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Les Livres

Combinaisons, Denis Ferdinande (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mardi, 26 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Combinaisons, Denis Ferdinande, Éditions Atelier de l’Agneau, Coll. Architextes, mai 2023, 198 pages, 23 €

Et si nous allions, de la périphérie de l’écriture vers son centre ? À savoir : partant des objets qui l’exécutent à même la table d’écriture, puis, « – dérivant –, l’écriture prenant graduellement le pas », enfin, comme une apparition dans la matière noire de l’imagination ouverte de la fiction, nous acheminant vers la pièce centrale : la pièce de théâtre. Par sauts chronologiques et/ou d’association, sauts d’obstacles sémantiques, réflexions, séquences de lectures ou d’écoute de pièces musicales, observation de photographies, écarts poétiques et alinéas sans cesse reconduits sous une forme fragmentaire mise en scène en fonction d’une totalité textuelle, ou encore sentences oniriques crayonnées à même le feuillet de la mémoire à l’occasion d’un sursaut d’éveil – en aval d’« un blanc des effacements successifs qui introduisent le fragment » – l’auteur et à sa suite le lecteur traversent l’écriture attablée ici à l’impuissance de sa possibilité même et cependant incessamment mue par le désir de réitérer sa propre nuit, jusqu’à… « sa pointe d’où voir tout se déployer », même l’éclat de son savoir dans la désertion « antésophique » de son acquisition (« remets-toi à ignorer ce que tu sais, pour savoir comment tu le savais et savoir ton savoir), (Paul Valéry, cité in situ). Telle est la nouvelle expérience littéraire expérimentale à laquelle nous convient Les Combinaisons de Denis Ferdinande…

Le Loup des mers, Jack London (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 25 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

Le Loup des mers, Jack London, trad. anglais (USA), Philippe Jaworski, 480 p. 10,90 € . Ecrivain(s): Jack London Edition: Folio (Gallimard)

En 1904, Jack London publie Le Loup des mers ; ce roman est son quatrième, juste après L’Appel de la forêt et trois recueils de nouvelles dont le thème principal était l’aventure, en particulier dans le Grand Nord. Le thème principal du Loup des mers est aussi l’aventure, mais autant morale que maritime, car il s’agit du récit à la première personne de l’embarquement forcé d’un critique littéraire de la Côte Ouest, Humphrey Van Weyden, sur un phoquier dont le capitaine, par son absence totale de morale et sa brutalité foncière, va lui faire connaître une forme d’épiphanie ténébreuse, ainsi qu’il le constate par son absence de réaction émotionnelle au massacre à coups de poings d’un autre membre de l’équipage :

« Je fus épouvanté de découvrir la pente que prenait ma pensée. La sauvagerie qui régnait à bord avait sur moi un effet corrupteur ; elle promettait de détruire tout ce que la vie offrait de beau et de bon à mes yeux. La raison m’ordonnait de considérer la raclée reçue par Thomas Mugridge comme une horreur et pourtant je ne pouvais m’empêcher d’en éprouver un vif plaisir. Si l’énormité de mon péché m’oppressait – car c’était bien d’un péché qu’il s’agissait –, j’en riais pourtant, d’un rire imbécile. Je n’étais plus Humphrey Van Weyden. J’étais Hump, mousse de cabine à bord de la goélette Fantôme. Loup Larsen était mon capitaine, Thomas Mugridge et les autres étaient mes compagnons de bord, et la couleur dont ils étaient peints déteignait sur moi chaque jour un peu plus ».

Mille hivers, Renaud de Chaumaray (par Alix Lerman Enriquez)

Ecrit par Alix Lerman Enriquez , le Lundi, 25 Septembre 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Le Mot et le Reste

Mille hivers, Renaud de Chaumaray, éditions Le Mot Et Le Reste, août 2023, 208 pages, 19 € Edition: Le Mot et le Reste

 

Sur une île privée presque déserte vivent en huis clos un vieillard mourant, homme d’affaires dans le milieu pharmaceutique, un colosse du nom de Tortu, gardien de l’île, ainsi que Dorothée, la fille unique du vieillard venue sur l’île pour soigner son père.

Sur cette île du golfe de Gascogne, s’est échoué un iceberg : « Le jour où l’iceberg s’échoua sur l’île les cerisiers du verger étaient tous en fleurs », ainsi commence le récit de Renaud de Chaumaray.

C’est Tortu, le gardien de l’île, qui découvre stupéfait ce mastodonte de glace, dont la présence sur le petit territoire insulaire relève de la pure magie : « La blancheur dévoila peu à peu un relief plus tourmenté qu’il ne l’aurait pensé, tout en saillies et en cavités. De discrets reflets bleus s’allumèrent par endroits, et le froid, comme un fluide dans lequel il aurait pénétré, l’attaqua par les jambes ».

Tango de Satan, László Krasznahorkai (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 22 Septembre 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman, Folio (Gallimard)

Tango de Satan, László Krasznahorkai, trad. hongrois, Joëlle Dufeuilly, 385 p. 9,20 € Edition: Folio (Gallimard)

Roman diaboliquement attrape-lecteur, ce Tango de Satan !

László Krasznahorkai a tissé là une angoissante toile d’araignée dans laquelle, simultanément, se débattent la plupart des personnages, et se retrouve piégé le lecteur qui s’aventure en les lieux lugubres où se développe dans un temps court une intrigue sinistre dans l’atmosphère morbide qui émane des faits, gestes, paroles, rêves, réflexions, sensations des misérables protagonistes.

Que diable faisaient-ils donc dans cette galère ?

Le décor principal est planté au centre et aux alentours immédiats d’un simulacre de village, perdu on ne sait où, à proximité des ruines déprimantes d’une fabrique désaffectée et de ses installations annexes dont ne subsistent que des ferrailles rouillées et douloureusement tordues, restes hideux d’une ancienne coopérative où travaillaient autrefois la demi-douzaine d’habitants qui, faute de savoir, de pouvoir ou de vouloir où aller, les uns chevillés là par foncière veulerie, les autres ayant gardé l’espoir d’un redémarrage de la coopérative, ne sont pas partis refaire leur vie ailleurs à l’exemple de la majorité des autres employés de la société en faillite, et passent leurs journées à guetter par leur fenêtre les agissements furtifs de leurs voisins.

Magnifique, Jean Félix De La Ville Baugé (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Vendredi, 22 Septembre 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Magnifique, Jean Félix De La Ville Baugé, Éditions Télémaque, septembre 2023, 235 pages, 19 €

 

« Quoi de plus difficile que de raconter la vérité », écrit Tolstoï dans les premières pages de Guerre et Paix. Et nous de partir dans ce Magnifique, avec la phrase en bandoulière… Histoire de résilience ? Mais comment peut-on parler de résilience à la manière des nôtres, négociant quelque baume après une défaite sentimentale, lorsqu’il s’agit du Rwanda, celui de 1994, celui où les Hutus « ont coupé tous les jours, pendant cent jours, des hommes, des femmes, des enfants, que, le plus souvent ils connaissaient ». L’image de la couverture du livre – Patrick Robert, Juillet 1994, fort belle, quasi pacifique – montre un oiseau (de proie) planant entre de hautes et vertes frondaisons ; le ciel est bleu ; en dessous, au sol – nous ne le voyons pas, un vaste charnier… Tout est dit du livre – cet immense livre – dans le titre, nom de la femme qui parle, la photo et la façon dont elle est exploitée, et bien sûr, ces 3 lignes disant un des pires génocides de notre histoire récente.