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Poésie

Caravansérail, Francis Picabia

Ecrit par Frédéric Aribit , le Jeudi, 16 Janvier 2014. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Belfond

Caravansérail, Edition établie par Luc-Henri Mercier, octobre 2013, 200 pages, 18 € . Ecrivain(s): Francis Picabia Edition: Belfond

Dada se fait dans la bouche. On imagine sans doute mal aujourd’hui ce que pouvaient être ces soirées joyeusement foutraques, véritables happenings avant l’heure, où l’on frappait à tue-tête sur des caisses jusqu’à ce que le public proteste, où Tristan Tzara hurlait son poème orgasmique Vaseline symphonique en imitant les ours, où Louis Aragon miaulait à quatre pattes pendant qu’André Breton croquait des allumettes. Dans ce gang du suprême décervelage façon Jarry, Francis Picabia n’est pas en reste. Avec les confortables revenus que lui a laissés son héritage maternel, Picabia s’est tôt fait un nom dans la peinture, sous l’influence première des maîtres de l’impressionnisme. Mais alerté par Marcel Duchamp, il devient l’un des électrons les plus actifs de l’avant-garde picturale, l’un des plus libres aussi, et c’est naturellement chez lui que s’installe Tzara lorsqu’il débarque à Paris en 1920, sa grenade Dada dégoupillée dans la main. Picabia jongle alors entre une femme, plusieurs maîtresses, une poignée d’enfants, et cent vingt-sept voitures qu’il collectionne comme les conquêtes, et qui le lancent dans cette trépidante vie mondaine où il côtoie le Tout-Paris, Cocteau y compris – c’est dire. Il y a là bien assez pour que son anticonformisme n’achoppe forcément avec ce que Tzara a en tête sous le nom de Dada, ou ce que Breton fomente déjà de son côté. De sorte que lorsque paraît en 1924 le Manifeste du surréalisme, Picabia a pris le large, ce dont témoigne Caravansérail, le roman à clefs qu’il écrit la même année (il ne sera publié qu’à titre posthume, en 1974).

Juste après la pluie, Thomas Vinau

Ecrit par Philippe Chauché , le Lundi, 13 Janvier 2014. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Alma Editeur

Juste après la pluie, 30 janvier 2014, 280 pages, 17 € . Ecrivain(s): Thomas Vinau Edition: Alma Editeur

 

Quelle belle manière d’ouvrir la nouvelle année par ce roman-poésie au titre éclairant, aux éclats romanesques, judicieux et joyeux même parfois dans son insaisissable tremblement. Roman-poésie qui s’appuie sur cette lumineuse phrase de Pavese tiré de son métier de vivre : « Mais la grande, la terrible vérité, c’est celle-ci : souffrir ne sert à rien », en effet ! Cette vérité terrible ouvre ceux qui ne s’en doutaient pas à de nouvelles aventures de la liberté libre, ce qui n’est jamais de tout repos.

Vinau attentif à ce qu’il voit, c’est l’œil qui écrit, choisir ses mots avec la même attention que porte Matisse à choisir ses pigments. A ce qu’il sent, la peau toujours aux aguets. A ce qu’il pense, les mouvements du corps sont aussi des sauts dans l’espace de la pensée vive qui jamais n’oublie d’en sourire. A ce qu’il entend, l’oreille qui chante ; vigilance de l’écrivain aux éclairs du Temps, au vent, au soleil, aux comètes, aux fleurs et aux fruits, au ventre doux de la terre, comme finalement chez Francis Ponge,  son ancêtre en art du bref.

J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, Tchicaya U Tam’si

Ecrit par Theo Ananissoh , le Jeudi, 05 Décembre 2013. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Gallimard

J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, Édition présentée et préparée par Boniface Mongo-Mboussa, Gallimard, coll. Continents noirs, novembre 2013, 595 pages, 22 € . Ecrivain(s): Tchicaya U Tam’si Edition: Gallimard

 

On étouffe et sombre à moins ! Imaginez : une séparation d’avec la mère à l’âge de quatre ans (mère et fils ne se reverront que près de cinquante ans plus tard), un père député du Moyen-Congo à l’Assemblée nationale française aux côtés de… Léopold Senghor et Aimé Césaire, une entrée au collège à Orléans à un âge (14 ans) où les autres s’apprêtent à le quitter, une infirmité que trahit chaque pas qu’il fait (pied bot)…

