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Ecrits suivis

Le Jardin de derrière (9) - Où il est question de travaux et de grille-pain

Ecrit par Ivanne Rialland , le Jeudi, 29 Janvier 2015. , dans Ecrits suivis, Ecriture, La Une CED

 

Le lendemain, en milieu de matinée, Georges et Pierre se rendirent au Bricorama de la ZAC. Louise avait préféré rester, de crainte de porter quoi que ce soit, et aussi à l’idée du temps à passer au rayon « Matériaux d’isolation » ou autres du même genre. Elle avait fait promettre à son père de lui envoyer une photo de la couleur choisie pour sa chambre sur son téléphone portable et d’attendre son feu vert. Pierre avait été chargé du choix du grille-pain.

Pierre, à l’apparition des premiers entrepôts, des premiers parkings en bordure de champs, se récria sur la laideur de ce paysage dont Georges commençait à aimer la banale absurdité. En guettant les panneaux aux ronds-points, il saisissait du coin de l’œil ces bleus francs, ces rouges et ces jaunes pétants qui se détachaient sur le bleu un peu pâle du ciel tandis que son fils réclamait une pizza pour le déjeuner, en arguant que chez Pizza Hutt, en ce moment c’était deux pour le prix d’une.

Le Jardin de derrière (8) - Où les enfants arrivent à la maison

Ecrit par Ivanne Rialland , le Samedi, 24 Janvier 2015. , dans Ecrits suivis, Ecriture, La Une CED

 

À 10 heures, Georges prit la voiture pour aller chercher Pierre et Louise à la gare. Ils passaient tous deux par ce qu’avec leur mère Georges appelait une crise d’adolescence raisonnable. Louise, à 13 ans, ne se séparait pas depuis le mois d’avril de ses lunettes de soleil à gros verres de mouche qui, posées sur sa tête, retenaient en arrière ses cheveux châtains égayés d’une mèche bleue. Elle portait ce jour-là un débardeur gris laissant apparaître les bretelles de son soutien-gorge fluo. Son slim bleu foncé accentuait la rondeur de ses cuisses dont son frère adorait se moquer. Elle arborait des converses beiges signées au marqueur par ses copines, qui lui faisaient les pieds légèrement en canard. On l’entendait venir de loin grâce à la quincaillerie qu’elle portait au cou et aux poignets. Son frère, la mèche longue, devant l’œil, affectait le style rocker, tee-shirt déchiré, troué çà et là de façon suspecte, décoré à la bombe d’un grand A, jean usé flottant aux hanches, heureusement retenu par une ceinture de cuir. Il portait au doigt une grosse bague en argent terni, et aux pieds des converses noires flambant neuves qui accentuaient l’allongement démesuré de ses pieds.

Le Jardin de derrière (7) - Où l’Association prend de l’importance. Les tunnels aussi

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mercredi, 14 Janvier 2015. , dans Ecrits suivis, Ecriture, La Une CED

 

Le mercredi matin, Georges fit un saut chez le notaire à L’Isle-sur-Serein. L’ancien propriétaire l’avait déjà appelé, visiblement inquiété par son coup de fil. Le notaire était assez jeune et ne savait rien de cette histoire de buses. Il se demandait mollement si cela pouvait être considéré comme un vice caché, mais Georges le rassura : les buses, la salle de bain, tout lui allait très bien. Il ne demandait rien, n’attendait rien. Il avait juste trouvé cela curieux.

– En tout cas, maintenant, ce sont vos buses, avait conclu le notaire en le raccompagnant à la porte. Georges en éprouva une étrange allégresse.

Kevin et Julien arrivèrent avec la camionnette à 14 heures très précises, une fille avec eux, un peu plus jeune, l’air timide. Georges les envoya au grenier où il avait trié la veille ce qu’il voulait jeter et ce qui pouvait encore resservir. Les jeunes, en passant, lançaient des regards curieux sur le séjour, la cuisine, les travaux en cours. Refusant l’aide de Georges, ils gravissaient puis dévalaient d’un pas léger l’escalier de devant et l’échelle menant au grenier, chargés de vieux cartons, d’une chaise cassée, portant à deux une malle au fond rongé par la rouille.

Le Jardin de derrière (6) - Où Georges passe un coup de fil

Ecrit par Ivanne Rialland , le Vendredi, 09 Janvier 2015. , dans Ecrits suivis, Ecriture, La Une CED

 

Une demi-heure plus tard, les mollets râpés par la pierre et le nez rouge vif, il se leva pour regagner l’intérieur, dont la fraîcheur soudaine, poignante, le saisit et le secoua d’un tremblement brutal. Le bas de son pantalon retomba sur ses chevilles. Il considéra la cuisine, un moment songeur, mit des bâches sur le sol et gratta la peinture avec application. Au milieu de l’après-midi, il passa au couloir, puis s’interrompit brusquement pour se lancer dans un grand ménage, traînant un sac poubelle à sa suite. Il ouvrit tous les meubles laissés par l’ancien propriétaire, inspecta les placards, fouilla les tiroirs du vaisselier et de l’armoire à glace, inspecta le vieux sofa. La récolte fut maigre : un magazine oublié par sa femme ou sa fille, un jeu de cartes, des enveloppes jaunies mais vierges, un sachet de lavande tombée en poussière. Dans le sofa, sous les coussins, enfoncé profondément entre l’accoudoir de gauche et le dossier, il trouva finalement un soldat de plomb. La découverte lui parut prometteuse. Il regarda la peinture écaillée de la figurine, les minuscules giclures autour des détails les plus fins. Le soldat avait été peint à la main, par un enfant probablement, un débutant en tout cas. Il le retourna en tous sens, cherchant une marque, une trace, il ne savait quoi.

Le Jardin de derrière (5) - Où la voisine tombe de l’échelle

Ecrit par Ivanne Rialland , le Samedi, 13 Décembre 2014. , dans Ecrits suivis, Ecriture, La Une CED

 

Le mardi, Georges fut brusquement tiré de son sommeil par un grand bruit, suivi d’un cri étouffé. Il se passa la main sur le visage, jeta un coup d’œil au réveil et ouvrit les volets. Ce mardi, à 6h32 du matin, une femme gisait les quatre fers en l’air, dans la plate-bande du jardin de derrière. Ses jambes nues s’agitaient faiblement tandis qu’elle tâchait de se dépêtrer de l’arbuste qu’elle avait écrasé sous son poids. Georges, arrêté un bref instant par la vision, sortit précipitamment en caleçon et tee-shirt, les cheveux tout hérissés, s’écorchant les pieds nus sur le béton râpeux.

La femme était déjà débout, se frottant énergiquement l’arrière-train, l’air furieux.

– Vous pourriez au moins vous vêtir décemment, non ?

Georges, stoppé net dans son élan, hésita, manqua d’aller chercher un peignoir, se retourna, et puis non, quand même, c’était trop fort, il se remit en marche avant. La femme avait déjà appuyé l’échelle contre le mur et commençait à grimper, sa robe se gonflant dans le vent du matin.