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Roman

Une odyssée américaine, Jim Harrison

Ecrit par Lionel Bedin , le Jeudi, 22 Mars 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, J'ai lu (Flammarion)

Une odyssée américaine, (titre original The English major), traduit de l’américain par Brice Matthieussent, 2010 283 p. 6,70 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: J'ai lu (Flammarion)

Au début Une odyssée américaine de Jim Harrison commence comme un roman de gare : un banal divorce dans le Michigan. Cliff et Vivian se séparent au motif qu’ils ne se comprennent plus. Il est passé de professeur de littérature à paysan, elle vend maintenant des appartements de luxe à une clientèle fortunée. Séparation. Que faire ? Le déclic : la mort de la chienne, et un puzzle « datant de mon enfance. Il y avait quarante huit pièces, une pour chaque État, toutes de couleurs différentes. La boite contenait aussi des informations sur l’oiseau et la fleur associée à chaque État ».

Du passé faisons table rase. Kerouac, Thoreau et Emerson dans la tête, des souvenirs cuisants, un puzzle des États-Unis… l’idée de « partir » s’impose. Tenter d’y voir clair ? « Impossible. Tu essaies d’entamer une vie nouvelle à soixante ans, c’est tout aussi impossible. La seule chose que tu peux faire, c’est des variations sur le thème habituel. Tu es un raton laveur acculé par les chiens de meute de la vie ». Que faire contre le poids du passé, des habitudes, des phrases du père qui résonnent encore, de ce frère mort… Au moins, prendre une décision. Peut-être cesser de se demander pourquoi les gens se séparent, pourquoi les grandes et bonnes intentions de la vie de couple finissent par s’effilocher. Cesser de croire aux grands choses, aux grands desseins, au destin. « Peut-être que la vie se réduit à une succession de mesures temporaires ». Peut-être que « le monde est un lieu instable, mon esprit aussi ».

Le Caire à corps perdu, Khaled Osman

Ecrit par Nadia Agsous , le Mercredi, 21 Mars 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Pays arabes, Vents d'ailleurs

Le Caire à corps perdu. Septembre 2011. 18 € . Ecrivain(s): Khaled Osman Edition: Vents d'ailleurs

« Cette révélation l’avait entièrement déboussolé. Il avait regagné précipitamment sa chambre où il avait perdu du temps à tourner en rond, sondant désespérément sa mémoire à la recherche d’un indice quelconque. Complètement affolé, il regardait autour de lui, jetait des coups d’œil dans la rue. A plusieurs reprises, il avait fouillé dans les poches de son pantalon, cherchant avec fébrilité le moindre papier qui pourrait lui servir d’indice, mais il n’y avait rien d’autre que les quelques billets froissés ».

Ce texte est un extrait du premier roman de Khaled Osman, traducteur d’œuvres de fictions d’auteurs arabes célèbres tels que Naguib Mahfoud, Gamal Ghitany, Sahar Khalifa et bien d’autres.

Raconté à la troisième personne, Le Caire à corps perdu promène les lecteurs/trices sur une échelle de temps qui oscille entre le présent d’énonciation dont la fonction est d’attribuer aux péripéties du protagoniste et à l’action des personnages une dimension réelle. Et le passé proche et lointain, notamment par le truchement d’analepses qui immergent les lecteurs/trices dans un cadre spatial et temporel qui renvoie à deux types de passé et à deux espaces différenciés lesquels contribuent à donner davantage de sens au récit et à son dénouement. D’une part, à son enfance, à l’époque où il vivait encore au Caire, à son adolescence notamment lors de ses retours sporadiques dans sa ville natale. Et d’autre part, à sa vie d’adulte en Europe où il a exilé depuis de très nombreuses années.

Le séjour à Chenecé, Jean-Paul Goux

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 20 Mars 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Actes Sud

Le séjour à Chenecé ou les quartiers d’hiver (3), mars 2012, 107 pages, 14 € . Ecrivain(s): Jean-Paul Goux Edition: Actes Sud

On ouvre un tiroir, qui ouvre un tiroir, qui ouvre un tiroir… un emboîtement, un meuble à secret. « Je n’ai rien trouvé » (p. 19) : lorsqu’il découvre dans un tiroir secret de la pièce dérobée, à demi cachée sous l’escalier principal, qu’il appelle « l’armoire », cette simple phrase, comme un défi à la curiosité de l’inventeur, Alexis pense que la vieille abbaye, devenue demeure familiale de vacances pour toute une tribu généalogique de cousins et de branches ramifiées, cache en son cœur une chambre noire, une pièce secrète jamais mise à jour, crypte ou souterrain insondable.