A sa mort en avril 1988, en Normandie, Tchicaya U Tam’si laisse une œuvre considérable faite de romans, de nouvelles, de pièces de théâtre et surtout de poèmes dont la publication aujourd’hui en un volume par Gallimard Continents noirs ne pèse pas moins de cinq cents pages. Ce tome I des œuvres complètes est donc uniquement consacré à sa poésie. L’écrivain et historien des littératures francophones, Boniface Mongo-Mboussa, a déployé beaucoup de talent et de patience pour rassembler des écrits éditorialement dispersés au long de trois décennies. Il lui donne judicieusement un titre emprunté au poète lui-même et qui dit sans aucun doute la genèse de son œuvre.

Fragments, Marilyn Monroe

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 02 Décembre 2013. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Nouvelles, Points

Fragments, édité par Stanley Buchthal et Bernard Comment, traduit (USA) par Tiphaine Samoyault, postface de Antonio Tabucchi, 269 p. 12 € . Ecrivain(s): Marilyn Monroe Edition: Points

 

Fragments réunit les inédits de Marilyn Monroe, textes écrits entre 1943 et 1962. Le titre de l’ensemble est bien choisi, pour ce qui est de l’essentiel de l’ouvrage. Sont en effet photographiées et reproduites des notes écrites « çà et là », – puisqu’il s’agit tout aussi bien de feuillets arrachés, de billets, d’enveloppes ou encore de pages de répertoire. Et ces notes ont, la plupart du temps, une allure fragmentaire, semblant grignotées par le silence, le mépris de soi, la peur, grandissante, monstre de peur.

Car, si l’on peut se poser la question de l’intérêt qu’il y a à réunir ainsi des fragments et à leur donner la forme – fallacieuse eu égard à leur origine et à leur élan – du livre, cette question cesse aussitôt d’insuffler son rythme dans la conscience lorsque l’on prend en considération la façon qu’ont ces écrits, si lapidaires soient-ils, de jeter une lumière – forte, crue – sur la personnalité de Marilyn Monroe, ces fragments relevant « aussi bien de la confidence, de l’observation, de l’automotivation, de l’introspection que d’un volontarisme tantôt pratique et quotidien, tantôt disciplinaire ».

La tristesse durera toujours, Yves Charnet

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Samedi, 30 Novembre 2013. , dans Poésie, Les Livres, Livres décortiqués, La Une Livres, Récits, La Table Ronde

La tristesse durera toujours, janvier 2013, 176 pages . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: La Table Ronde

 

Yves Charnet nous offre dans son récit, paru en janvier 2013 aux éditions de La Table Ronde, une légende, un chant, un tombeau poétique, un hymne aux femmes qui ont jalonné sa vie et l’ont marqué de façon indélébile avec plus ou moins de bonheur. Il emporte le lecteur, sans barrière de protection, dans ses errements géographiques, psychiques et langagiers. Et nous nous embarquons avec lui dans un étrange et envoûtant voyage.

Dès le titre, il avise ses lecteurs : La tristesse durera toujours. Il emprunte ainsi les dernières paroles prêtées à Van Gogh avant de mourir. Et c’est ce que le récit va déployer en virtuose dans une écriture d’une grande franchise. Il nous prévient à plusieurs reprises de la visée de son projet d’écriture qu’il poursuit depuis le début de son œuvre. C’est d’abord par la voix de Louis René des Forêts qu’il nous avertit : « Dire et redire encore, redire autant de fois que la redite s’impose, tel est notre devoir qui use le meilleur de nos forces et ne prendra fin qu’avec elles ». Et si l’on n’est pas convaincu, il insiste : « Un homme avec la gueule d’un autre. Un écrivain c’est ça. Un type seul en terrasse ». Oui, la solitude est là, ancrée au cœur de son être, malgré tout son entourage. L’auteur a compris depuis longtemps que l’humain se retrouve profondément seul face à la souffrance, face à la mort. Et il ne lui reste que le souvenir dont il tente de laisser trace.