Identification

Récits

Calligraphie des rêves, Juan Marsé

Ecrit par Anne Morin , le Lundi, 16 Janvier 2012. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Biographie, Christian Bourgois

Calligraphie des rêves, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 412 p. 20 € . Ecrivain(s): Juan Marsé Edition: Christian Bourgois


Une lettre à l’adresse indécise, mal adressée, un messager hésitant entre la littérature et la musique, deux manières d’exprimer la moelle d’une réalité qu’il préfère placer à côté, ou mettre de côté. Un mal entendu, le doigt manquant, celui qui échappe à Ringo, l’empêchant de devenir pianiste et/mais l’obligeant à s’appliquer à tenir le stylo entre pouce et majeur, ne pas écrire n’importe quoi, repasser la phrase dans sa tête, avant de jeter les mots : chacun aura sa place comme les notes sur une portée : « (…) l’autre (main) s’obstine à cacher, avec pudeur, la première annotation, quand, attentif à d’autres échos et à un autre rythme, il décide de corriger et de préciser davantage. (…) Il croit que ce n’est que dans ce territoire ignoré et abrupt de l’écriture et de ses résonances qu’il trouvera le passage lumineux qui va des mots aux faits, endroit propice pour repousser l’environnement hostile et se réinventer soi-même » (p.207).

L’ « art de bien écrire », la transmutation. Fixer des rêves comme des vertiges, les laisser s’imprégner de réalité : « (…) C’est peut-être la première fois que ce garçon pressent, ne serait-ce que de façon imprécise et fugace, que ce qui est inventé peut avoir plus de poids et de crédit que la réalité, plus de vie propre et plus de sens, et par conséquent plus de possibilités de survie face à l’oubli » (p.19).

L'or des rivières, Nimrod

Ecrit par Theo Ananissoh , le Lundi, 26 Décembre 2011. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Afrique, Roman, Actes Sud

L’or des rivières, 2010, 126 p. 13 € . Ecrivain(s): Nimrod Bena Djangrang (Nimrod) Edition: Actes Sud

L’Or des rivières est un roman en sept récits. On peut le lire en commençant par le quatrième « chapitre » intitulé Les arbres. C’est, me semble-t-il, le moyen d’apprécier d’emblée le projet rare qu’accomplit Nimrod. Ce projet, le poète tchadien l’énonce dans le troisième récit intitulé Le retour : « Mon voyage n’avait pour unique objet que celui d’inscrire ma présence dans le paysage ». C’est le retour d’un « orgueilleux qui a les poches vides » dans un pays où la guerre, sporadique, dure depuis trente ans, dans un Tchad dont les paysages, jadis, émurent André Gide. Et comme Gide autrefois, Nimrod décrit en se décrivant et en se voyant sentir. Il parvient ainsi à ne pas rendre les armes devant une réalité qui est faite à la fois de beauté et de laideurs.

Face au pays dont, sans en avoir l’air, il n’escamote rien des afflictions, Nimrod oppose donc sa sensibilité et son esprit. C’est plus qu’un simple rempart. L’affaire est d’importance. Ce n’est pas impunément que le poète remet les pieds là où il est né. D’emblée, il s’agit de défendre et de se défendre. Les gens ici sont occupés à faire des révolutions ineptes, à rouler en Land Cruiser, à ignorer la beauté des lieux où ils se démènent ainsi. En réalité, le poète est au front. Dans Voyage au Congo, André Gide s’exclame presque : « A présent je sais ; je dois parler ». Par ces mots, il ne signifie pas qu’il doit s’engager, prendre parti, combattre, mais plutôt se défendre contre l’horreur de ce qui est, affirmer l’intégrité de son esprit.

L'enchanteur. Nabokov et le bonheur, Lila Azam Zanganeh (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 17 Décembre 2011. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, USA, Biographie, L'Olivier (Seuil)

L’Enchanteur. Nabokov et le bonheur. Trad. (anglais USA) Jakuta Alikavazovic. Octobre 2011. 228 p. 20 € . Ecrivain(s): Lila Azam Zanganeh Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Que faire de mieux, quand on écrit un livre qui porte le nom de bonheur dans son titre, que d’en faire un livre plein de bonheur ? Lila Azam Zanganeh n’y manque pas ! Son Nabokov, l’Enchanteur, est un remède contre toute forme déclarée ou pernicieuse, de déprime.

