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Poésie

Fertilité de l’abîme, Denis Emorine

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 11 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Unicité

Fertilité de l’abîme, 2017, poèmes, 100 pages, 14 € . Ecrivain(s): Denis Emorine Edition: Unicité

 

Parler d’actualité en évoquant, par la même occasion, le passé (notamment en se servant de références historiques), voilà une partie de tout l’art de cet étonnant recueil d’un écrivain confirmé dans presque tous les genres.

L’auteur se sert de sensations universelles mais qui pourraient tout autant être très intimes, personnelles : « Je voudrais garder ta voix Tout contre moi A jamais Pour me réchauffer ».

Ce mélange de passé-présent a quelque chose de chimique, un peu comme on parle de la loi de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée », avec toujours l’Amour en « embuscade » : « Je ne sais quoi dire Pour empêcher la nuit de tomber entre nous ».

Les images fortes transcendent une réalité qui ressemble à du rêve ou… au cauchemar… : « Le sang recouvre le monde Je ne distingue plus rien La glycine est morte ».

Quelque chose d’Apollinaire et des Lettres à Lou dans les mots de ce poète.

Le fils de la montagne froide, Han Shan

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 06 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Editions de la Différence

Le fils de la montagne froide, trad. chinois Daniel Giraud, 128 pages, 8 € . Ecrivain(s): Han Shan Edition: Editions de la Différence

 

Han Shan, dont on ne connaît ni les dates de naissance et de mort, a vécu au VIIe siècle de notre ère. Y-a-t-il eu un ou deux Han Shan ? Les historiens divergent, à ce propos.

En tout cas, Montfroid (Han Shan, montagne froide) est un poète de premier plan, qui, ermite, vagabond, laissé-pour-compte, a donné au poème bref de fameuses lettres de noblesse pour traiter de thèmes universels : la montagne-refuge, le passage du temps, le temps des livres, celui des amis, la nature, les oiseaux, l’errance propre à ces poètes extrême-orientaux (dans le droit fil de Han Shan, combien d’autres !).

La lucidité, l’intelligence des propos, l’économie des moyens mis en œuvre font que cette poésie élève, se reconnaisse comme insigne.

Remarquables, en effet, ces notations prises sur le vif, consignées sur les rochers de la pérégrination. Remarquable cette vision du monde, où la solitude est matière porteuse au même titre que les objets des rencontres : pépiements d’oiseaux, rochers, arbres.

Tu écris des poèmes, Murièle Modély

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 04 Décembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions du Cygne

Tu écris des poèmes, novembre 2017, 95 pages, 12 € . Ecrivain(s): Murièle Modély Edition: Editions du Cygne

« Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien sûr à l’ile de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine/dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens/à bride abattue/jusqu’à respirer sur la table/l’odeur de langue coupée ».

Le poème sourd de l’intérieur, il vient dire quand dire est trop difficile, voire impossible. « Tu écris des poèmes/lorsque tu sens le réel se dérober/dès l’instant où personne ne te comprend/et vice et versa où tu ne comprends personne ». Alors le poème jaillit du cratère, du gouffre : « comme le poème, tu as un trou au milieu de la phrase ». Chez Murièle Modély, les poèmes suintent de ce trou, forment le corps du poète. « Tes poèmes sont n’importe quelle partie de ton corps/n’importe laquelle (…) sauf la tête ».

Poèmes, Natsume Sôseki

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 27 Novembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Japon

Poèmes, éd. Le Bruit du Temps, 2016, trad. chinois Alain-Louis Colas, 400 pages, 28 € . Ecrivain(s): Natsume Sôseki

 

Sôseki, plus connu sans doute comme romancier (Je suis un chat ; La Porte ; etc.), se voit ici pour la première fois publié en français pour ses 207 poèmes, écrits sur une longue période, de l’adolescence à sa mort en 1916, à 49 ans.

L’édition trilingue, copieuse en poèmes, copieuse en commentaires (sous la plume de A. L. Colas), en chinois classique, japonais, français, révèle un talent sûr, qui maîtrise les formes brèves (quatrains, huitains, entre autres, parmi les plus nombreux) et donne à ce lent cheminement aux abords du monde, de la nature, à la quête du soi, une allure de journal, proche de celui d’un Bashô, par exemple.

Notations pures, effets de saisons, sensations d’être traversent ces textes empreints autant de justesse que de constats paysagers et intimes.

Œuvres romanesques précédé de Poésies complètes, Blaise Cendrars, en la Pléiade

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Vendredi, 24 Novembre 2017. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La Pléiade Gallimard

Œuvres romanesques précédé de Poésies complètes, novembre 2017, Édition publiée sous la direction de Claude Leroy, 2912 pages, 115 € . Ecrivain(s): Blaise Cendrars Edition: La Pléiade Gallimard

 

Selon la légende, Freddy Sausey devint poète à New-York dans la nuit du 6 avril 1912. Pour honorer cette révélation il change de nom : Blaise Cendrars naît. Néanmoins, dans Panama ou les aventures de mes sept oncles, il donne une autre voie à la gestation de l’œuvre : « C’est le crash du Panama qui fit de moi un poète/ C’est épatant / Tous ceux de ma génération sont ainsi /Jeunes gens /Qui ont subi des ricochets étranges ».

Il ne faut pas prendre bien sûr ses aveux au pied de la lettre. Mais – et justement – tout Cendrars est là. Non seulement il refuse de jouer « avec des vieilleries » et entame son parcours. Il s’agira pour lui de casser « la vaisselle » et surtout de ne cesser de s’embarquer vers l’ailleurs pour « tuer les morses » ou – sous d’autres climats – de craindre les piqûres de la mouche tsé-tsé.