Identification

Essais

Bleuets, Maggie Nelson (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Vendredi, 10 Janvier 2020. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Biographie, Editions du Sous-Sol

Bleuets, Maggie Nelson, Editions du Sous-sol, août 2019, trad. anglais (USA) Céline Leroy, 112 pages, 14,50 € Edition: Editions du Sous-Sol

 

Du bleu au cœur

Etes-vous déjà tombé amoureux d’une couleur ? Maggie Nelson, oui, et c’est le sujet de Bleuets, bref et dense ouvrage traduit et publié par les Editions du sous-sol, dix ans après sa parution aux Etats-Unis, en 2009. Mêlant essai et autobiographie, il raconte l’histoire d’une passion, d’une fascination, d’un envoûtement même, qui a suscité l’« illusion choisie » que chaque objet bleu serait un « buisson ardent » ou un « code secret » à décrypter. L’auteure, après avoir mené tous azimuts une quête des bleus, se propose d’expliquer ce que cette couleur signifie et représente pour elle, à côté de ses significations et connotations admises. Son livre prend la forme de 240 fragments, de longueur irrégulière, au contenu hétéroclite mais reliés par un fil céruléen parfois ténu, parfois lâche, mais jamais coupé. Les épisodes autobiographiques, qu’ils concernent ou non la déliquescence d’un amour qui, pour être né avec la cueillette de bleuets, n’a rien d’un conte bleu, nous ont semblé d’un intérêt inégal – peut-être parce que, ne connaissant pas Maggie Nelson, nous n’entretenons pas – ou pas encore – avec elle cette intime et ancienne familiarité qui nous lie aux écrivains aimés, et qui rend curieux de leur vie aussi bien que de leur personne.

Bernard Noël, François Lunven (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mardi, 17 Décembre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fata Morgana

Bernard Noël, François Lunven novembre 2019, 88 pages, 19 € Edition: Fata Morgana

 

Bernard Noël : portrait d’un artiste maudit et saint.

Poussé par son amitié et la fascination qu’il éprouvait à son égard, mais pas seulement, Bernard Noël a écrit les plus belles pages sur un artiste « maudit » qui se suicida à 31 ans : François Lunven. Ces textes collationnés et réunis permettent un « turn-over » sur l’homme et l’œuvre aussi habités par Satan Trismégiste que sacrés (mais c’est un peu la même chose).

Avec le poète et un autre graveur (Ramon Alejandro), le trio iconoclaste – comme le rappela ce dernier – redéfinissait la position du diable « dans le livre des Etudes carmélitaines que nous étudiions assidûment en nous esclaffant de rire devant l’autorité bafouée de notre sainte Mère défunte ».

Eloge des fantômes, Portraits, Jean-Michel Olivier (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 06 Décembre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, L'Âge d'Homme

Eloge des fantômes, Portraits, Jean-Michel Olivier, octobre 2019, 200 pages, 22 € Edition: L'Âge d'Homme

 

« Pour un écrivain, Paris est peuplé de fantômes. Des fantômes familiers, silencieux, bienveillants. Nous sommes dans l’ancien hôtel particulier de Beaumarchais, où l’écrivain, musicien, homme d’affaires, mais aussi marchand d’armes et espion, aimait se réfugier quand les fâcheux le harcelaient » (Simone Gallimard).

Eloge des fantômes est un merveilleux livre, habité de fantômes admirés, rendus à la vie par la plume miraculeuse de Jean-Michel Olivier. Des portraits d’écrivains, de penseurs, d’éditeurs, de graveurs que l’auteur a croisés, longuement ou furtivement, et admirés. Des artistes devenus des amis d’un temps passé, des complices en lettres, et en art éphémère, dont il a partagé des instants de complicité, de travail, qu’il décrit comme l’on décrit un miracle, une visite, un éblouissement, mais aussi une profonde tristesse lorsqu’il apprend leur disparition.

Les Juifs et la modernité L’héritage du judaïsme et les sciences de l’homme en France au XIXe siècle, Perrine Simon-Nahum (par Gilles banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 05 Décembre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel

Les Juifs et la modernité L’héritage du judaïsme et les sciences de l’homme en France au XIXe siècle, Perrine Simon-Nahum, octobre 2018, 334 pages, 22 €

Il ne faut pas demander aux analogies plus qu’elles ne peuvent donner. Tout s’est cependant passé comme si, après l’émancipation des Juifs voulue par l’Ancien Régime finissant et mise en œuvre par la Révolution, après leur intégration roide à la société française, les trésors d’énergie, de subtilité et d’intelligence déployés à commenter ou, simplement, à méditer et à lire, dans la réclusion des « juiveries », la Torah, le Talmud, leurs commentaires et les commentaires de leurs commentaires, s’étaient orientés vers d’autres buts. Le processus d’émancipation, moins lisse qu’on ne se le représente, n’était lui-même pas exempt d’ambiguïtés, résumées par le terme de « régénération » qu’avait employé l’abbé Grégoire dans son célèbre mémoire présenté devant l’Académie de Metz. Que signifie cette idée de « régénération », si ce n’est que les Juifs auraient « dégénéré » en se repliant sur eux-mêmes (comme si ce repli avait résulté d’un choix collectif et d’une décision libre…) et que l’abandon de leurs particularismes (au premier rang desquels l’orthopraxie religieuse) les « régénérerait ».

Pas encore une image, Jean Daive (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Jeudi, 28 Novembre 2019. , dans Essais, Les Livres, Critiques, La Une Livres, L'Atelier Contemporain

Pas encore une image, Jean Daive, novembre 2019, 304 pages, 29 € Edition: L'Atelier Contemporain

Si, et comme l’écrit Bataille, « L’œuvre est œuvre seulement quand elle devient l’intimité ouverte de quelqu’un qui écrit et de quelqu’un qui la lit », il arrive que les choses se « compliquent » dans la littérature et l’art contemporains. S’y déploie la contestation mutuelle du pouvoir de montrer et d’écrire. Et ce, depuis le départ d’une expérience qui chez Jean Daive est presque viscérale. Pour s’en convaincre – avant de revenir plus avant – il suffit de se reporter aux derniers mots du livre : « Pas encore une image présente un établi de calculs, de méthodes, de chaos progressant vers un état d’unité. Il y a croissance à l’envers parce que l’enfant marchera, parlera grâce aux nœuds de développement ». Surgit dans le livre le bilan de cette marche. L’enfant est devenu vieux. Mais qu’importe. Le corpus n’en est que plus puissant. Rassemblant des entretiens avec Toni Grand, Sophie Calle, les Klossowski, Jacqueline Risset, Daniel Buren, et bien d’autres, Jean Daive prouve comment – et en interactions et connivences – art et littérature ont ouvert leur champ selon divers « incestes ». Par le corps exhibé de la peinture, l’écriture trouve parfois une ouverture capitale. En retour, elle crée des seuils aux images. Si bien qu’à la fin du siècle dernier s’instaure l’apogée d’une communauté inavouable entre les deux.