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Raymond Carver, une vie d’écrivain, Carol Sklenicka

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 07 Janvier 2016. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie, L'Olivier (Seuil)

Raymond Carver, une vie d’écrivain, novembre 2015, trad. anglais (USA) Carine Chichereau, 780 pages, 25 € . Ecrivain(s): Carol Sklenicka Edition: L'Olivier (Seuil)

Raymond Carver est un aventurier. Assertion qui peut faire bondir les passionnés du grand Ray. Nulle trace d’aventure dans sa vie, pas d’engagement militant, pas d’équipées lointaines (un séjour de quelques années en Israël le déprimera durablement), pas de guerre d’Espagne (Hemingway l’a pourtant fait rêver), pas de grandes histoires d’amour (à l’exception d’une seule, Maryann bien sûr). Carver est l’anti-héros parfait de la littérature américaine, une sorte de pantouflard. Sauf que.

Sauf que les grands vents et marées d’une vie, s’ils ne sont pas chez lui dans l’aventure épique, sont – intensément – dans les tourbillons d’une vie personnelle et familiale dont on peut dire qu’elle vaut toutes les aventures. La famille, l’alcool, la passion d’écrire, voilà qui chez Ray vaut en intensité toutes les expéditions. Et voilà qui sera pour lui la matière – l’unique matière – de son œuvre.

Carol Sklenicka l’a évidemment parfaitement compris et parfaitement déployé dans cette biographie magnifique. La trame de son récit – car c’est bien d’un récit qu’il s’agit, presque romanesque – est tricotée dans le va et vient permanent de scènes de vie/nouvelle et/ou nouvelle/scènes de vie. On comprend, à travers tout le livre, que l’écriture est pour Ray Carver une extension du domaine de l’existence, une fonction quasi organique, une matière qui lui permet la respiration, la survie.

La Vie volée de Jun Do, Adam Johnson

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 17 Décembre 2015. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

La Vie volée de Jun Do, septembre 2015, trad. de l’anglais (USA) par Antoine Cazé, 696 pages, 8,95 € . Ecrivain(s): Adam Johnson Edition: Points

 

S’il est, en 2015, un Etat qui éveille les phantasmes les plus divers, c’est bien la Corée du Nord. Ce pays est tellement secret et autarcique que, dans le roman World War Z par exemple, la question se pose de savoir si ses vingt-cinq millions d’habitants sont toujours humains ou tous zombifiés dans les tunnels traversant le pays, puisqu’il est impossible d’obtenir la moindre information en provenance de Pyongyang. Quant à James Bond, il y a effectué un séjour des plus déplaisants durant Meurs un Autre Jour. Et nul doute que les références à cet état-voyou, pour reprendre la terminologie états-unienne, doivent pulluler dans nombre de récits d’espionnage, télévisuels, cinématographiques ou romanesques. Mais ce qui intrigue le plus avec la Corée du Nord, c’est ce mélange entre le sérieux, voire l’inquiétant (surtout pour son voisin du Sud), et le grand-guignolesque (même si l’information fut démentie : tuer un ministre à coup de canon, vraiment ?). Kim Jong-Il lui-même a tout du monarque fou, un rien Robert Mugabe, un rien Staline, tout dans l’outrance, avec une capacité fabuleuse à (se) mentir. Bref, ce pays possède toutes les qualités requises pour faire l’objet d’un grand roman ; Adam Johnson (1967) l’a écrit, il s’intitule La Vie Volée de Jun Do et a même valu à son auteur le Prix Pulitzer pour la fiction.

