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Récits

Le corps de ma mère, Fawzia Zouari

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Vendredi, 06 Mai 2016. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Maghreb, Joelle Losfeld

Le corps de ma mère, mars 2016, 232 pages, 20 € . Ecrivain(s): Fawzia Zouari Edition: Joelle Losfeld

 

Au mois de janvier 2011, alors que la Révolution de Jasmin, ou Révolution de la Dignité, vient d’éclater en Tunisie, Fawzia Zouari revêt la mélia (costume traditionnel) de sa mère, et à son mari qui lui dit en parlant de cette dernière : « Il te faut donc une révolution pour te sentir autorisée à écrire sur elle », elle s’entend répondre : « Maintenant, je comprends. Ce sont les mots qu’elle m’a laissés en héritage, à son corps défendant ».

Nous revenons alors au printemps 2007, où sa mère se meurt dans un hôpital de Tunis. Nue, parce que dans la tradition berbère une femme est nue lorsque ses cheveux sont découverts, aveugle, elle est entourée de sa famille au sens le plus large du terme, jusqu’aux bédouins du Nord et du Sud qui sont venus lui dire un dernier adieu et se perdent dans les couloirs de l’hôpital. Mais parmi tous ces gens, il n’y a personne pour lui « raconter » sa mère. Encore moins les hommes à propos desquels sa mère disait : « Á défaut d’hériter de nos secrets, les hommes héritent de notre mort, puisqu’il leur revient de marcher seuls derrière notre cercueil ».

Monsieur Léon, juif russe, Daniel Chambon

Ecrit par Gilles Brancati , le Jeudi, 05 Mai 2016. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Monsieur Léon, juif russe, Les Éditions de Paris, avril 2014, 185 pages, 16 € . Ecrivain(s): Daniel Chambon

Les Russes ont cette coutume : ils vont pique-niquer sur la tombe de leurs défunts pour entamer avec eux un dialogue. C’est ainsi que commence ce récit. L’auteur vient chercher auprès de son grand-père décédé, l’histoire de sa famille. Et Evsei-Leib Doubrovsky ne se fait pas prier pour raconter sa vie et celle de ceux qui l’ont entouré, parents, enfants, oncles, tantes, cousins…

Les juifs, en Russie, sont cantonnés dans une zone dite « zone de résidence », leurs droits sont restreints et ils sont victimes de pogroms. Comme toujours ils sont les victimes expiatoires d’une humanité sans repères dès que quelque chose va mal. Evsei-Leib, jeune homme, s’enfuit pour la France, pays d’accueil, où il sait qu’il sera accueilli par ceux qui l’ont précédé. Pour affirmer sa volonté de s’intégrer, il prend le prénom de Léon et s’engage dès le début de la Grande Guerre. Elle ne voudra pas de lui à cause de sa santé précaire et le réformera.

Il travaille comme tailleur, comme tous les autres parce que le métier s’apprend de père en fils et que tant d’autres voies leur sont interdites. C’est l’époque du sur-mesure et la naissance du prêt-à-porter. Après le décès de Rachel, sa première épouse dont il a eu un fils, Jean-Charles, la Belle Jardinière, en avance sur son époque, lui confie du travail et l’envoie à Stamboul où il rencontre Anna qu’il épouse et donnera naissance à un garçon et deux filles.

Cadavres en sursis, Philip Mechanicus

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 02 Mai 2016. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Histoire

Cadavres en sursis, éd. Notes de Nuit, avril 2016, trad. néerlandais Daniel Cunin, 300 pages, 21 € . Ecrivain(s): Philip Mechanicus

 

Entre journal intime et mémoire collective, Cadavres en sursis restera une œuvre capitale sur les camps de la mort. Refusant une attitude passive face à la vie, l’auteur lutta jusqu’au bout, porté et emporté par elle en refusant l’issue qui était pourtant inéluctable. Il fit de la mort des autres en prélude à la sienne le moyen de témoigner en pleine connaissance d’un processus tragique dont il montra tout ce qu’il avait de répugnant. Et c’est un euphémisme.

A l’origine le camp de Westerbork était sensé héberger des réfugiés juifs allemands. Après l’invasion de la Hollande par les Nazis, le camp passa sous leur administration. Dès ce moment il devint le corridor (à diverses strates) pour « transvaser » (écrit Mechanicus) les juifs hollandais de leur pays d’origine vers camps de Pologne. Sous couvert officiel d’« émigration », les juifs furent donc portés de toute la Hollande via Westerbork vers le massacre de masse jusqu’à la fin de 1944.

Le Monde d’Hier, Stefan Zweig

Ecrit par Didier Smal , le Samedi, 30 Avril 2016. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Folio (Gallimard)

Le Monde d’Hier, avril 2016, trad. allemand Dominique Tassel, 592 pages, 7,70 € . Ecrivain(s): Stefan Zweig Edition: Folio (Gallimard)

 

 

Exilé au Brésil, à la veille de son suicide, Stefan Zweig (1881-1941) envoie à son éditeur un manuscrit qui ne contient pas tant ses mémoires que son témoignage sur les changements qu’a connus l’Europe depuis la fin du XIXe siècle, témoignage doublé d’une réflexion aiguë et pertinente sur ces changements : Le Monde d’Hier. Incidemment, ce livre peut aussi être lu comme un testament personnel à l’intention de tous (ce que Zweig veut laisser comme vision d’une Autriche et d’une Europe défuntes à un monde alors plongé en plein dans l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale) et comme une explication à ce terrible geste ultime (Zweig, en tant que Juif désormais stigmatisé comme tel et apatride, ne trouve plus sa place, lui qui a dû abandonner plusieurs vies derrière lui, toutes celles qu’il a menées et celles qu’il a côtoyées).

Le Lynx, Silvia Avallone

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 30 Avril 2016. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Italie, Editions Liana Levi

Le Lynx, trad. italien Françoise Brun (La lince, 2011, inédit publié par le Corriere della Sera), 64 pages . Ecrivain(s): Silvia Avallone Edition: Editions Liana Levi

 

Avec ce court récit de cette autrice juste trentenaire (elle est née en 1984), dont le roman D’acier a remporté un important succès en Italie comme chez nous, c’est une véritable petite pépite littéraire que nous offrent les éditions Liana Levi. En une cinquantaine de pages, Silvia Avallone nous montre un de ces basculements comme il peut parfois en survenir dans la vie d’un homme, imprimant irrémédiablement un avant et un après.

Nous faisons rapidement connaissance de Piero, sûr de lui, roublard, séducteur et bien sûr flambeur. Un petit truand qui se la joue et aime à vivre sur le fil, tutoyant plus que nécessaire la justice. Encombré d’une épouse qu’il a connue trop jeune, Piero refuse un peu de vieillir, de devenir raisonnable. Le personnage semble tout droit sorti du cinéma italien des années 60 entre les Vitelloni de Fellini (1), les Ragazzi de Pasolini et Bolognini (2), peut-être frère de Rocco (3). Un de ces trentenaires dont l’adolescence semble s’éterniser, jusqu’à ne jamais finir, jusqu’à devenir un style de vie que rien n’arrêtera jamais.