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Roman

Rue des voleurs, Mathias Enard (2ème recension)

Ecrit par Yann Suty , le Vendredi, 28 Septembre 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Actes Sud, La rentrée littéraire

Rue des voleurs, 256 p. 21,50 € . Ecrivain(s): Mathias Enard Edition: Actes Sud

Voilà un livre politique, mais aussi (d’abord ?) un livre d’aventures qui prend pour toile de fond le Printemps arabe. La petite histoire d’un individu plongée dans la grande, encore très fraîche.

Le livre commence très fort :

« Je suis un être humain, donc un détritus vicieux esclave de ses instincts, un chien, un chien qui mord quand il a peur et cherche les caresses ».

Le chien en question, c’est Lakhdar, un jeune Marocain de Tanger. Il a dix-sept ans, mais plutôt douze dans sa tête, avoue-t-il. Et les caresses qu’il recherche, ce sont celles de sa cousine Meryem, aux formes affriolantes. Mais au Maroc, certaines choses sont interdites à ceux qui ne sont pas mariés… Qu’à cela ne tienne ! Mais les deux jeunes gens se font surprendre par la famille. Incompréhension. Honte. Lakhdar est battu par son père. Il s’enfuit de la maison parentale. Il est trop orgueilleux pour revenir, demander pardon.

Commence alors une cavale. Séquence Oliver Twist. Lakhdar vagabonde à travers le pays, vit de mendicité. Quelque temps plus tard, il revient à Tanger. Grâce à l’entremise de son ami Bassam, il rejoint le « Groupe musulman pour la diffusion de la pensée coranique » et devient libraire. Mais certains membres du groupe ont parfois des comportements très étranges…

Voyage à Bayonne, Gaëlle Bantegnie

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 28 Septembre 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Gallimard, La rentrée littéraire

Voyage à Bayonne, Gallimard/L’Arbalète, 170 pages, 30 août 2012, 15,90 € . Ecrivain(s): Gaëlle Bantegnie Edition: Gallimard

Été 1998. L’équipe de France de football, match après match, se dirige vers une victoire historique. Emmanuelle et Boris, jeunes profs mariés depuis deux ans, ne vont s’apercevoir de rien, ni de l’euphorie ambiante qui dure des semaines pourtant, ni même, plus ordinairement, du beau temps qu’il fait. Un peu comme deux êtres sourds et aveugles au stade de France lors de cette fameuse finale.

Certes, il y a eu, juste avant, en avril, à l’occasion d’un voyage scolaire à Paris, la « coucherie » de Boris avec une collègue prof de lettres. Il l’a avoué lui-même d’ailleurs quelques semaines après, n’en pouvant plus d’avoir mauvaise conscience. A la décharge de Boris, il faut le dire, c’est Emmanuelle elle-même qui, avant le mariage, a proposé à son futur époux ce qu’elle a appelé le « principe d’afidélité ».

« Ils étaient convenus alors, en buvant des verres de saké avec des filles nues tout au fond, qu’ils s’autoriseraient à se tromper à l’occasion et que donc ça ne s’appellerait plus tromper ».

« Elle y adhérait parce que cette règle lui semblait aller dans le sens de l’Histoire et qu’elle se persuadait que leur couple concourrait ainsi au progrès universel des mœurs, jugeant qu’il n’y avait rien de plus réactionnaire que la notion d’adultère et rien de plus archaïque que la jalousie afférente ».

Murtoriu, Marc Biancarelli

, le Mercredi, 19 Septembre 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Actes Sud, La rentrée littéraire

Murtoriu (Le glas), trad. du corse par Jérôme Ferrari, Marc-Olivier Ferrari et Jean-François Rosecchi, 5 septembre 2012, 270 p. 22 € . Ecrivain(s): Marc Biancarelli Edition: Actes Sud


