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Poésie

Soluble dans l’œil, Yusuf Kadel

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 30 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Soluble dans l’œil, éd. Acoria, Coll. Paroles poétiques, 2010, Préface Shenaz Patel, 100 pages, 14 € . Ecrivain(s): Yusuf Kadel

 

Yusuf Kadel figure assurément parmi les poètes mauriciens contemporains les plus talentueux. Son écriture poétique brille par une recherche incessante d’originalité, par la spontanéité avec laquelle elle sort des sentiers littéraires battus, par l’audace (certes non singulière ni véritablement novatrice si on pense à Apollinaire, ce précurseur de la rupture des codes de la poésie dite classique) avec laquelle elle défie le lecteur et cherche constamment à le dérouter de toute possibilité de sens unique.

Le recueil est en deux parties, intitulées respectivement Soluble dans l’œil et En marge des messes.

Chacun de ces ensembles fonde sa propre problématique, qu’il convient donc de distinguer, même si le second est l’illustration et l’amplification des spécificités poétiques du premier.

Soluble dans l’œil :

Dans le vert des montagnes En cheminant avec Gaspard, Jacques Viallebesset

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 28 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Contes

Dans le vert des montagnes En cheminant avec Gaspard, éditions Entrelacs, janvier 2018, 82 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Jacques Viallebesset

 

Entre conte et récit raconté à la lumière de l’âtre, et dans l’esprit des beaux romans nature d’Henri Pourrat (1887-1959) et de l’un de ses héros fétiches, Gaspard, Jacques Viallebesset nous offre un beau brin de montagne et d’aventure retour dans le passé « chaumières, escapades au frais de la forêt, amitié et solidarité des pauvres ».

Son héros, dont le recueil donne à lire toute l’histoire, vit au vert, dans le vert de ces hauteurs suisses et autres, à « l’appel de la forêt » – London, ses trappeurs, ses neiges, ses forêts ombreuses, ne sont pas loin –, devient un proche familier du lecteur, au fil de ces très longs poèmes aux titres éclairants : « La forêt d’enfance », « Par monts… », « Batailles du haut pays »…

Il y est question de bandits qui dépouillent, de héros au grand cœur, de pauvres qui se portent les uns les autres.

Et aussi les arbres, Isabelle Bonat-Luciani

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Carnets du dessert de lune

Et aussi les arbres, mai 2018, 76 pages, 13 € . Ecrivain(s): Isabelle Bonat-Luciani Edition: Carnets du dessert de lune

 

Tous les sens de l’auteur sont en éveil à écouter, entendre, distinguer, ressentir à fleur de souvenir jusqu’au trouble qui mêle le haut et le bas, la cime et la racine de l’être, la sève de vivre : « Le ciel a débarrassé le plancher. Il est dans ma tête. Au fin fond. Toujours ça revient ». Les mots sont « tagués » les uns aux autres « pour tenir loin des désordres. Pour tenir loin des solitudes ».

Souvenir d’un premier amour ? Certes. Mais sans « Il était une fois » parce que l’évènement tourne en boucle.

Avec un ton faussement anodin, des choses importantes sont dites, toujours avec cette façon un peu explicative, voire professorale : « Parfois elle lui disait que pour aimer il valait mieux ne jamais rien savoir ».

Avec retours sur l’adolescence, l’image des parents, de la mère plus particulièrement, du corps qui se modifie, la vie en évolution parle à travers le temps qui se souvient de façon obsessionnelle : « Les gens marchent mais c’est dans ton image qui fissure le sol » ou encore : « Lorsque j’approche de ton absence, il y a ce toi bien trop immobile pour regarder ».

Textes à conquérir, Max Fullenbaum

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 21 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Textes à conquérir, Les éditions du Littéraire, juin 2018, 136 pages, 13 € . Ecrivain(s): Max Fullenbaum

 

Hiatus pour vies en disparition

On ne se remet jamais de l’histoire, surtout lorsque sous Hitler on avait un nom que l’auteur nomme « inflammable ». Pour autant, Fullenbaum n’écrit pas un énième livre sur la Shoah. Et l’auteur octogénaire surprend ici par la jeunesse de son écriture quasi expérimentale. Pour dire le désastre, Fullenbaum au lieu d’étouffer la langue hiatus au nom de celui qu’il trouve jusque dans le mot « jui-if » en une sorte de clin d’œil au second degré à son exergue emprunté à Flaubert : « Hiatus – ne pas tolérer ».

Celui qui dans son enfance a échappé par un quasi-miracle aux rafles et à dévaler son pays en Pétainie mélange ses souvenirs et le réel en fragments ambitieux, angoissants, drôles, terribles. Parfois une seule phrase suffit pour tout comprendre : « Toujours un peu d’argent sur vous pour être prêts à partir ». Car des années 40 à aujourd’hui rien ne change. Même dans le mot « ju-if » l’auteur distingue un hiatus, une coupure mais aussi un lien où le masculin et le féminin se mêlent.

Depuis une fissure, Elisa Biagini

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 21 Août 2018. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Depuis une fissure, Cadastre8zéro, décembre 2017, trad. italien Jean Portante, Roland Ladrière, 208 pages, 13 € . Ecrivain(s): Elisa Biagini

 

Publié en langue originale par Einaudi en 2014, Da una crepa a obtenu en 2015 le Prix Marazza. Il vient d’en recevoir un autre (décerné par la revue Nunc) pour la traduction, remis officiellement lors du Marché de la poésie de Paris, Place Saint-Sulpice, ce printemps 2018.

En édition juxtalinéaire – italien/français – le livre de poèmes d’Elisa Biagini joue des formes économes (on ne va presque jamais au-delà des huit vers), d’une densité qui donne forme aux objets, aux images fortes (j’ai des chaises dans la poitrine), aux lieux faits d’angles, de tables, de chandelles.

La « fissure », l’échancrure (du cœur ? du corps ?) offrent au lecteur passage à des aveux (tu écris aux bords, /pour laisser du souffle/ à tes mots) et à une nouvelle traversée des poèmes-frères/sœurs de Celan et Dickinson.

En peu de mots, dire le peu, le chagrin de vivre ainsi, la réclusion derrière des persiennes closes, écoutant le poisson dans/ l’oreille, l’étrange destin d’être :