Identification

Essais

Les Ruines de Port-Royal des Champs, Abbé Henri Grégoire (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 05 Novembre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions Honoré Champion

Les Ruines de Port-Royal des Champs, Abbé Henri Grégoire, mai 2018, Édition nouvelle établie et annotée par Jean Lesaulnier, 222 pages, 39 € Edition: Editions Honoré Champion

Personne ne connaîtra jamais avec certitude le nombre exact de monastères qui virent le jour sur le sol européen, depuis l’avènement du monachisme jusqu’à la période moderne. Des milliers, des dizaines de milliers probablement, de l’humble prieuré de quelques moines à l’immense abbaye de Cluny, rayonnant sur plusieurs nations. Voici un premier paradoxe : il n’y a aucune commune mesure entre les dimensions du monastère de Port-Royal (on devrait d’ailleurs employer le pluriel, car il y eut deux établissements, l’un à Paris, l’autre – la maison-mère – dans la vallée de Chevreuse), son effectif réduit et son rayonnement, qui ne s’éteignit même pas lorsque Louis XIV eut fait raser l’abbaye et déterrer sauvagement religieux et religieuses défunts. Et nous trouvons là le second paradoxe : comme ces étoiles dont le rayonnement nous parvient alors qu’elles ont disparu depuis des millénaires, l’influence de Port-Royal s’étendit sur tout le XVIIIe siècle et bien au-delà encore. Les Ruines de Port-Royal des Champs sont une apologie, composée à une époque où les ruines sont un thème à la mode (on s’étonne de ne voir mentionné nulle part, sauf erreur, le nom de Volney, dont le maître-livre fut publié en 1791, dix ans avant la première édition des Ruines, confiées par l’abbé Grégoire aux Annales de la religion, puis remaniées et republiées en 1809, un siècle après la destruction de la célèbre abbaye).

Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain, Georges Bataille (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 04 Novembre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Correspondance, Fata Morgana

Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain, Georges Bataille, septembre 2019, 48 pages, 12 € Edition: Fata Morgana

 

Cette lettre permet de comprendre la relation qui n’allait pas forcément d’elle-même entre Bataille et Char. D’un côté l’obscur des profondeurs, de l’autre une certaine clarté du paysage et de ceux qui l’habitent. D’un côté l’existentialisme et l’absurde, de l’autre les remugles messianismes du surréalisme « historique ».

Certes les deux se réclamaient de ce dernier mais selon une version dissidente plus juste que celle de Breton embrigadé dans certaines ruses et cécités. Ce dernier espérait beaucoup en Char mais n’attendait rien de Bataille. Les deux derniers éprouvent une sympathie mutuelle au nom à la fois d’une perception analogue des contradictions les plus vives qui régissent le monde et l’univers, et par ailleurs d’une douloureuse conscience de l’irrémédiable.

Ozu-san, Jacques Sicard (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 30 Octobre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Z4 éditions

Ozu-san, septembre 2019, 107 pages, 11,50 € . Ecrivain(s): Jacques Sicard Edition: Z4 éditions

 

 

Ciné-lyrisme

Jacques Sicard intitule son essai, en partie consacré à Yasujirō Ozu (Tokyo, 1903-1963), Ozu-san san étant le plus neutre des suffixes honorifiques japonais, utilisé par exemple pour nommer les montagnes, les volcans, tel le Mont Fuji ou Fuji-san. Jacques Sicard est un critique de cinéma qui aborde les œuvres filmiques « en poète », en référence et en hommage à Pier Paolo Pasolini, par une écriture « ciné-lyrique », dont les textes se lisent comme des tableaux-poèmes, mouvants, fluctuant selon l’instant filmique. L’auteur fait arrêt sur image, décrypte la gestuelle des acteurs, le continuum des plans-séquences, les mouvements de caméra, etc., rapproche symboliquement plusieurs typologies du cinéma mondial, créant ainsi une exégèse lyrique du cinéma.

Des Mondes lettrés aux Lieux de savoir, Christian Jacob (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 28 Octobre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Les Belles Lettres

Des Mondes lettrés aux Lieux de savoir, Christian Jacob, 2018, 464 pages, 35 € Edition: Les Belles Lettres

 

Des Mondes lettrés aux Lieux de savoir appartient à une catégorie d’ouvrages plus répandue, semble-t-il, dans le monde anglo-saxon qu’en France : le recueil de travaux publié par un savant, coup d’œil rétrospectif jeté à une carrière, dont on peut ainsi (ou non) apprécier la cohérence, les palinodies, les repentirs.

Personne ne trouve extraordinaire de pouvoir lire, dans une savante édition critique du texte original ou dans une simple traduction en livre de poche, les dialogues de Platon, le poème de Lucrèce, les tragédies de Sophocle. Ces œuvres nous enchantent et en ont inspiré bien d’autres. Mais nous oublions que nous n’en disposons que grâce à un improbable concours de circonstances. Derrière chaque page ancienne que nous pouvons lire, il y a le double miracle de sa conservation et de sa transmission. De même que le nombre des êtres humains morts dépasse de loin celui des vivants, la quantité d’œuvres perdues sans retour dépasse celle des œuvres que nous avons conservées. Et même si cela semble difficile à croire, il est tout à fait possible (bien qu’indémontrable) qu’en qualité, ces œuvres disparues aient été supérieures à celles qui nous sont parvenues.

Écrits stupéfiants, Drogues & littérature d’Homère à Will Self, Cécile Guilbert (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 17 Octobre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Robert Laffont

Écrits stupéfiants, Drogues & littérature d’Homère à Will Self, Cécile Guilbert, septembre 2019, 1440 pages, 32 € Edition: Robert Laffont

 

Drogue et Littérature ou les poisons du rêve

Entre enfer et paradis, produit et dose, Cécile Guilbert rappelle que la drogue offre une dualité. Il y a là extase et souffrance. Les adjuvants illicites font sombrer mais aussi ils sont capables d’ouvrir des portes (particulièrement les psychédéliques). La drogue est donc souvent au seuil de la littérature et ce, depuis la poésie védique et donc quasiment les origines de l’humanité. Mais les écrivains s’en servent véritablement beaucoup plus tard.

Cécile Guilbert nous rapproche de lieux étranges voire – comme Michaux – des « rencontres avec les Dieux », bref d’un ailleurs inatteignable – source de savoir ou paradis. La mesure de l’être est donc métamorphosée par le « poison noir » de l’Opium qui provoque « la rencontre de Pommard et du Pernod » selon Cocteau qui est bien plus qu’un dandy de la drogue auquel il fut réduit. La drogue est souvent une esthétique qui dilate le temps. Et Cécile Guibert fait le tour de la question dans une classification judicieuse abondamment illustrée de textes significatifs.