Identification

Articles taggés avec: Talbourdel Augustin

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa - IV et fin (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 08 Février 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

 

Signifying nothing : la révolution, la lamentation, l’aurore


Aussi obscure qu’elle soit, la nuit cède sa place au matin dans le campement de Macbeth comme au château de Washizu. « The night has been unruly », dit Lennox, à quoi Macbeth répond, en connaissance de cause : « ’Twas a rough night » (1). La nuit a accueilli une apocalypse en son sein, elle a été le lieu de la révélation. Aussi le jour ne s’est-il levé qu’en apparence. La lumière qui éclaire le lit de Duncan, comme celle qui illumine la raison d’Hamlet et de Lear lorsque le forfait dont ils sont victimes leur est révélé, ne participe qu’à informer les hommes qu’ils ont plongé dans l’obscurité et qu’ils n’en sortiront pas. À partir de cette nuit tragique, la vie ne signifie plus rien puisque l’ordre qui préexistait a été renversé. Il n’y a de place dans le monde post-apocalyptique que pour la lamentation.

 

Les trois révolutions

« Truth’s a dog must to kennel » (2)

Le mouvement de la tragédie shakespearienne est celui d’une révolution au sens scientifique du terme, c’est-à-dire du trajet savamment orchestré entre un point de départ et un point d’arrivée, lesquels sont généralement identiques. Entre-temps se produit une inversion exacte des valeurs : le juste devient injuste, le sage fou, le beau laid.

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa-III Full of sound and fury : le délire, la fureur, la nuit (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 01 Février 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Full of sound and fury : le délire, la fureur, la nuit

Certains trouvent hors d’eux-mêmes le motif de leur crime, tel l’étranger qui accuse le soleil de l’avoir poussé au meurtre. Tandis que l’acte est l’objet d’un « mûrissement » dans le King Lear et d’une « disponibilité » dans Hamlet, selon la terminologie d’Yves Bonnefoy (1), il advient dans Macbeth comme une décision subite et précipitée, illustrée par l’instabilité permanente du samouraï dont le pas est toujours tremblant et frénétique, dans

 

Le Château.

« A bell rings

I go, and it is done. The bell invites me.

Hear it not, Duncan, for it is a knell

That summons thee to heaven or to hell » (2)

 

lit-on d’ailleurs dans Macbeth, laissant supposer que le glas est le véritable assassin de Duncan. Comprendre l’apocalypse shakespearienne requiert d’interroger non plus la genèse de cette apocalypse, mais son contenu et son déroulé, plein de bruit et de fureur.

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa-II A tale told by an idiot : la langue, la scène, la prophétie (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 26 Janvier 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

En un sens, on pourrait dire que le drame shakespearien embrasse une période plus longue que le seul moment de la pièce. Le statu quo de la tragédie, qui s’établit sinon immédiatement, du moins après quelques scènes, repose sur une privation : Hamlet sans père, Lear sans enfants, Macbeth sans roi. Cette privation suppose donc un état antérieur où les éléments étaient encore réunis et mêlés : tel est le propre de l’apocalypse, qui renverse un ordre établi et instaure le chaos comme nouvel ordre. Comment ce renversement advient-il ? Par une triple modification à l’œuvre chez Shakespeare et Kurosawa, habilement orchestrée par le narrateur : modification du discours, du personnage et du réel.

 

Le miel et la ciguë

« Look with thine ears » (1)

 

La disproportion entre l’origine de l’intrigue shakespearienne et le déchaînement des forces qui suit a de quoi surprendre. Il suffit d’un mot à Iago pour tromper Othello, d’une phrase à Cordelia pour décevoir son père, d’un oracle à Macbeth pour le pousser au crime. Autrement dit, la mort vient par l’oreille : au sens figuré dans Othello, King Lear et Macbeth ; au sens propre dans Hamlet puisque Claudius verse du poison dans les oreilles du roi (2).

La nuit shakespearienne et le cinéma de Kurosawa-I (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 19 Janvier 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques


Narration de l’apocalypse et apocalypse de la narration

dans Le Château de l’araignée, Les Salauds dorment en paix et Ran


Prologue

Nul ne s’est mieux aventuré dans la nuit shakespearienne qu’Akira Kurosawa ; nul ne l’a plus profondément sondée non plus. Le réalisateur japonais a composé, avec Le Château de l’araignée (1957), Les Salauds dorment en paix (1960), et Ran (1985), un triptyque cinématographique inspiré de trois chefs-d’œuvre de Shakespeare : Macbeth, Hamlet et King Lear.

In the house that Jack built, Dickens, Griffith et la Révolution (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 15 Décembre 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

Osons une affirmation qui pourrait surprendre : Orphans of the Storm (1921) est une adaptation cinématographique de A tale of two cities (1859). Allons plus loin : c’est probablement la meilleure adaptation du roman de Dickens. Certes, Griffith s’inspire d’abord d’une pièce de théâtre française d’Adolphe d’Ennery et Eugène Cormon, Les Deux Orphelines (1877), aussi connue à l’époque que le roman de Dickens et adaptée quinze fois à l’écran. Il semble que le cinéaste ait fait ce choix par défaut. À l’origine, Griffith désirait tourner une adaptation du roman de Dickens, chose faite quelques années plus tôt, en 1917, par Frank Lloyd. En tournant Orphans of the Storm, sans doute Griffith avait-il encore à l’esprit A tale of two cities, si bien que le film peut passer pour dickensien, alors même qu’un seul incident du film n’est véritablement tiré du roman de Dickens (II, 7) : l’enfant tué par le carrosse de « Monseigneur », dans le faubourg Saint-Antoine, que Griffith présente comme « an historical incident » dans un carton. Au-delà des nombreuses proximités que l’on peut établir entre le roman et le film, la véritable dette de Griffith envers Dickens réside dans la représentation de la Révolution française.