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Brumes industrielles, Yann Dupont

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) 26.04.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Brumes industrielles, Hugues Facorat Edition, avril 2016, 62 pages, 10 €

Ecrivain(s): Yann Dupont

Brumes industrielles, Yann Dupont

 

 

D’emblée on sent que ces Brumes industrielles sont investies par une écriture poétique. La photographie de la première de couverture, de Pierre Lenoir Vaquero, déjà interpelle, arrête le regard avant l’ouverture des ailes de la brume. Celle des espaces portuaires où l’humanité grouille de se rencontrer, entre âmes laborieuses, errantes nocturnes. Une ambiance, une atmosphère d’emblée se dégage.

Qui n’a jamais ressenti l’appel ambigu d’un port maritime, parcouru des affluents de la terre et de la mer, dans ces va-et-vient du large qui brassent le ciel peuplé des lumières de la ville, de ces autochtones laborieux et nostalgiques, de ces passagers voyageurs, touristes ou aventuriers. L’usine est l’un de ces personnages, mobile sur son assise fixe, qui embrume ces existences et dépose ses métastases industrielles sur le corps de la ville et de ses passants, depuis des années-portuaires.

On passe dans un port, bien souvent. Comme les brumes industrielles passent. L’écriture poétique de Yann Dupont fixe en ses poèmes courts la trace de ces passages. Une radiographie des poumons de la ville, électrocardiogramme électroencéphalogramme des passants du port qui respirent les brumes délétères de la ville portuaire. Le lecteur en prend plein les yeux et les poumons, de cendre jusqu’au cœur et dans le regard, en levant ces poèmes découvrant la ville portuaire dans un cri d’alerte de corne clairvoyante de brume vapotant les errances, les égarements, les incertitudes, les doutes, les oscillations de l’être humain. Brumes visibles et pourtant voiles impalpables presque quand on s’y habitue. Yann Dupont, auteur havrais, s’est inspiré des lumières troubles et attachantes de son port d’origine. Ses poèmes secouent ces brumes citadines, maritimes et industrielles pour inscrire dans le vide consumériste son encre de lucide révolte.

Lieu de départs ou point de chute, carrefour où se croisent des humanités de passage, le port signe à lui seul une figure symbolique propice à l’écriture poétique, ouverte à la rencontre et au recueillement.

Du souffle de chaque chose s’échappe la braise éthérée de ces Brumes industrielles.

D’un pot d’échappement s’échappe la

silhouette éthérée d’une usine mélancolique (p.7)

On est dans le port comme le décor naît d’un pot d’échappement.

La synesthésie d’une solidarité cosmique émerge du port, cœur frictionné des solitudes, carrefour des errances continentales, « porte-conteneur » d’âmes brassées au cœur brouillé, létal.

Un porte-conteneurs dans mon âme industrielle

décharge des tonnes de solitudes

Elles ont traversé les océans d’autres villes les

mégalopoles de l’oubli et le travail à la chaîne.

Quand le soir bleu pétrole tombe sur la mer

d’huile j’aime les retrouver

Près d’une lucarne triste on contemple l’horizon

Sous l’œil d’un goéland rieur (p.9)

L’âme des êtres et des choses s’échange, leurs feux communiquent dans le port d’une même signalétique, leurs ardeurs, leurs fléaux se frottent, brassent leur flux du Vivre dans les veines de l’espace les artères du sang les avenues du temps. Lorsque le sel des crabes bleus aux allures de voie / lactée assèche le minuit sans air de la ville. / Les embruns de béton écument l’estran vert dans la houle des sables étoilés (p.53). Les âmes, ici, de sensibilité végétale, animale ou humaine dégagent un flot d’humanité rassemblé dans les mots d’une même eau, les vannes sont ouvertes, communicantes, et le poème actionne l’écluse de leurs passages. Poème-éclusier de la bruine des gens du portdes bruits de la ville à dix heures du soir, du cliquetis des mâts, (qui) ruisselleLe long des avenues aux vents de minuit, dans le roulis des mots.

L’homme des villes, de sa fenêtre boit un verre de nuit d’un trait dans la couleur horizon de la gouaille des galetscouleur des goélands. Lieu de passage, le port dessine des lignes de fuite au cœur des ancrages, les points de vue se télescopent et s’échangent, que restitue le poète, de sa lucarne, de sa fenêtre ou immergé dans le réseau parallèle des itinérances portuaires, à rêver l’insignifiance de la joie promise, des rêves transatlantiques – comme Sur la digue des badauds se cramponnent les uns / aux autres ivres de cet air océanique.

La poésie de Yann Dupont tient sa force du transfuge des synesthésies sentimentales et sensuelles dans ce lieu du vertige au confluent des états d’existence, de passage et en partage, que signe chaque port, vestige d’âmes échouées, Un verre de pernod sur le formica d’une table / éméchée, (…) un vieux docker échoué sur le boulevard / Du temps long de l’ennui les soirs d’été (p.13), le désir dégrisé du fard de la jeunesse (…) (p.15). Tout un bruissement d’êtres polychromes rendus à leurs solitudes reflétées dans les eaux délavées du site portuaire ; tout un bruissement glauque d’êtres polychromes à l’âme fauve ou morose brasse leurs extraits pressés d’existence entre la peur et l’oubli, sous la chape de brumes délétères, ces Brumes industrielles correspondances réelles de rêves tombés brûlés par des ciels aux étoiles lessivées.

 

À la bordure interurbaine de mon âme lunaire

On devine les fissures métalliques d’un zinc

passéiste

On entend l’écho des soirs éméchés à la lueur des

lampadaires

On y croise des ombres callipyges aux allures de

strips érotiques

On y boit les larmes de la mer des eaux du port

au cœur de l’hiver.

À la bordure industrielle de mon âme prolétaire

On trébuche sur les pavés déchaussés d’une usine

mélancolique

On y voit la silhouette éthérée des travailleurs

essorés s’échapper des cheminées

On perçoit le bruissement d’un porte-conteneurs

fendre le Marteau et la Faucille

On frissonne d’entendre le rire cynique d’une

station balnéaire

À la bordure interstellaire de mon âme de poète

Je croise souvent le souvenir de mon enfance

Ouvrière (p.17)

 

Le poète, à l’avenir relevé de ces Brumes industrielles délavées, continue, lui, d’errer dans la ville de béton, Dans l’espoir d’un prochain porte-conteneurs (p.50), sous l’œil du soleil d’un goéland rieur. Le poète poursuit car L’aube grise de béton urbain sur la ville prolétaire / renaîtra (p.52).

Une poésie d’atmosphère, comme topographique, assigne les mouvements d’une humanité de passage en ce lieu symbolique et stratégique que représente l’univers portuaire ; l’assigne à résidence d’une écriture sensible, fixant la fresque d’une mouvante concentration humaine, marée profondément humaine… L’écriture poétique de Yann Dupont se l’approprie avec une juste et délicate touche de poésie et de brume…

 

Murielle Compère-Demarcy

 


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A propos de l'écrivain

Yann Dupont

 

Né en 1976 au Havre, Yann Dupont est licencié d’histoire. Sa découverte de Baudelaire à l’adolescence lui fait abandonner son cursus scientifique pour un bac littéraire ; dès lors fleurissent les premiers poèmes et éclot le doux rêve d’embrasser une carrière littéraire. Assistant d’éducation, il met à profit son temps libre pour s’occuper de ses deux enfants et se consacrer à l’écriture. Une histoire familiale méconnue – celle de sa grand-mère – et la naissance de son premier fils furent les feux qui guidèrent la rédaction de ce premier roman.

 

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.