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Les Chroniques

Les rimes de la confiance et de la violence (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 4

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 06 Février 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

Où Don Quichotte entend imposer justice et clémence et où il se fait rosser pour sa maladresse et son insolence…

Il y a dans le doux délire de Don Quichotte une violence potentielle assez radicale. Les exigences qu’il pose à ceux qu’il rencontre, de faire le bien, d’être juste, de louer celle qu’il estime louable, quelque chose qui relève à la fois du dérisoire mais aussi d’une certaine forme d’exaltation qui finit par ressembler à du fanatisme. Sinon à du fanatisme, du moins à une certaine intolérance. Les effets en sont limités par l’excès de confiance qu’il peut avoir en lui-même, en sa capacité à impressionner l’autre comme à l’excès de confiance qu’il peut avoir en la parole de l’autre.

Le jeune homme qu’il a voulu défendre contre son maître en fera les frais et verra tomber sur lui une violence redoublée une fois le chevalier parti. Quant à la compagnie à laquelle il entend faire chanter les louanges de sa belle, malgré les arguties et la lance, rien n’y fera… D’une maladresse de son cheval, voilà l’homme à terre qui, tel Grégoire Samsa métamorphosé en cloporte, est incapable de se relever, trop encombré par ce qui faisait sa puissance, cette armure dérisoire qui le cloue au sol. Il n’en faut pas plus pour en faire une victime que l’on battra à lui en rompre les os. Volonté de grandeur et de justice n’ont déclenché que violence et brutalité… dont le chevalier peut être la première victime. Dure leçon !

Alain Suied ou La Pensée poétique

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 05 Février 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

à propos de Alain Suied, L’attention à l’Autre, sous la direction de M. Finck, P. Maillard et P. Werly, éd. Presses Universitaires de Strasbourg, 2015, 15 €

 

Connaître un poète, c’est bien sûr lire ses livres, mais c’est aussi apprécier l’homme, sa biographie et l’articulation de sa pensée. Et c’est à cette dernière tâche que nous convie ce livre publié par les Presses Universitaires de Strasbourg, qui est le résultat du colloque organisé à Strasbourg en février 2013, autour du poète défunt, Alain Suied. Pour moi, aujourd’hui, il s’agit d’ajouter à cet ouvrage ma parole de lecteur de poésie, d’écriture contemporaine, mais non pas d’un point de vue scientifique, car l’ouvrage le fait très bien, mais avec ma sensibilité personnelle sur ces pages savantes autour de l’œuvre de ce poète, qui fut historiquement publié par les éditions Arfuyen, maison que j’ai beaucoup à cœur.

A propos de "Le vent du Nord" de Tarjei Vesaas

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 04 Février 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

Le vent du Nord, Tarjei Vesaas, La Table Ronde coll. La petite vermillon, janvier 2015 (1), trad. norvégien Marthe Metzger, avant-propos Jean-René Van Der Plaetsen, 270 pages, 441 pages, 8,70 €

Le Sens ?

« Je suis homme : je dure peu

et la nuit est énorme ».

Octavio Paz, Arbre au-dedans

On perd élan et patience à méditer ce fait que les Français, lecteurs comme éditeurs, marquent si peu d’intérêt pour la nouvelle (2). Ils préfèrent le roman, c’est leur droit. Mais ils ne savent pas ce qu’ils manquent à être à ce point incurieux de l’acéré, du cruel ou du joyeusement sublime de ce genre bref et sans réplique. Pour moi, j’ai lâché la rampe au milieu des années 90. Il y eut des cocktails, des réunions, des colloques, de discrets symposiums de nouvellistes offusqués… Furent échangés arguments tranchants, avis pertinents, objurgations, plaintes, protestations (3) et jusqu’à des plaidoiries émouvantes… On évita de justesse deux suicides ! Un éditeur manqua être assassiné à coups d’aiguilles à tricoter. Mais quoi, rien n’y a fait, la nouvelle n’est toujours pas rentrée en grâce. C’est pourquoi, sans autre forme de procès, je m’arrête sur l’extraordinaire recueil du norvégien Tarjei Vesaas (1897-1970).

Un lecteur adoubé (Lecture de Don Quichotte de la Manche de Cervantès en La Pléiade) - 3

Ecrit par Marc Ossorguine , le Jeudi, 28 Janvier 2016. , dans Les Chroniques, Ecrits suivis, La Une CED

 

L’on a retenu surtout du chevalier à la triste figure – ainsi qu’on le nomme quand on cherche à donner dans la référence cultivée et partagée – sa folie et son projet de chevalier galant et errant au service de toutes les causes désespérément imaginaires, déjà anachronique en ces temps reculés.Non-spécialiste de l’œuvre, je découvre que Don Quichotte se construit lui-même comme un personnage de fiction, né de ses propres lectures. Nous voilà entraînés dans une fiction à double niveau : histoire d’un personnage qui s’invente un personnage. Une lecture démultipliée : celle d’un récit qui parle de lectures. Récit dans lequel le narrateur ne manque pas non plus de s’adresser au lecteur, plus ou moins directement. Le « procédé » (les guillemets s’imposent à moi car le mot pourrait renvoyer à un vulgaire « truc » pour se mettre le lecteur dans la poche, à une astuce stylistique et rhétorique plus ou moins indigne) est toujours séduisant pour le lecteur qui se sent associé à l’œuvre en train de s’écrire, a-t-il l’illusion, alors qu’il n’est qu’en train de la découvrir. Il nous donne l’agréable sensation d’être peut-être le seul destinataire de l’œuvre, il converse avec nous par-delà les pages, par-delà les siècles. Il est vrai que le lecteur que je suis, facilement un peu exclusif dans ses attachements livresques et littéraires (mais je ne dois pas être le seul) aime cette complicité qu’il a pu rencontrer chez Diderot ou Dickens, même s’il la sait illusoire.

La « Colognisation » du monde, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mercredi, 27 Janvier 2016. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Colognisation. Le mot n’existe pas mais la ville, si : Cologne. Capitale de la rupture. Depuis des semaines, l’imaginaire de l’Occident est agité par une angoisse qui réactive les anciennes mémoires : sexe, femme, harcèlement, invasions barbares, liberté et menaces sur la Civilisation. C’est ce qui définira au mieux le mot « colognisation ». Envahir un pays pour prendre ses femmes, ses libertés et le noyer par le nombre et la foule. C’est le pendant de « Colonisation » : envahir un pays pour s’approprier ses terres. Cela s’est donc passé dans la gare de la ville allemande du nom de ce syndrome, pendant les fêtes du début de la nouvelle année. Une foule des « Autres », alias maghrébins, syriens, « arabes », refugiés, exilés, envahisseurs, a pris la rue et s’est mise à s’attaquer aux femmes qui passaient par là. D’abord fait divers, le fait est devenu tragédie nationale allemande puis traumatisme occidental. « Colognisation » désigne désormais un fait mais aussi un jeu de fantasmes. On y arrive à peine à faire la différence entre ce qui s’est passé dans la gare et ce qui se passe dans les têtes et les médias. Les témoignages affluent, mais les analyses biaisent par un discours sur le binôme Civilisation/barbarie qui masque le discours sur la solidarité et la compassion. Au centre, le corps, la femme, espace de tous, lieu du piétinement ou de la vie.