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Critiques

La Terre invisible, Hubert Mingarelli (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 27 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, Buchet-Chastel

La Terre invisible, août 2019, 182 pages, 15 € . Ecrivain(s): Hubert Mingarelli Edition: Buchet-Chastel

 

Que dire après avoir vu ce qu’ont vu les libérateurs des camps d’extermination ? Que dire après avoir vu l’indicible ? Le narrateur de ce roman – le seul personnage à n’avoir pas même de nom – se pose la seule question possible : avons-nous vraiment vu ce que nous avons vu ?

Que dire ?

« Soudain je me penchai vers Collins et lui dis dans un demi-sommeil et sans vraiment réfléchir :

Collins, qu’est-ce que nous avons vu là-bas ? »

L’entrée dans le Camp a tous les traits d’un cauchemar debout, enfoui dans un silence effroyable. L’écriture même de Mingarelli ne trouve plus son souffle dans une interminable phrase.

Magie et Rhétorique en Grèce ancienne, Jacqueline de Romilly (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mardi, 27 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Les Belles Lettres

Magie et Rhétorique en Grèce ancienne, avril 2019, trad. anglais Nicolas Filicic, 160 pages, 19 € . Ecrivain(s): Jacqueline de Romilly Edition: Les Belles Lettres

 

Ces quatre conférences ont été données en avril 1974 à Harvard, dans le cadre des conférences Carl Newell Jackson et à l’invitation de Glen Bowersock, directeur du département d’études classiques. Ecrites en anglais, elles n’avaient été jusqu’à présent jamais traduites en français. Jacqueline de Romilly nous offre ici un lent et remarquable voyage dans l’art du discours tel que les Anciens le concevaient, de la magie à la logique.

La grande helléniste remarque tout d’abord que les mots « grimoire » et « grammaire », tout comme les mots « glamour » et « grammar » sont issus de la même racine : « le lexique associe donc à l’origine l’aspect magique et la dimension rationnelle du langage ». Le premier exposé concerne Gorgias et son Eloge d’Hélène, discours qui a pour but de disculper l’Hélène de la Guerre de Troie. Le sophiste Gorgias insiste sur le merveilleux pouvoir du discours, qui oscille entre poésie et magie, la poésie étant elle-même de nature magique.

Ajours, Miron-C. Izakson (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 27 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Israël

Ajours, Éditions Levant, 2019, trad. Michel Eckhard Elial, Gravure Denis Zimmermann, 58 pages . Ecrivain(s): Miron-C. Izakson

 

« Voici les choses qui retournent à notre premier corps.

Main dans la main elles s’apprennent maintenant,

nous redevenons de tendres cellules

qui n’ont pas encore décidé quel organe servir. (…)

Un cri profond,

le corps d’un homme dans celui d’une femme,

griffure et cascade de pleurs sur le front d’un enfant.

Un homme sur les épaules d’un autre homme

pour franchir ensemble le feu.

Casa Bianca, Jacques de Saint Victor (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 26 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Récits, Editions des Equateurs

Casa Bianca, mai 2019, 398 pages, 23 € . Ecrivain(s): Jacques de Saint Victor Edition: Editions des Equateurs

 

Ce voyage romanesque (enfin mi-romanesque mi-récit) en Apulie profonde est sans doute l’idéale lecture d’été pour le lecteur féru de dépaysement comme de culture. Ici l’esprit, la joie de raconter, l’abord de personnages attachants, les Pouilles comme vous ne les avez jamais aussi bien perçues, l’intime relation à un « paese » profond, que l’on porte, chacune, chacun en soi : tout invite à une belle lecture, apaisée et féconde.

Jacques et Michela redécouvrent dans un beau petit patelin d’Apulie, à mi-distance de Lecce et de Tarento, un couvent en ruine qu’ils s’entêtent de restaurer, à tout prix ?

De Paris, où le couple a ses activités, Jacques est professeur d’histoire, animé de l’esprit de recherche, « républicain », aux Pouilles, c’est quitter une « terre » pour en cueillir une autre, c’est aussi affronter sa propre histoire : le Français vient en Apulie se mettre à l’ombre du passé de sa compagne : Michela a reçu de ses parents cette vieille bâtisse, et tout est à refaire, et tout est à recommencer : à l’aune de la vie.

Ordesa, Manuel Vilas (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 23 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Espagne, La rentrée littéraire

Ordesa, Editions du sous-sol, août 2019, trad. espagnol Isabelle Gugnon, 400 pages, 23 € . Ecrivain(s): Manuel Vilas

 

« Le passé est la vie déjà livrée au saint office de l’obscurité. Le passé ne part jamais, il peut toujours reparaître. Il revient, revient sans cesse. Le passé est porteur de joie. Le passé est un ouragan. Il représente tout dans l’existence des gens. Le passé est aussi porteur d’amour. Vivre obsédé par le passé ne nous permet pas de profiter du présent, et pourtant profiter du présent sans que le poids du passé chargé de désolation fasse irruption dans ce présent n’est pas un plaisir mais une aliénation. Il n’y a pas d’aliénation dans le passé ».

Ordesa est le troublant journal radical d’un espagnol d’aujourd’hui, d’un écrivain qui porte tout le passé de l’Espagne, et offre son présent turbulent. Il ne fait pas de cadeau à son époque, à son pays, à son passé, à ses contemporains et à lui-même, mais avec la manière. Pas un mot plus haut que l’autre, pas une phrase qui ne déroge aux belles règles du style, son humeur vagabonde, mais elle reste classique. Manuel Vilas a la politesse de bien écrire, et de bien rire des situations parfois ridicules où il s’aventure. Ordesa est le roman d’une vie, celui d’un enfant du siècle né durant une dictature, qui a connu la transition démocratique, Juan Carlos et son fils Felipe VI, et qui ne cesse de se souvenir de ses parents et de l’odeur des cigarettes qu’ils fumaient, comme si la crémation n’était pas autre chose qu’une dernière cigarette fumée jusqu’au filtre.