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Les Livres

Grand Saint Vincent, Éric Sautou (par Marc Wetzel)

, le Jeudi, 21 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Grand Saint Vincent, Éric Sautou, Editions Unes, juin 2023, 104 pages, 19 €

C’est un livre important et particulièrement périlleux. Des trois parties du recueil, la première (la plus longue, et redoutable), titrée Le Pont noir – et sous-titrée « Jeffrey Dahmer » au sommaire – s’avance comme l’expression lyrique d’un tueur en série bien réel et spécialement répugnant – charcutier virtuose et cannibale – des années 80-90. Le malaise du lecteur n’est donc pas feint, l’audace du poète est sans précautions. Voici ce qui se passe et ce qui s’énonce dans ces pages occupant les trois-quarts du tout. Quelqu’un de jeune – qui dit de plus en plus ouvertement « je » – torture d’abord de jeunes animaux (mulots, écureuils, divers oiseaux), en montrant lentement (mais méthodiquement) sa « force ».

Plus loin, il demande « l’autorisation » (sinon parentale, du moins éthico-sociale) de brûler sa propre maison (pouvant s’approcher, on l’entendrait dire « s’il vous plaît », en transportant ses bidons, et tenant sa torche). Il déclare « dormir de peur », et s’en explique : lui, l’homme poly-craintif, n’a jamais peur dans l’ombre, et se retrouver, dans l’inconscience, ainsi à l’ombre de lui-même, l’apaise. Il boit sans mesure (il jette de l’acide sur ses entrailles, comme, dit-il, au-dehors on soulèverait des pierres pour les jeter au ruisseau). Il est ému par la beauté, mais elle ne reste pas ; même quand il la laisse faire, quand il ne lui résiste plus, quand à l’évidence elle vit davantage que lui, elle ne reste pas. Sur ce qui est meilleur que lui – et c’est à peu près le monde entier ! – il ne sait pas, voilà tout, compter.

Tristan et Iseut (Version Joseph Bédier) (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 20 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, 10/18, En Vitrine

Tristan et Iseut (Version Joseph Bédier), 10/18, 183 pages 6,40 € Edition: 10/18

Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? C’est de Tristan et d’Iseut la reine. Ecoutez comment à grand joie, à grand deuil ils s’aimèrent, puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui.

(Tristan et Iseut, version de Joseph Bédier)

 

Très au-delà de l’ouvrage de Béroul et/ou d’autres poètes-narrateurs anglo-normands du XIIème siècle, l’histoire de Tristan et Iseut s’est érigée en mythe et, à ce titre, il n’est pas seulement le produit d’un rhizome passé mais aussi – surtout – le fondateur d’une pensée qui va irriguer durant des siècles et des siècles, la culture, l’art, la littérature d’Occident, jusqu’à en devenir une sorte d’« inconscient collectif » qui est en fait une mémoire collective active. La force d’un mythe se mesure au nombre de domaines humains qu’il traverse et celui de nos malheureux héros amoureux interroge autant le problème du Bien et du Mal, de l’innocence et de la culpabilité, du pouvoir et du droit, de la passion amoureuse et de la raison. Rien moins. Il tisse par conséquent une véritable toile sur la vie des hommes et des femmes, les enserrant dans quelque destin toujours funeste.

La Vie de Monsieur Descartes, Adrien Baillet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 19 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Biographie, Les Belles Lettres

La Vie de Monsieur Descartes, Adrien Baillet, Les Belles-Lettres, Coll. Encre Marine, octobre 2022, 1320 pages, 79 € Edition: Les Belles Lettres

 

En un temps où l’on ne parle plus que de numériser et de dématérialiser les travaux d’érudition – d’une mise en page compliquée, avec leur dédale de notes, leur débit et leur lectorat incertains – on n’aura pas de mots assez élogieux ou chaleureux pour saluer l’initiative et le travail des Belles-Lettres (fortement aidées, certes, par des mécènes), qui publient une magnifique édition de la Vie de Descartes par Baillet. La notion de progrès, dans les sciences humaines, est d’un maniement délicat, on le sait, et pas seulement parce que « les sciences humaines se disent sciences comme le loup se disait grand-mère », selon le mot de Louis Pauwels. Mais s’il est un domaine où ce concept a un sens, c’est dans celui de l’établissement des textes et l’on peut, sans craindre d’être démenti avant très longtemps, qualifier cette édition de définitive.

Adrien Baillet (1649-1706) fut un de ces prêtres travailleurs et effacés, comme l’Ancien Régime en connut tant. Bibliothécaire du président Lamoignon, il veillait sur une des plus belles collections de livres qui fussent à Paris.

Entre deux gares, Lionel Seppoloni (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 18 Septembre 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Récits

Entre deux gares, Lionel Seppoloni, éditions La Chambre d’échos, mars 2023, 164 pages, 16 €

 

Et si, grâce au train, on voyait mieux et plus vite, et si on assistait à des fulgurances.

Les pensées ferroviaires d’un jeune auteur, né en 1975.

A force de regarder par la vitre, l’écrivain se fait ethnographe et repère dans les vies ordinaires ou mal accordées les pulsations du réel, ainsi ces voix haineuses d’une bande de jeunes dans un train de banlieue.

Le calme des paysages est parfois ébréché par des notations plus mélancoliques ou plus amères sur ce qui a été perdu, de l’enfance, de la mère malade.

Un vrai regard donc, aigu, pointant les reliefs (au sens double du terme – saillies et déchets) du vécu.

C’est un sixième livre pour cet auteur qui publie depuis 1996. Déjà un premier livre au titre révélateur, marquant l’espace et la distance – littéraire – vécue : D’un hiver à un autre.

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 18 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Folio (Gallimard)

Sept jours sur le fleuve, Henry David Thoreau, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Thierry Gillybœuf, 656 pages, 10,90 €

 

Premier ouvrage publié du vivant de Thoreau (1817-1862), A Week on the Concord and Merrimack Rivers (1849) est la narration d’un voyage effectué par l’auteur et son frère en 1839, narration resserrée en sept jours pour autant de thématiques après le décès du second ; un in memoriam orienté vers une double expérience vivante : l’aventure sur des cours d’eau bordés d’une civilisation américaine naissante et du fantôme d’une civilisation amérindienne agonisante au mieux, et l’aventure de la pensée d’un homme qui va publier bientôt en revue La Désobéissance civile, est en train de mener la vie que l’on sait à Walden (expérience mise en livre en 1854) et tient un Journal dont seront extraites d’innombrables maximes avant qu’il soit publié bien après le décès de son auteur. Cet ouvrage est donc une clé pour saisir la pensée de Thoreau, ainsi que son style, et d’aucuns le considèrent comme une œuvre majeure du dix-neuvième siècle – à commencer par l’excellent traducteur et éditeur Thierry Gillybœuf, dont la passion pour la littérature américaine se lit depuis de nombreuses années au fil de traductions éblouissantes.