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Essais

L’en vert de nos corps, Christine Van Acker (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Lundi, 11 Mai 2020. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres

L’en vert de nos corps, Christine Van Acker, L’Arbre de Diane, Coll. La Tortue de Zénon, mars 2020, 228 pages, 15 €

 

L’en vert de nos corps est un recueil de chroniques qui associe anecdotes, récits de rencontres, descriptions naturalistes de la flore et leçons de choses, considérations scientifiques et philosophiques, littéraires et mythologiques, écologiques, et ça et là, politiques. Hétéroclite et foisonnant, cet ouvrage trouve son fil rouge et sa cohérence dans son thème mais aussi dans l’insatiable et fervente libido sciendi qui anime l’auteure.

C’est aussi un essai, le terme qualifiant assez justement la démarche et l’attitude de Christine Van Acker : elle y déploie non pas une pensée propre mais un certain art de lire, aussi bien les livres que les plantes – « du bout des doigts, ligne par ligne ». Cet art est humble, au sens le plus terrien du terme, et résulte d’une tentative sans cesse réitérée, sans cesse réorientée, de compréhension du règne végétal.

En fait d’ouvrage, on pourrait presque dire qu’il y en a deux : d’une part, la promenade buissonnière à laquelle l’auteure nous convie ; d’autre part, des miscellanées, de sorte que l’ensemble se prête aussi bien à une lecture suivie et linéaire qu’à une déambulation erratique et glaneuse.

Utopisme et idées politiques, Sergey Zanin (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 06 Mai 2020. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Classiques Garnier

Utopisme et idées politiques, Visite de Pierre-Paul Joachim Henri Lemercier de La Rivière à Saint-Pétersbourg (avec la publication des inédits), Sergey Zanin, 2018, 498 pages, 46 € Edition: Classiques Garnier

 

Il en est des idées utopiques comme de certaines innovations techniques, telle l’extraction de pétrole à partir des schistes : mieux vaut, si l’on souhaite s’y livrer, le faire dans des pays étendus et à peu près vides. C’était bien ainsi que Lemercier de La Rivière (1719-1801) concevait la Russie : un terrain neuf et grandeur nature pour ses expériences politiques. Cet économiste ne s’est pas rendu en Russie (où il séjourna un semestre, de septembre 1767 à mars 1768) de sa propre initiative, mais sur invitation. À la suite de Pierre le Grand, Catherine II – fortement influencée par les physiocrates – avait poursuivi la modernisation (en fait l’occidentalisation) à marche forcée de son empire. Elle s’attacha notamment à réformer le corpus des lois et réunit à cette fin une « Commission législative ». Francophone et francophile, Catherine II n’avait pas écrit sa grande Instruction aux députés pour la rédaction du nouveau corps des lois (1767 – on désigne également ce texte par le premier mot de son titre, le Nakaz) en russe, mais en français. Elle proposait notamment d’abolir le servage, mesure à laquelle la gentilhommerie russe s’opposa. Diderot lui-même fit part de ses Observations sur le Nakaz.

Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne (The Original), Roberto Ohrt, Axel Heil (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 27 Avril 2020. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande

Aby Warburg, Der Bilderatlas Mnemosyne (The Original), Roberto Ohrt, Axel Heil, éd. Hatje Cantz, Berlin, 2020, 184 pages, 200 €

 

Aby Warburg : La Science de l’image

I

Depuis Platon on affirme que l’image est mauvaise. Elle séparerait de l’être. Ne donnerait de lui qu’une apparence et non un apparaître. Or toute image est apparition. Néanmoins beaucoup d’historiens de l’art restent des platoniciens : Jacques Lanzmann en est l’exemple parfait. Il est l’envers du plus grand penseur du XXème siècle de l’image : le nietzschéen Aby Warburg.

Face aux philosophes il a posé les questions essentielles : le vrai témoin est-ce l’image ? L’image est-ce le seul témoin ? Tout le reste est spéculation. Warburg a donc introduit un speculum dans le mental des fornicateurs des icônes. Son atlas – Mnémosine – est la balustrade qui surplombe l’histoire de l’art.

Les Yeux dans les yeux, Le Pouvoir de la conversation à l’heure du numérique, Sherry Turkle (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Lundi, 20 Avril 2020. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud

Les Yeux dans les yeux, Le Pouvoir de la conversation à l’heure du numérique, Sherry Turkle, janvier 2020, trad. anglais, Elsa Petit, 553 pages, 28 € Edition: Actes Sud

 

Sherry Turkle, professeure au MIT, étudie depuis des dizaines d’années nos interactions avec les objets technologiques, concentrant son attention sur la manière dont ils affectent notre identité et nos relations sociales. Comme de nombreux autres penseurs des nouvelles technologies, son regard d’abord positif sur les possibilités d’expression offertes en ligne – à travers par exemple les avatars créés par les joueurs de jeux vidéo – est devenu beaucoup plus négatif à mesure que ces technologies s’imposaient dans notre quotidien, à la faveur du développement des smartphones, des progrès de l’intelligence artificielle, de la multiplication des objets connectés.

Le livre traduit par Actes Sud date de 2015 : c’est beaucoup pour un domaine en forte évolution. Les pages que Sherry Turkle consacre à l’impact des algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux peuvent paraître ainsi un peu rapides, pour qui aura été attentif à la question durant ces cinq dernières années – les médias s’étant par exemple fait largement l’écho du livre du sociologue Dominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes (Seuil, 2015).

Martin Luther et la Kabbale (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 14 Avril 2020. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Editions Honoré Champion

Martin Luther et la Kabbale, Du Shem ha-meforash et de la généalogie du Christ (1543), coll. Bibliothèque d’études juives, septembre 2019, trad. allemand, Hubert Guicharrousse, Mathilde Burgart, 246 pages, 28 € Edition: Editions Honoré Champion

 

C’est un texte effrayant. On a l’impression d’observer un malade du choléra, dont le corps se décharge aux deux extrémités. Cela n’en finit pas. Le tube digestif n’est jamais vide et il répand sans arrêt des matières pestilentielles autour de la cuvette, dans les draps ou sur les murs. Loin d’être isolé dans une aile éloignée de l’hôpital, dans une chambre en bout de couloir et au dernier étage, le malade en question s’est vu élever des statues. Et il passe pour avoir changé le monde.

Dans les deux épais volumes d’Œuvres qu’elles ont publiés en Pléiade, les éditions Gallimard ont reculé devant cette insanité, comme elles ont reculé devant les pamphlets de Céline (le parallèle n’est pas gratuit, on le verra). Plus anciennes que la maison Gallimard et avec une haute tradition érudite, les éditions Champion, elles, n’ont pas eu peur. Elles avaient déjà publié Des Juifs et de leurs mensonges, écrit par Luther en janvier 1543. Il y avait pire, il y a toujours pire et, en ce qui concerne le père de la Réforme, le voici.