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Les Marches de l’Amérique, Lance Weller (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Septembre 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallmeister

Les Marches de l’Amérique (American Marchlands), trad. américain, François Happe, 354 pages, 10,20 € . Ecrivain(s): Lance Weller Edition: Gallmeister

 

A la construction erratique et violente des frontières Sud-Ouest des États-Unis d’Amérique, les Marches (Marchlands) progressives de la conquête, fait écho dans ce livre magistral la marche (walk), tout aussi erratique et violente, de trois personnages qui tracent, à leur manière, les nouvelles frontières. Le roman de Lance Weller s’étend de 1815 à 1846, à peu près dans l’âge de vie de Tom Hawkins, Pigsmeat et Flora. Leur destin commun s’inscrit dans la toile de fond historique américaine. C’est, chez Weller, un mode de narration déjà utilisé dans Wilderness : tresser l’histoire individuelle et l’Histoire (dans Wilderness l’action se situait plus tard, après la Guerre de Sécession). A la manière des historiens de l’école des Annales, ce qui intéresse l’auteur – qui n’est pas historien mais romancier – ce sont les gens plus que les faits. On est loin du point de vue d’un Shelby Foote qui, dans Shiloh, se rapproche plus du travail historique pur. La marche des trois héros traverse et retraverse l’Histoire : les guerres indiennes, l’établissement des frontières avec le Mexique, le destin du Texas longtemps disputé. Mais c’est bien l’histoire, magnifique et terrible, de ces deux hommes maudits par le destin et de cette femme, superbe et forte, qui constitue la matière du roman.

L’homme qui marchait sur la lune, Howard McCord (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 18 Août 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallmeister

L’homme qui marchait sur la lune, trad. américain, Jacques Mailhos, 124 pages, 7 € . Ecrivain(s): Howard McCord Edition: Gallmeister

 

William Gasper a des traits frappants de ressemblance avec le héros de Cormac McCarthy, Lester Ballard, dans Un enfant de Dieu. Comme lui, il erre dans la nature sauvage, dans la montagne, coupé du genre humain. Il est terre sur la terre, pierre parmi les pierres, marcheur sur La Lune. Non, ce n’est pas un cosmonaute, La Lune est le nom d’une montagne perdue au milieu du désert du Nevada. Enfin peut-être, disons au cœur de rien, de nulle part. Gasper marche, observe, mange ce qu’il trouve, entre autres sauterelles, fourmis, végétaux. Que fait-il là ? Mais rien justement, absolument rien. Il arpente ce qu’il a fini par considérer comme sa propriété : les rochers, la poussière, le ciel de La Lune.

On peut dès lors imaginer sans risque d’erreur que l’histoire ici est réduite à un fil ténu, presque sans importance. On apprend qu’il vit – ou qu’il a vécu – de la mort. Tueur à gages sûrement, après avoir été soldat dans l’enfer coréen et tireur d’élite, hors pair. Il a atterri à Sterns, bourg inconnu, où il a loué un container/mobilhome dans lequel il retourne une ou deux fois par an, pour renouveler son petit stock de protéines en fruits secs. Le reste du temps il marche. Sur La Lune.

Le Temps et le fleuve, Thomas Wolfe (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 10 Juillet 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, L'Âge d'Homme

Le Temps et le fleuve (1935), trad. USA Camille Laurent, 782 pages . Ecrivain(s): Thomas Wolfe Edition: L'Âge d'Homme

 

Ce livre est un fleuve, un fleuve en crue qui déborde de partout. Pendant près de 800 pages, son cours ne s’interrompt jamais et la pression du courant ne se relâche pas sur le lecteur. Thomas Wolfe donne l’impression que c’est lui-même qui n’est pas capable d’endiguer le flot de mots qui le submerge. Et pourtant quelle maîtrise. Il déverse des longues phrases, comme s’il voulait rendre compte du réel dans ses moindres détails. Chaque rencontre avec un personnage est le prétexte à dresser un portrait qui s’étend sur trois, quatre, cinq pages, voire plus. Et quels personnages ! A l’instar de ce père tailleur de pierres atteint d’un cancer, mais qui ne meurt pas, ou du truculent oncle, un prédicateur, qui est aussi érudit qu’il a l’air fou.

