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Roman

Le ravin du chamelier, Ahmad Aboukhnegar

Ecrit par Patryck Froissart , le Lundi, 18 Juin 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Pays arabes, Moyen Orient, Sindbad, Actes Sud

Le ravin du chamelier, Actes Sud, Sinbad, (2012), trad. de l’arabe (Egypte) par Khaled Osman, 207 p. . Ecrivain(s): Ahmad Aboukhnegar Edition: Sindbad, Actes Sud

Il arrive qu’une caravane s’égare, et dresse le camp à proximité d’une oasis.

Il arrive que, le temps d’une veillée, les nomades et les sédentaires, refoulant leur antagonisme atavique, partagent le méchoui, dans un lieu neutre, à l’écart du douar, à l’écart de la piste.

Il arrive que les chameliers reprennent ensuite l’itinéraire ancestral en abandonnant un des leurs, pour le punir d’avoir, par étourderie, mis la troupe en péril.

Il arrive qu’un chamelon partage tout avec son jeune maître qui le consulte et tient compte de ses avis, et qu’ils fument ensemble la gôza.

« Dans quelques jours et encore moins de nuits, mon père rentrera, alors je me réveillerai de ce cauchemar ». Le chamelon hocha la tête…

Il arrive que, tout en espérant qu’un jour la caravane repasse et que lui soit rendu son rang dans la file, le chamelier adolescent, son chamelon empli de sagesse et une chamelle blessée s’installent dans un ravin sauvage où les villageois ne doivent, par tabou, jamais poser le bout du pied, et où règne, sur un monde de djinns et d’animaux des ténèbres, un couple de gigantesques seigneurs serpents.

Ouatann, Azza Filali

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 15 Juin 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Maghreb

Ouatann, Azza Filali, Editions Elyzad (Tunis), mai 2012, 391 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Azza Filali

 

Dans son chef-d’œuvre Une maison pour Monsieur Biswas, V. S. Naipaul décrit un personnage obstinément désireux d’avoir sa propre maison où il sera libre et indépendant des autres. Idée et envie extraordinaires au regard de ses conditions de vie misérables dans une petite île des Caraïbes. Mr Biswas s’effondrera littéralement en accomplissant cet effort exceptionnel. La maison dans le roman est aussi une métaphore ; celle du pays ; du pays à créer sur une terre issue de l’esclavage. Dans Ouatann, le roman de la Tunisienne Azza Filali, c’est également d’une maison qu’il s’agit ; au sens propre et au sens figuré. Une maison construite à l’époque coloniale par un Français, monsieur Jacques, dont la tombe occupe un petit coin du jardin luxuriant. Tout tourne autour de cette construction située sur la pointe d’une corniche, un endroit a priori idyllique, face à la méditerranée dont on ne décrit plus la beauté. Cette maison, grande, belle, confortable, est pleine de trappes et de remises, ce qui n’est pas préjudiciable en soi, tout dépendant de l’usage qu’on en fait. Rachetée par Si Mokhtar, vieux commerçant de Tunis, elle n’est ni à l’abandon ni tout à fait habitée. Si Mokhtar pensait à son fils en l’achetant ; mais celui-ci a émigré au Canada où il s’est marié et s’est installé définitivement – ne revenant au pays qu’en coup de vent, pour une ou deux semaines tout au plus.

Les affligés, Chris Womersley

Ecrit par Yann Suty , le Mercredi, 13 Juin 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Albin Michel, Océanie

Les affligés (The Wilding), trad. de l’anglais (Australie) par Valérie Malfoy, 328 p. 20 € . Ecrivain(s): Chris Womersley Edition: Albin Michel

Difficile de dire à quel genre appartient Les Affligés. L’auteur semble d’ailleurs se faire un malin plaisir à nous embarquer dans une direction pour mieux nous tromper par la suite. Drame de l’après première guerre mondiale ? Histoire de vengeance ? Roman gothique ? Western sauce australienne ? Un peu de tout cela à la fois.

Le roman s’ouvre par une tragédie. En 1909, la jeune Sarah Walker est violée, et assassinée. Son père et son oncle retrouvent son frère aîné, Quinn, seize ans, sur les lieux, un couteau à la main. Tout semble le désigner comme coupable. Quinn s’enfuit. Une chance pour lui, la région est ravagée par de fortes pluies qui effacent ses traces et il n’est pas retrouvé.

