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Les Livres

Trois gouttes de sang, Sadeq Hedâyat (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Nouvelles, Zulma

Trois gouttes de sang, mai 2019, trad. persan Gilbert Lazard, Farrokh Gaffary, 192 pages, 8,95 € . Ecrivain(s): Sadeq Hedâyat Edition: Zulma

 

Sang et phosphore

Dès la première nouvelle, Sadeq Hedâyat puise au répertoire allégorique de son pays d’origine, l’Iran, à travers les jardins, la présence des animaux, la musique, la famille, les marginaux, tous étranges et entêtants. Dans un temps bouleversé, traumatisé, chaque récit recoupe un pan de l’histoire syncopée des vieux mondes islamisés, dans des espaces que hantent les morts. L’on y rencontre le chat à « la plainte déchirante », au « roucoulement amoureux », l’œil – sacré, celui du destin, l’œil porte-malheur, jusqu’à l’œil crevé de l’aveugle –, la référence parabolique aux fables, Kâlila wa Dimna, puis l’hommage au poème versifié et à la prose persans.

Ainsi, la nature morte recouverte de poussière, synonyme du passé, se remet à embaumer et à reverdir. La survivance olfactive d’« un parfum de violette » alimente la mélancolie nocturne et la folie, comme le prouve l’acharnement exalté de l’archéologue américain de la nouvelle Le trône d’Abou Nasr, taraudé par l’espoir de trouver la porte qui mène aux trésors enfouis du vieux Chiraz, tentant de déchiffrer des manuscrits complexes, et qui creuse sans ménagement l’entrée du caveau.

Lettre à un enfant à naître, Haïm Cohen (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Flammarion

Lettre à un enfant à naître, mars 2019, 160 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Haïm Cohen Edition: Flammarion

 

Ce qui rendrait l’homme si spécifique serait l’érotisation de l’acte sexuel. Et sa néoténie (bien que d’autres espèces partagent cette caractéristique). « Il est possible de déconnecter totalement la procréation de la sexualité ».

L’homme ?

Au commencement, il est une cellule née d’un désir, d’un amour, d’une pulsion, d’une rencontre, quelle qu’elle soit. Puis deux, puis quatre, puis huit puis seize. Des milliers de cellules. Ce sont 39 gènes dits « architectes », les mêmes pour toutes les espèces, qui ordonneront à des gènes dits « ouvriers » de construire, de modeler les tissus et les organes, de placer telle partie du corps en précisant la direction. 21000 gènes. Une cascade de réactions ciblées qui mèneront à toi, au terme de 287 jours. De la première cellule apparue sur terre à nous tous. Universalité et origine communes sont au cœur de la vie.

Œuvres, tome II, Friedrich Nietzsche en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Œuvres, tome II, Friedrich Nietzsche, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, n°637, mars 2019, trad. allemand Dorian Astor, Julien Hervier, Pierre Klossowski, Marc de Launay, Robert Rovini, 1568 pages, 65 € (prix de lancement jusqu’au 31/12/2019)

 

Nietzsche peut heurter, quand, dans Le Gai savoir, à la question « Où résident tes plus grands dangers ? », il répond : « [d]ans la compassion ». S’opposant ainsi implicitement à un auteur comme Michelet, à qui Eugène Noël avouera aimer l’œuvre « surtout parce qu’[elle] est une grande école de pitié ». C’est dans Aurore [1] que Nietzsche explicite son analyse de la pitié : « Compatir, dans la mesure où cela fait véritablement pâtir – et ce doit être ici notre unique point de vue – est une faiblesse comme tout abandon à un affect nocif. Cela accroît la souffrance dans le monde : même si indirectement, ici ou là, une souffrance peut être atténuée ou supprimée grâce à la compassion, il n’est pas permis d’exploiter ces conséquences occasionnelles et dans l’ensemble insignifiantes pour justifier son essence qui est, nous venons de le dire, nocive. Supposons qu’elle règne un seul jour en maîtresse : elle entraînerait aussitôt l’anéantissement de l’humanité ».

Flâneuse, Lauren Elkin (par Laurent LD Bonnet)

Ecrit par Laurent LD Bonnet , le Jeudi, 30 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Flâneuse, éd. Hoëbeke, coll. Etonnants voyageurs, mars 2019, 368 pages, 23 € . Ecrivain(s): Lauren Elkin

 

Urbaine

Urbaine, l’auteure Lauren Elkin l’est sans aucun doute. Essentiellement. Viscéralement. Au point d’être avant tout méga-urbaine à l’image des mégapoles où se déroulent les récits qui fondent l’architecture de Flâneuse : New York, Londres, Paris, Tokyo ; et Venise bien sûr, la plus étendue de toutes puisqu’elle ne cesse de se multiplier dans le très vaste domaine de nos rêves. Lauren Elkin ne flâne qu’entre néon bitume et béton. Cela se ressent, se respire, s’évoque à chaque page, et faut-il le préciser, à chaque détour de rue.

Soit, c’est un choix, un angle me suis-je dit, en découvrant la photo de couverture qui annonce le propos. Il n’était pas le seul : l’univers mental de Flâneuse semble nous guider comme en ville, d’angle en angle :

Celui d’une flânerie résolument solitaire. Alors que d’expérience, nous le savons, s’aventurer à marcher seul(e) provoque (en principe) la rencontre.

Demande à la savane, Jean-Pierre Campagne (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Jeudi, 30 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Jigal

Demande à la savane, février 2019, 152 pages, 17 € . Ecrivain(s): Jean-Pierre Campagne Edition: Jigal

 

« Quand j’écris, je vais au mot le plus juste, percutant et limpide, sans circonvolutions ni clichés » (interview de Jean-Pierre Campagne du 7 septembre 2012 dans La République des Pyrénées).

Demande à la savane illustre parfaitement cette phrase de Jean-Pierre Campagne. Il aurait pu, sans forfanterie aucune, ajouter dans cette interview : « Quand j’écris un chapitre, je vais au plus condensé d’un moment plein de sens pour mon protagoniste ».

Car ce livre, ce sont : 60 chapitres, dont certains avoisinent les 600 caractères, pour 140 pages de texte. Pas moins de six personnages principaux, si l’on exclut le plus important : l’Afrique noire, ses villes, sa faune et sa savane.

Un découpage au rasoir d’un scénario assez complexe, sans zones d’ombre et sans laissés-pour-compte. L’enchaînement rapide des chapitres ne nuit pas à la qualité de la lecture et à la représentation mentale des situations. Le tout reste fluide…