Tous les lieux sont décrits avec minutie, comme s’il fallait les assécher, qu’il n’existe plus aucune autre possibilité de les saisir. On en fait un tour si complet qu’il ne reste plus rien à dire. On sait tout, on visualise tout, sous tous les angles possibles. De même, une conversation peut s’étendre sur des pages et des pages, comme s’il fallait rapporter tout ce qui a été échangé.

En un monde parfait, Laura Kasischke (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Jeudi, 09 Juillet 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

En un monde parfait, Laura Kasischke, février 2020, trad. anglais (Etats-Unis) Eric Chédaille, 384 pages, 5,30 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Quelle étrange faculté de prémonition ont les écrivains, créateurs de mondes fictifs qui parfois anticipent une réalité à venir ! Laura Kasischke dépeint dans ce roman une Amérique dans laquelle « Personne n’avait jamais encore prononcé le mot d’épidémie, ni celui de pandémie. Nul ne parlait de calamité ». L’épisode de la contamination par le sars-cov2 ou covid-19 semble répondre en écho à une partie de ce récit paru en langue anglaise en 2009, et récemment traduit et publié par Gallimard, dans la collection Folio, début 2020.

Qui sont les insidieux ennemis de Jiselle, dans le monde parfait de son récent mariage avec Mark Dorn ? Certes, les trois enfants de son mari, au début du roman, lui mènent la vie dure, mais peu à peu, au fil de l’absence de Mark, ceux-ci deviennent plutôt des alliés, des adjuvants, tandis que Mark se change en opposant, froid et lointain, avant de s’estomper et de sombrer dans l’oubli. Chez Kasischke, les faits prennent un sens symbolique : on apprend que la première épouse de Mark, Joy, mère et épouse parfaites, est morte renversée par l’autocar dont elle voulait sauver son fils de la collision. Elle incarne le sacrifice maternel ; Jiselle va-t-elle subir son ascendant, son emprise ?

Le brigand bien-aimé, Eudora Welty (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Juin 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Points

Le brigand bien-aimé (The Robber Bridegroom, 1942), Eudora Welty, trad. américain, Sophie Mayoux, 139 pages, 7,20 € Edition: Points

Parmi la belle floraison de plumes que le Sud nous a fait la joie de produire, les femmes occupent une place que bien d’autres régions littéraires du monde pourraient envier. Avec Carson McCullers, Flannery O’Connor, Kate Chopin, Zora Neale Hurston, Margaret Mitchell, le Delta étincelle de brillantes auteures. Eudora Welty en est l’une des plus éminentes, formidable chroniqueuse du Sud, de ses contes et légendes, de ses paysages, de ses gens. Bourgeois créoles ou pauvres blancs, Noirs écrasés par leur misère, débiles consanguins, prêcheurs fous. On retrouve dans son œuvre une faune familière aux lecteurs de Flannery O’Connor, mais sur un mode très différent, plus distancié, plus observateur.

Le thème du brigand bien-aimé est récurrent dans l’imaginaire américain et dominé par la figure de personnages souvent peu recommandables. Jesse James en est devenu le représentant le plus connu – probablement grâce au film d’Henry King en 1939 – et pourtant James était un voleur de grand chemin, un tueur redoutable. On peut y ajouter Billy Le Kid, encore plus violent et sanguinaire. Eudora Welty bâtit son conte autour de Jamie Lockhart, personnage imaginé par elle et qui est probablement la combinaison de plusieurs personnages réels de bandits plus ou moins populaires dans le Sud, autour de Natchez, Mississippi.