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Le bruit et la fureur (The Sound And The Fury, 1929), William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 24 Novembre 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Le bruit et la fureur (The Sound And The Fury, 1929), trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

L’histoire d’une décadence a plus d’une fois fasciné Faulkner. Au point de justifier que l’on se demande si – en basse continue – ce n’est pas éternellement l’histoire du Sud qu’il raconte encore et encore. C’est l’arc de Absalon ! Absalon !, de la trilogie des Snopes et, ici, la grandeur et la décadence de la famille Compson. Le Sud au fond, comme trame romanesque, le Sud et son basculement de la gloire à la défaite, au délitement de son mode de vie, de son modèle économique fondé sur l’esclavage, de sa fierté triomphante.

On a beaucoup dit que lire Le bruit et la fureur est une épreuve redoutable. La structure achrone du roman déconcerte, au moins pendant la première partie, la narration de Benjy. De tous les romans de Faulkner, c’est assurément le plus « difficile », essentiellement en raison de l’absence à peu près totale de chronologie. Faulkner mêle présent et passé dans la tresse serrée d’un récit dont le moteur est le flux de conscience avec ce qu’il implique d’aléatoire et d’inattendu. Et plus encore qu’inattendu, d’imperceptible. C’est là la clé de l’opacité de ce roman : le lecteur ne se rend pas compte de tout. On en a une preuve évidente quand on en est à la deuxième lecture de l’œuvre – c’est le cas ici avant d’écrire cet article – : la première lecture ne nous avait pas fait apparaître les mêmes reliefs, les mêmes sens.

Allez-Hop !, William Gropper (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 20 Novembre 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Table Ronde

Allez-Hop !, William Gropper, octobre 2020, 216 pages, 26,50 € Edition: La Table Ronde

 

Quartier Loisada

William Gropper, né en 1897 dans le Lower East Side de New York (appelé parfois le quartier Loisada), de parents juifs venus de Pologne et d’Ukraine, aîné de six enfants, décédé en 1977, a étudié l’art et la politique à la Ferrer School. Son roman graphique Allez-Hop ! a été publié en 1930 aux États-Unis. Gropper dessinait pour le New York Tribune, divers journaux de gauche et des magazines yiddish. En 1953, il a été mis sur la liste noire pour « activités anti-américaines ». James Sturm, dessinateur et écrivain, a préfacé le roman graphique, et Art Spiegelman, auteur du célèbre Maus, a signé la 4ème de couverture. Ici, La Table ronde propose une version française, en fac-similé.

Le roman ô combien expressif Allez-Hop !, édité au format de 15,3 x 22 cm, a été élaboré sans un phylactère, sans un mot et en noir et blanc. D’un trait sûr, minimal, presque brut, Gropper campe ses premiers personnages, un couple d’équilibriste et de trapéziste musclés, voltigeant dans l’air au-dessus d’une marée de minuscules taches, de points ressemblant à du sable : le public (?).

L’année du Singe, Patti Smith (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 19 Novembre 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Gallimard

L’année du Singe, octobre 2020, trad. anglais (USA) Nicolas Richard, 180 pages, 18 € . Ecrivain(s): Patti Smith Edition: Gallimard

 

L’étreinte de la mémoire : Patti Smith

Patti Smith poursuit l’inscription de ses traversées. Elle franchit le temps sans défaillance, restaurant au besoin l’orée du réel par des épigraphes ensevelis là où le mot se déclare non définitif mais inscrit néanmoins ses sommations.

A chaque passage, ses blessures, ses murmures, ses étreintes. La créatrice coud au temps de l’année du Singe des charnelles, mais aussi mystiques intrusions en ce geste d’écrire où les mots qui scellent les défaites du monde et quelques victoires personnelles.

Ici, au reliquaire de dissonances en dissidences, en disparitions, fatale introspection que ses précédents livres incisaient, fait place une révélation plus profonde, et un élancement tourbillonne entre les rêves qui demeurent même s’il faut toujours se réveiller ensuite, comme le rappelle la dernière page du livre.

Un cœur pour les dieux du Mexique, Conrad Aiken (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 17 Novembre 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Table Ronde - La Petite Vermillon

Un cœur pour les dieux du Mexique (A Heart For The Gods Of Mexico, 1939), trad. américain Michel Lebrun, 172 pages . Ecrivain(s): Conrad Aiken Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Nous avons lu Conrad Aiken au rythme d’une traversée de l’Atlantique dans Au-dessus de l’Abysse. Ici c’est au rythme haletant d’un train qui traverse les USA de Boston jusqu’au Mexique. L’œuvre romanesque de Aiken est toujours profondément traversée par son génie poétique et – cela va avec – musical. Ce roman fou ne manque pas à cette règle : sons, rythmes, champs lexicaux sont scandés, à partir de la deuxième partie, par le voyage en train.

Vers le Mexique avons-nous dit, mais pas seulement.

Ce voyage de trois personnages a pour seule vraie destination la mort. Celle de la jeune femme, Noni, qui accompagne ses deux amis et qui, promise à une mort très prochaine, veut accomplir ce dernier périple pour épouser l’un des deux, Gil, et mourir. Triple descente : vers le sud, vers l’Enfer et vers la Mort. Conrad Aiken, le poète-romancier, métaphorise chaque instant, l’élargit, lui donne les ailes de l’évocation, la puissance de l’image, le véhicule d’une langue pressée, haletante, marquée par la peur qui, lancinante, harcèle les trois personnages.

Absalon ! Absalon !, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 11 Novembre 2020. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

Absalon ! Absalon !, (Absalom ! Absalom !, 1936), trad. américain, René-Noël Raimbault, 432 pages, 13,90 € . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Gallimard

On est toujours intimidé quand on projette de parler d’un des plus grands romans de l’histoire littéraire. Comment ne pas l’être tant ce livre est désormais installé – au-delà de la littérature – dans le domaine des mythologies occidentales. Claude Lévi-Strauss nous a appris à l’envi qu’une des caractéristiques fondatrices d’un mythe est sa répétition, la superposition dans la mémoire des peuples et tribus de plusieurs versions de la même histoire, avec, à chaque fois, quelques détails qui changent. C’est le choix narratif de Faulkner dans ce roman. Il reprend encore et encore la même histoire, mais avec des points de vue différents, des changements de narrateurs, des faits « oubliés » ou racontés avec un autre relief. Ce qui est sûr, c’est que les points de changement, les variations narratives, les détails différents, apportent toujours un approfondissement des personnages, une accentuation des flux de conscience qui mène à la construction d’une narration et de personnages vertigineux. William Faulkner tresse ici, jusqu’à l’obsession, les fils de ses obsessions justement. Celles qui fondent son œuvre et qui hantent la littérature du Sud : la chute, la dépravation, le mal. Quentin, le narrateur inaugural, fait ainsi la présentation de Sutpen – on notera que Faulkner adopte alors une langue purement poétique, comme pour nourrir d’emblée son projet de bâtir un mythe, par un chant homérique.