« On supposa que le fugitif de seize ans avait connu une fin conforme à l’idée que l’humanité se faisait de la justice immanente. Des hypothèses populaires à une certaine époque prétendirent qu’il avait été dévoré par les dingos rôdant dans les montagnes du voisinage ; qu’il était tombé dans un puits de mine, qu’il avait été transpercé par le javelot d’un Aborigène ».

En 1916, la mère de Quinn reçoit un télégramme lui faisant part de son décès dans le premier corps expéditionnaire australien envoyé en France.

Sept façons de tuer un chat, Matías Néspolo

Ecrit par Cathy Garcia , le Dimanche, 10 Juin 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Amérique Latine, Thierry Magnier

Sept façons de tuer un chat, trad. de l’espagnol (Argentine) par Denise Laroutis, 2012, 254 p. 22,30 € . Ecrivain(s): Matias Nespolo Edition: Thierry Magnier

 

Cette histoire est un premier roman plutôt réussi. Un récit nerveux, sec, dense et noir, qui laisse peu de place à la respiration, très vivant aussi grâce aux très nombreux dialogues dans lequel le traducteur retranscrit le style et le ton du lunfardo, l’argot de Buenos Aires. Le Gringo celui qui raconte et Chueco, le Tordu, son copain d’infortune, sont deux adolescents, mais l’âge ici a peu d’importance, on vit vite et on meurt tôt dans ce bidonville en périphérie de la capitale argentine. L’existence est un rouleau compresseur, misère, violence, corruption en guise de sainte trinité, et toute tentative pour sauter hors du bocal est vouée à l’échec. Pas d’espoir pour ceux et celles qui sont nés du mauvais côté, parents perdus très vite, la petite rapine de survie quand elle ne conduit pas au trou, mène en chute libre dans la guerre des dealers. Chueco le Tordu n’y échappera pas. L’amitié ici est fragile, à la merci de n’importe quelle trahison et l’amour n’y a pas sa place. Même sur le point de passer son bac, la jeune Délia dont Le Gringo est amoureux, n’échappera pas au droit de cuissage de Jetita, un chef de gang. Le trottoir et les coups sont la destination souvent finale des filles et femmes de ces quartiers. Drogues, alcool sont les seules et illusoires portes de sortie de cet enfer et Mamina, une vieille, pauvre mais courageuse femme, tente de redonner un peu de dignité à ces gamins de la rue en les recueillant et les élevant comme elle peut.

Temps du rêve, Henry Bauchau

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 24 Mai 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Actes Sud

Temps du rêve, Actes Sud, Un endroit où aller, 71 p. 13 € . Ecrivain(s): Henry Bauchau Edition: Actes Sud

 

Le passage, du temps de l’enfance à l’adolescence, du temps de l’amour parental et des rêves d’enfant, à ce basculement que représente le premier amour, et les rêves plus flous qui l’accompagnent : « Il me semble que tout ce qui m’amusait jadis ne m’est plus d’aucun prix. Je suis précipité dans le rêve et la solitude, d’un seul coup » (p.44). Rien de plus classique, mais ici l’échange prend place, et c’est aussi ce qu’il a de particulier, en quelques heures, quelques heures qui irradient toute une existence, par ce rapprochement dans le temps, du jeu et de l’amour :« Nous n’avons joué ensemble qu’une seule fois, mais d’une façon qui m’a illuminé et elle aussi » (préface).

Henry Bauchau revit, après la perte d’un grand amour, cet après-midi d’été qui a ouvert sa vie à cet appel d’air : lui a onze ans, elle, huit, cet âge où comme il l’écrit, le « genre » de la petite fille est encore indéterminé : « (…) de suite un peu brutale comme elles le sont souvent à cet âge où elles possèdent, sans pouvoir s’équilibrer, les forces garçonnières » (p. 26). Un « petit diable », un garçon manqué, un lutin, une fée ? En tout cas une initiatrice. En ces quelques heures, une porte s’ouvre, qui ne se refermera plus. Le monde apparaît clivé, dans une sorte de deuxième naissance : le cœur s’éprouve battre :