Le narrateur se met en abyme par un ricochet de mots, de situations :


(p. 24) : « Comment penser sans penser qu’on est en train de penser, par quoi l’on est empêché de penser à quelque chose de précis ? »

(p. 28) : « L’embryon de pensée qui aurait permis d’établir une liaison avec une autre pensée… (…) »

(p. 36) : « (…) et je ne doutais pas qu’en n’en disant rien Lucien n’ait souhaité lui conserver les vertus de son rayonnement alors même qu’il me suggérait qu’il le connaissait afin que dans le secret du silence nous partagions l’indicible secret ».

La deuxième personne, Sayed Kashua

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 18 Mars 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, L'Olivier (Seuil), Moyen Orient

La deuxième personne. Sayed Kashua. Trad. Hébreu Jean-Luc Allouche. L’Olivier février 2012. 356 p. 23 € . Ecrivain(s): Sayed Kashua Edition: L'Olivier (Seuil)

Qui, mieux qu’un Arabe israélien, peut se poser – et nous poser - la question de l’identité ? Pas seulement celle d’un citoyen arabe dans l’état d’Israël – ce serait intéressant mais un peu court – mais au-delà, de l’identité dans sa dimension la plus métaphysique.

Sayed Kashua nous raconte le destin de deux arabes israéliens – les destins plutôt, car il s’agit de deux trajectoires distinctes qui vont, en fin de compte, se croiser – dans une technique de construction qui n’est pas sans évoquer les films d’Alejandro Gonzalès Iñarritu.

L’un est « l’avocat » (on ne saura jamais son nom). Représentant type d’une moyenne bourgeoisie arabe israélienne, assurément attachée à ses racines et au destin de la Palestine, mais néanmoins citoyen israélien, loyal et – presque – fier de sa nationalité ! L’argent, la Mercédès noire, la belle maison, la piscine … Les rêves matériels (et symboliques) d’une middle class palestinienne d’Israël.


« L’avocat s’assura que sa fille avait bouclé sa ceinture à l’arrière de sa Mercédès noire, tandis que son épouse attachait le bébé dans sa Golf bleue. Hormis le jeudi, c’était sa femme qui conduisait leur fille à l’école et le bébé chez sa nourrice… »

Le Diable, tout le temps, Donald Ray Pollock

Ecrit par Yann Suty , le Mercredi, 14 Mars 2012. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, Albin Michel

Le Diable, tout le temps (The Devil All The Time), 1er mars 2012, traduit de l’américain par Christophe Mercier, 376 p., 22 € . Ecrivain(s): Donald Ray Pollock Edition: Albin Michel

Le Diable, tout le temps est un livre « White Trash ». Terme qui désigne les laissés pour compte blancs des Etats-Unis, vivant dans des endroits miteux et qui essayent de joindre les deux bouts comme ils peuvent. Petits boulots, combines. Le cadre est sale et hostile, on boit, on se drogue, on se lave peu, très peu. Souvent, le seul moyen de s’arracher à sa condition est la violence.

Violent le livre l’est, assurément, et cette violence est d’autant plus palpable qu’elle est rendue par le style sec de l’auteur. Donald Ray Pollock ne se livre pas à de grandes envolées lyriques, de métaphores, de descriptions paysagères à la manière de Cormac McCarthy dont l’univers pourrait être proche (on pense à certains de ses livres comme Suttree ou Un enfant du bon dieu). Le ton est direct, froid, presque clinique. La phrase n’est jamais longue, ne s’envole pas, mais c’est pour mieux prendre à la gorge et ne plus resserrer son étreinte.

De la fin de la seconde guerre mondiale aux années 60, Le Diable, tout le temps met en scène plusieurs personnages, de l’Ohio à la Virginie Occidentale. Il y a Willard Russel, vétéran de l’enfer du Pacifique qui revient du pays hanté par des visions d’horreur. Son fils, Arvin, désemparé par le comportement de son père quand sa mère tombe malade. Carl et Sandy, un couple qui écume les routes à la recherche d’auto-stoppeurs qu’ils tueront après de sordides séances photos.