Retour à Little Wing, Nickolas Butler

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 14 Décembre 2015. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

Retour à Little Wing, août 2015, traduit de l’anglais (USA) par Mireille Vignol, 384 pages, 7,95 € . Ecrivain(s): Nickolas Butler Edition: Points

 

Il y a des romans sur la musique, des romans qui parlent de musique, il y a des romans dont certaines pages font penser à de la musique (je pense au formidable Human Punk de John King), puis il y a des romans, beaucoup plus rares, qui sont tout à fait en phase avec un certain type de musique. C’est le cas de Retour à Little Wing, le premier roman de Nickolas Butler (1979) : avec le personnage de Lee, c’est tout un pan de l’americana musicale, de Bruce Springsteen à Damien Jurado en passant par John Cougar Mellencamp, qui fait son entrée en littérature. Non seulement ses chansons traitent de sujets populaires au sens premier de l’adjectif : qui appartient au peuple, mais sa façon de voir les choses depuis son premier album, Shotgun Lovesongs (le titre original du roman, soit dit en passant), n’a changé en rien malgré le succès, et on l’imagine volontiers écoutant en boucle Nebraska ou The Ghost of Tom Joad, pris dans l’intemporalité de la vraie vie et y puisant son inspiration : « Ici, le temps s’écoule lentement, divisé en moments à savourer, comme de délicieuses parts de dessert : mariages, naissances, réussites aux examens, inaugurations, funérailles. Rien ne change beaucoup, en général ». Il y a le personnage de Lee, donc, mais il y a surtout ce que raconte ce roman.

Fonds Perdus, Thomas Pynchon

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 12 Décembre 2015. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

Fonds Perdus, trad. de l’anglais (USA) par Nicolas Richard, août 2015, 624 pages, 8,8 € . Ecrivain(s): Thomas Pynchon Edition: Points

 

Thomas Pynchon (1937) est un auteur exigeant, du moins ses romans le sont-ils : on n’entre pas dans V. (1963) ou Vineland (1990) en dilettante, en voulant juste passer un bon moment de lecture. En effet, le lecteur distrait a tôt fait de se perdre dans la foule des personnages, dans les digressions post-modernes de l’auteur ou dans son art consommé de soulever les voiles de l’Amérique et faire contempler ses dessous, version complotiste et parfois compliquiste. Mais la maîtrise dont fait preuve Pynchon leur permet toujours, à l’auteur et au lecteur, de retomber sur leurs pattes narratives – d’autant que l’humour, le décalage incongru dans toute sa splendeur, est souvent au rendez-vous.

Ces caractéristiques sont présentes dans Fonds Perdus (2013), mais la complexité en moins. Peut-être est-ce dû au fait que ce roman est avant tout un roman d’enquête, placé sous le signe d’une citation éclairante de Donald E. Westlake (New York en tant que personnage dans une enquête policière ne serait pas le détective, ne serait pas l’assassin. Ce serait le suspect énigmatique qui sait ce qui s’est vraiment passé mais n’a pas l’intention de le raconter), mais ce roman est parmi les plus lisibles pour le néophyte parmi ceux de Pynchon.

L’œuvre poétique, Hart Crane

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 25 Novembre 2015. , dans USA, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, La Une Livres, Poésie, Arfuyen

L’œuvre poétique, octobre 2015, trad. Hoa Hôï Vuong, 378 pages, 23 € . Ecrivain(s): Hart Crane Edition: Arfuyen

 

Une poésie américaine ?

Entrer dans l’œuvre poétique de Hart Crane est une chance très grande, dans la mesure où il était peu traduit en France, et que le livre que publient les éditions Arfuyen, dans sa belle collection Neige bilingue, permet d’accéder à la presque totalité des poèmes de Crane. Poète complexe et angoissé dirait-on, jusqu’à son suicide dans le golfe du Mexique en avril 1932. Cette indication de lieu a son importance, car les trois grands recueils que laisse le poète, c’est-à-dire Bâtiments blancs, Le Pont et Key West participent de l’expression d’une géographie poétique du monde. Ils sont aussi une forme ambitieuse et réussie de poésie « américaine » venue de Whitman par exemple, car on va facilement d’est en ouest, comme des pionniers, et du nord au sud, comme des voyageurs d’un empire commercial.

Une terre de glace transversale

Embrassée par des arches célestes de plâtre gris

Se jette silencieusement

Dans l’éternité.