessantes du lexique des phrases et sa simplicité (Ténèbres, vide, autour d’elle) donne à la musique du texte une résonance proprement liturgique, comme un long chant religieux, une prière itérative, le lamento d’une âme torturée avec son corps.
Lumière au bout du chemin ? L’Océan enfin pour se baigner et se purifier ?
Léon-Marc Levy
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