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Un été sans les hommes, Siri Hustvedt, Actes Sud (par Marie Duclos)

, le Mardi, 07 Décembre 2021. , dans USA, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Babel (Actes Sud)

Un été sans les hommes, trad. anglais, Catherine Le Bœuf, 224 pages, 18,30 € . Ecrivain(s): Siri Hustvedt Edition: Babel (Actes Sud)

 

Ce roman est une pérégrination entre générations, déclenchée par une pause sentimentale entre Mia, épouse blessée qui déroule le récit, et son mari Boris, neurobiologiste. Le ton peut être humoristique quand Mia nomme la maîtresse de son mari « la Pause », mais il devient triste et touchant lorsqu’elle explique que cet événement a déclenché son hospitalisation en milieu psychiatrique pour une psychose.

Mia, à la suite de cet enfermement, va rejoindre sa mère et reprendre une vie relationnelle à distance de son mari. Ces relations vont aller du club de lecture de sa mère à la classe de poésie qu’elle anime pour un groupe d’adolescentes complexes, en passant par une voisine mère de famille au bord de la rupture. Mia analyse avec finesse et précision les états d’âme de toutes ces personnes et va de l’une à l’autre. La fiction est donc composée de plusieurs voix émanant de femmes d’âge différent et vivant des situations différentes. Elle se nourrit aussi de chacun, mais surtout elle prend le parti de donner d’elle-même, ce qui lui permet de prendre de la distance par rapport à son aventure conjugale qu’elle aborde avec une intelligence émotionnelle retrouvée peu à peu au contact des autres et de sa fille Daisy.

Le petit fiancé, récits du Ghetto de New York Abraham Cahan (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Novembre 2021. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Nouvelles, Zoe

Le petit fiancé (The Imported Bridegroom and Other Stories of The New York Ghetto, 1898), Abraham Cahan, traduit de l’américain par Isabelle Rozenbaumas, 177 pages Edition: Zoe

Un court roman et une courte novella nous plongent dans une tradition aussi ancienne que la culture juive d’Europe centrale : le conte, le récit imaginaire dans les faits mais qui plonge ses racines au plus profond de la réalité juive dans l’aventure de l’exil auquel l’antisémitisme l’a contrainte. Deux joyaux, disons-le d’entrée, d’une vie, d’un esprit, d’une ironie de chaque page, de chaque ligne, qui ne peuvent que réjouir pleinement le lecteur le plus exigeant.

Le Petit Fiancé est un chef-d’œuvre de condensation littéraire. Dans une économie de moyens stupéfiante, Cahan nous emmène dans une histoire qui, de New York à Pravly, et retour, concentre magistralement le destin des Juifs émigrés en Amérique à la fin du XIXème siècle. Le fait même d’inscrire cette histoire dans un aller-retour entre la modernité grandissante de la grande ville américaine et le bourg du pays d’origine, produit un effet saisissant non d’éloignement géographique mais temporel. Le vieux Azriel plonge dans le temps, dans sa mémoire – et dans celle de milliers d’émigrés - quand il redécouvre 35 ans plus tard les rues et ruelles de Pravly, stupéfait par l’exiguïté des lieux, rétrécis par les années passées dans les vastes avenues new-yorkaises.

The Civil War : A Narrative, Shelby Foote (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux , le Mardi, 23 Novembre 2021. , dans USA, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Histoire

 

Vol 1 : Fort Sumter to Perryville (1958)

Vol 2 : Fredericksburg to Meridian (1963)

 

La méthode Foote

Foote historien ou Foote écrivain ? Les deux sont indissociables. Mais Foote lui-même, débutant The civil War, se présente comme avant tout écrivain. Ses sources sont principalement les archives militaires – un corpus considérable de 128 volumes, la presse populaire, les archives familiales de grandes familles qu’il a pu contacter individuellement ; ainsi qu’une poignée d’ouvrages. Ce matériau est ensuite intégré au récit de Foote, désireux de ne voir aucune note ou bas de page rompre le flot.

L’Insigne rouge du courage, Stephen Crane (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 16 Novembre 2021. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallmeister

L’Insigne rouge du courage (The Red Badge of Courage, 1895), Stephen Crane, trad. américain, Pierre Bondil, Johanne Le Ray, 211 pages, 8,50 € Edition: Gallmeister

 

Roman culte, source de toute littérature sur la guerre de Sécession, ce livre est d’abord – dans son ouverture – une série de tableaux vivants de scènes de la terrible guerre civile qui ensanglanta l’Amérique de 1861 à 1865. Tableaux au sens le plus pictural du terme, tant ombres et lumières, éblouissements et ténèbres, couleurs et reflets s’entrecroisent et se disposent à la manière de l’art d’un peintre. Le champ lexical visuel envahit le récit, envoyant comme une obsession des images qui marquent l’imagination et la mémoire. Aux scènes toujours en mouvement de Shelby Foote (Shiloh) et de Lance Weller (Wilderness, Le cercueil de Job), Stephen Crane fait écho au contraire par l’immobilité des moments de la narration. Si Foote et Weller ont proposé des séquences filmiques, Crane propose une projection de diapositives, de photos fixes. A l’opéra, Crane préfère des tableaux enchaînés à la manière d’Henry Purcell dans son King Arthur, arias sombres et graves succédant à arias guerriers et éclatants.

L’histoire de l’amour, Nicole Krauss (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 09 Novembre 2021. , dans USA, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

L’histoire de l’amour (The History of Love, 2006), trad. américain, Bernard Hœpffner, 459 pages, 9,20 € . Ecrivain(s): Nicole Krauss Edition: Folio (Gallimard)

Dès les premières pages, le phrasé du narrateur nous emmène dans les rues du shtetl, loin, aux frontières de la Pologne et de la Russie, dans un pays qui n’existe plus : le village des Juifs miséreux que les pogroms puis les nazis ont exterminés ou fait fuir là où ils pouvaient vivre – ou survivre – encore. Le phrasé du conteur avec son humour désabusé, son souci du détail, sa langue visuelle, cette langue prodigue qui colorait un peu la grisaille et la misère des jours et des nuits d’angoisse, de pauvreté et de désespoir, reproduisent comme un conte du Shtetl ou une narration d’un personnage de Bernard Malamud.

Quand je suis arrivé en Amérique, je ne connaissais presque personne, si ce n’est un cousin éloigné qui était serrurier, et j’ai donc travaillé pour lui. S’il avait été cordonnier, je serais devenu cordonnier ; s’il avait pelleté de la merde, moi aussi j’aurais pelleté. Mais. Il était serrurier. Il m’a appris le métier, et c’est ce que je suis devenu. Nous avions une petite affaire, tous les deux, et puis une année, il a attrapé la tuberculose, on a dû lui enlever le foie, sa température est montée jusqu’à 41 et il est mort, alors j’ai repris l’affaire. J’envoyais à sa femme la moitié des bénéfices, même après son mariage avec un médecin et son déménagement à Bay Side. J’ai fait ce métier pendant plus de cinquante ans. Ce n’était pas ce que je m’étais imaginé faire. Et pourtant. En vérité j’ai fini par l’aimer, ce métier. J’aidais à entrer ceux qui étaient enfermés dehors, j’aidais d’autres à laisser dehors ceux qui ne devaient pas entrer, pour qu’ils puissent dormir tranquilles.