Le goût sucré des pommes sauvages, Wallace Stegner (par Guy Donikian)
Le goût sucré des pommes sauvages, août 2019, trad. américain, Éric Chédaille, 251 pages, 8,90 €
Ecrivain(s): Wallace Stegner Edition: GallmeisterLes Editions Gallmeister publient à nouveau ces cinq nouvelles du chantre de la nature nord-américaine, Wallace Stegner. Elles furent à l’origine publiées de 1948 à 1959. C’est donc là une occasion de (re)découvrir cet auteur dont l’amour de la nature et des hommes ne se dément pas tout au long de ces pages. Si la chronologie est respectée dans ce recueil, chronologie des dates de publication d’origine s’entend, l’auteur lui-même précise que les nouvelles ne sont en rien la trace d’une progression, d’un cheminement, mais plutôt la preuve des différents intérêts qui ont jalonné sa vie.
L’amour de la nature tout d’abord. Le titre du recueil, qui est aussi celui de la première nouvelle, illustre le souci de l’auteur d’être au plus près d’un environnement dont l’importance se révèle par touches successives qu’il dissémine dans ses textes. On assiste ainsi comme à l’élaboration d’un tableau, les contours d’abord indistincts, posés comme négligemment sur la toile, se précisent au fur et à mesure de juxtapositions où chaque élément va renforcer la présence des autres. La linéarité, quasi absente des textes, sauf pour le dernier, aide à cette importance accordée au contexte qui devient le sujet, la nature comme élément central.
La première nouvelle, courte, utilise le prétexte d’un voyage qui s’égare pour donner à voir un village déserté où ne vivent plus qu’une mère et sa petite fille, et un voisin vivant un peu plus bas, qui n’existe que dans le souvenir d’une relation amoureuse trop tôt interrompue. Les êtres n’existent pas par leur histoire, leur trajectoire est tout juste esquissée, ils ne sont présents qu’en rapport à la nature, et cet impressionnisme se révèle efficient lorsque le texte est achevé.
Le Guide pratique des oiseaux de l’Ouest, tel est le titre de la deuxième nouvelle, fait une large place aux critiques d’une société aseptisée. Les années cinquante aux USA se vivaient sur le mode conventionnel, a fortiori dans certains milieux aisés où les règles conventionnelles l’emportent encore dans les rapports humains. Là, il s’agit de montrer l’échec d’une soirée organisée en l’honneur d’un pianiste qui, s’il joue plutôt bien, va tout faire pour se mettre à dos ses mécènes ; un conformisme mis à mal…
La dernière nouvelle, intitulée Genèse, est à mi-chemin de la nouvelle et du roman. Sa longueur, plus de 110 pages, la situe dans un genre qu’en Europe nous prisons peu, mais qui en revanche connaît un succès outre Atlantique. Genèse, ce sont les cow-boys qui acheminent un troupeau de plus de quatre cents vaches. Loin d’être une partie de plaisir, l’avancée du troupeau doit faire face à de nombreuses difficultés, dont le froid et la neige vont disséminer les bêtes, ce qui va contraindre les « vachers » à de nombreux allers et retours dans les plaines enneigées. L’un d’eux, blessé, subira la douleur de sa blessure dans des conditions de froidure et par un temps exécrable sans broncher ou presque. La vie dure, les contraintes du temps, mais aussi, les grands espaces, et cette nature dont nous dépendons, tout ici est réuni pour une nouvelle dans laquelle l’auteur excelle, par des détails d’une réalité surprenante qui traduisent sa proximité au monde.
Ce sont donc cinq nouvelles qui invitent le lecteur à voyager dans les grands espaces d’une Amérique que l’auteur appréciait particulièrement, ponctuées de critiques parfois cinglantes d’une société conformiste.
Guy Donikian
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