Ce livre est d’abord, bien sûr, une déclaration d’amour passionné à Vladimir Nabokov. « C’est là que j’ai découvert la texture du bonheur ». Rien moins ! Il nous faut avouer que cette entrée surprend a priori : Nabokov n’est pas – toujours – l’écrivain qui incarne le bonheur dans notre imaginaire de lecteur. On y voit volontiers des ombres, des malaises, une sexualité compliquée. Humbert Humbert, le héros de Lolita, ne symbolise guère un ciel sans nuage ! Non. C’est ailleurs que Lila Azam Zanganeh va chercher, au cœur de l’œuvre du maître, une source intarissable de bonheur. «  La joie profonde qu’inspirent Lolita ou Ada prend sa source ailleurs, dans une expérience de la marge et des limites (au sens quasi mathématique d’ouverture), qui devient celle de la poésie. Et cette poésie est félicité ou, comme le disait VN dans sa langue maternelle, en russe : blazhenstvo »

La mort de près, Maurice Genevoix

Ecrit par Guy Donikian , le Dimanche, 11 Décembre 2011. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon

La mort de près, La table ronde, "la petite vermillon", 141 p. 7 € . Ecrivain(s): Maurice Genevoix Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

« Une longue existence, lorsqu’elle approche de son terme, propose des perspectives plus spacieuses et plus simples, en quelque sorte désencombrées. »


C’est en ces termes que Maurice Genevoix, clôt son récit. Un récit qui paraît en 1972, alors que l’auteur est déjà âgé, et qu’il sent sa fin proche. Si « Ceux de 14 » était le récit cathartique du jeune normalien où le rythme du récit est lié au besoin de témoigner de l’horreur, « La mort de près » apparaît comme apaisé, débarrassé des scories de l’émotion, désencombrées dit-il. Et plus loin : « ce qui a compté s’affirme, s’impose, avec une évidence qui devient vite impérative, car la conviction l’accompagne que cet acquis ne nous appartient pas ». L’essentiel, voilà ce dont veut témoigner Genevoix. Foin des apitoiements, l’heure pour lui n’est plus à la plainte, à la dénonciation ou à l’expression de son indignation. Il s’agit plutôt de dire par le menu la souffrance, les blessures, la mort, à l’aide de descriptions minutieuses, l’écrit est plus méthodique, plus précis, au service de l’essentiel, de ce qui devra servir à la postérité.

Journal de guerre, Ingeborg Bachmann (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 27 Novembre 2011. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Biographie, Actes Sud

Journal de guerre, 2011, Trad. De l'allemand Françoise Rétif, 119 p. 16 € . Ecrivain(s): Ingeborg Bachmann Edition: Actes Sud

Le « Journal » de guerre d’Ingeborg Bachmann, à proprement parler, occupe dans ce petit livre 15 pages. 15 pages écrites par une jeune fille de 18 ans, autrichienne, fille d’un père nazi convaincu et d’une famille et d’un voisinage qui ne le sont pas moins. On est en 1945 et les alliés (essentiellement les Britanniques) occupent le pays après la libération.

La première surprise du lecteur est là. Ces pages de journal d’adolescente n’ont rien d’éblouissant, ni dans la forme, ni dans le contenu et à la page 34 (fin du « journal » déjà !) on se demande un peu s’il était besoin de publier ces lignes somme toute banales, ne présentant apparemment d’autre intérêt que d’être les premières traces d’écriture de celle qui va devenir la plus grande poétesse et auteure de langue allemande de l’après-guerre.

Oui mais. Un événement nous a retenus un peu dans le « journal » : la rencontre d’Ingeborg avec un jeune soldat « libérateur » britannique. Jack Hamesh. Il a une double particularité identitaire : il est autrichien et juif. Pendant la montée des persécutions antisémites, en 1938, il a réussi à s’enfuir vers l’Angleterre. Et son engagement dans l’armée britannique, sa connaissance parfaite de l’allemand, l’ont ramené en 45 vers sa terre natale.