Marc-Antoine Cianfarelli vit à contre-courant. Se définissant lui-même comme un poète raté doublé d’un libraire raté, il choisit de fermer boutique dès que l’été fait déferler sur la Corse son flot de touristes ; il se rend alors dans le berceau de sa famille, les Sarconi, « un petit village blotti dans sa coquille, asphyxié entre les pins et les châtaigniers ». Dans ce repaire, il se plait à goûter des moments de grande paix « enveloppé par une nature sublime et généreuse ». Pourtant, de tels instants sont rares ; la solitude et l’absence de femmes pèsent au libraire et dès qu’il revient en ville, la vanité de la société actuelle l’horripile. Il se met à ruminer et à déblatérer, ici sur les politiciens, là sur les pistonnés, ou encore sur les « pinzuti  et les lucchesi que l’été vient vomir sur nos côtes ». Personne ne trouve grâce à ses yeux. Les Corses sans doute encore moins que les autres. D’ailleurs Marc-Antoine qui n’a appris la langue corse que sur le tard, à un moment où ses locuteurs étaient déjà regardés de haut, se sent-il tout à fait corse ? On peut en douter quand il confie : « j’ai compris que j’avais toujours été un étranger. Les vieux me menaçaient de leur bâton, me forçaient à parler aux chiens, les gamins qui attendaient le car avec moi voulaient me renvoyer sur le bateau et les gens d’aujourd’hui me menaçaient de leurs sourires en coin et de leur regard condescendant ».

Badawi, Mohed Altrad

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 19 Septembre 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Babel (Actes Sud)

Badawi, 254 p. 6,60 € . Ecrivain(s): Mohed Altrad Edition: Babel (Actes Sud)

 

A quel prix se paye la conquête de la liberté ? Cette dernière doit-elle passer par l’effacement de sa vie, de ses origines, de ses racines ?

Mohed Altrad, dans son roman Badawi pose cette question, sans que celle-ci ne revête jamais un caractère inactuel ou passéiste.

Un jeune bédouin, Maïouf, est en bute aux contraintes imposées par sa famille, qui lui interdisent l’accès à l’école, une liberté de mouvement minimale, le libre choix de sa conjointe. Pour conquérir cette liberté, Maïouf fréquente l’école presque clandestinement, se joue de l’influence néfaste exercée par sa grand-mère, personnage habité par la volonté de nuire et de répandre le mal autour d’elle. Cette libération passe pour le jeune Maïouf, par l’excellence scolaire. Il l’atteint, se fait remarquer par ses enseignants, qui lui offrent une place dans un pensionnat, à Raqqah, localité de Syrie pas comparable à Damas ou Alep dans ses dimensions, mais qui lui ouvre les portes vers le monde extérieur. Sa situation de fils d’une femme répudiée entretient également sa révolte intérieure.

Discordance, Anna Jörgensdotter

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Lundi, 17 Septembre 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Pays nordiques, Jean-Claude Lattès, La rentrée littéraire

Discordance, août 2012. Trad suédois Martine Desbureaux. 535 p. 22,50 € . Ecrivain(s): Anna Jörgensdotter Edition: Jean-Claude Lattès

 

Discordance est un roman de femme. Allons bon, c’est bien la peine d’écrire un article pour dire ça, tout le monde l’a bien vu. C’est pourtant un roman de femme. Un roman qui dit d’une femme et sur les femmes ce qu’aucun homme ne pourrait ni dire ni sentir ni vivre.

On est en Suède, sur deux décennies. 1938-1958. On commence fort : la maison de Melle Filipsson brûle. Avec Melle Filipsson dedans !

« C’est Edwin qui a sorti le cadavre, il le sait. Svarten le lui a dit quand il est arrivé. Le corps était carbonisé, et lui, Edwin, avait posé son blouson de cuir sur son visage à elle, Malva Filipsson. Ca a dû être horrible. »

Cet incendie peut être entendu comme une métaphore du livre qui suit : des femmes vouées aux flammes. Ce n’est plus le bûcher des sorcières mais celui de la vie qui leur est promise. Cent fois damnées sur terre : Enfance de servantes familiales, adolescence de proies sexuelles, mariages plus ou moins voulus, vie de domestique, vieillesse (rare) de solitude. Et les enfantements terribles, douloureux et souvent mortels :