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En Vitrine

Au pays de la fille électrique, Marc Graciano (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 10 Décembre 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions José Corti

Au pays de la fille électrique, Marc Graciano, Ed. Corti, 149 p. 19 € . Ecrivain(s): Marc Graciano Edition: Editions José Corti

 

Nul doute que Graciano soit un lecteur passionné de Cormac McCarthy : l’enchaînement des coordonnées (et … et … et …), le récit déroulé dans un déplacement le long d’une route, l’affrontement à la violence la plus effroyable, la fascination pour les personnages perdus, marginaux, moitié fous, tout en un mot fait planer l’ombre du grand sudiste sur ce roman terrible, onyx étincelant. On croise aussi l’ombre de Claude Simon dans les phrases sinueuses et sans fin.

La patte propre de Graciano est assurément dans la longue trace indiciaire qu’il sème au long de sa route. Symptômes désolants d’une civilisation à l’agonie, déchets, laideur, haine. Éclairs de lumière dans des rencontres inattendues et pleines d’espoir. C’est notre monde, sur une ligne de crête, prêt à sombrer, avec peut-être encore quelques rares chances de se sauver. Chances ténues, redéposées dans des regards, des épiphanies, des ouvertures. Graciano les placent dans les lieux les plus étonnants : une gendarmerie ou un hôpital psychiatrique ou un chien.

Les herbes vertes s’étendent jusqu’à l’horizon, anthologie bilingue de la poésie chinoise (1912-1949) (par Luc-André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Lundi, 08 Décembre 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Anthologie, Cette semaine

Les herbes vertes s’étendent jusqu’à l’horizon, anthologie bilingue de la poésie chinoise (1912-1949) présentée et traduite par Guomei Chen, éditions Les Deux-Siciles, 2023, 196 p. 20 euros

Après une première anthologie consacrée à l’âge d’or de la poésie classique chinoise, celle de l’époque Tang*, intitulée « Si profonde est la forêt », et publiée chez le même éditeur en 2020, Guomei Chen nous propose aujourd’hui, avec les mêmes qualités de présentation et de traduction faite directement à partir du chinois, une nouvelle anthologie bilingue consacrée cette fois à un temps plus méconnu, ou en tous les cas moins fréquemment évoqué, celui qui va de la proclamation de la République de Chine en 1911 à l’accession au pouvoir du parti communiste chinois et à la fondation de la République populaire de Chine en 1949. Un temps de profondes mutations, d’un changement complet du cadre politique et culturel doublé d’une guerre civile et d’un conflit militaire avec le Japon.

Pour cette période particulière, à la fois confuse et fertile, Guomei Chen a réuni dix poètes dont trois poétesses, certains traduits pour la première fois, présentés et classés par ordre chronologique, représentant la plupart des écoles poétiques du moment, qui sont nombreuses, voire foisonnantes. Un ensemble de soixante poèmes en version bilingue chinois / français, illustrant une période charnière de l’histoire contemporaine de la Chine.

Aurélia, ou le Rêve et la Vie, Gérard de Nerval, édition nouvelle, établie et présentée par Michel Brix (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mercredi, 03 Décembre 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Roman, Editions Honoré Champion, Cette semaine

Gérard de Nerval, Aurélia, ou le Rêve et la Vie, édition nouvelle, établie et présentée par Michel Brix, Paris, Honoré-Champion, juillet 2025, 240 pages, 42 €. Edition: Editions Honoré Champion

 

Est-il possible que, depuis sa publication au milieu du XIXe siècle, nous n’ayons jamais lu Aurélia, qui passe à juste titre pour un des chefs-d’œuvre de Nerval ? La première partie du roman fut publiée dans la Revue de Paris le 1er janvier 1855 et la suite annoncée pour le 15. En réalité, les lecteurs durent attendre jusqu’au 15 février. Dans l’intervalle, le 26 janvier, Nerval fut retrouvé pendu « dans la rue la plus noire qu’il pût trouver » (Baudelaire), avec quatre feuillets manuscrits d’Aurélia au fond des poches.

Or Nerval fut ce poète qui composa de son vivant sa propre épitaphe : « Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait. // C’était la Mort ! Alors il la pria d’attendre // Qu’il eût posé le point à son dernier sonnet ». Ce perfectionnisme déclaré a été mis en avant pour contredire l’hypothèse du suicide, qui laissa Aurélia dans un état d’inachèvement définitif. Ou Nerval mît-il fin à ses jours parce qu’il était incapable de donner à cette œuvre la forme qu’il souhaitait ?

Lettres à la Bien-aimée, Thierry Metz (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 26 Novembre 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Gallimard, Cette semaine

Thierry Metz, Lettres à la Bien-aimée, Poésie/Gallimard, 2025, 400 p. Edition: Gallimard

 

I. PUISQU'IL ME FAUT ALLER JUSQU'AU PUITS

Qu'un homme naufragé, brisé par un deuil, consacre à l'écriture, au feuillet, à la page, tant de poèmes, c'est le signe que, grâce à elle, il pourra remonter du puits où il est enfoui.

L'homme que "Sur la table inventée" ou "Entre l'eau et la feuille" décrivent, "nomade de ton souffle", qui n'a "le souci/ que toucher/ un peu d'herbe", recueille en très brefs poèmes les pulsations de vie "dans ton livre".

Au centre d'une nature que le poète ou le manoeuvre connaît par des voies singulières, il fait de tout ce qui est vu, senti, aimé, palpé, une "écriture, /une langue appelée nulle part".

Il se sait dormeur de tant de choses à dire, passant "derrière les feuilles", "dans la chambre dormante".

Les poèmes tombent en gouttes d'or, "frondant la langue".

La Montagne magique, Thomas Mann (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Vendredi, 14 Novembre 2025. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Fayard, Cette semaine

La Montagne magique, Thomas Mann, traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, Fayard, 2016, 782 pages, 39 euros. . Ecrivain(s): Thomas Mann Edition: Fayard

 

Sur la Montagne magique, tutoyer l’amour.

La nuit de Walpurgis, dans un salon de la maison Berghof, sanatorium cossu de Davos, Hans Castorp déclare à Clavdia Chauchat son amour. Il le fait en français, la langue qui permet, dans ce monde « d’en haut » où le seul lien évident entre pensionnaires est un mal identique, d’échanger des politesses entre gens qui ne parlent pas la même.

Mais il n’est plus question, dans l’intimité que tissent piano et rumeurs de la fête, de politesse. « Je t’aime, balbutia-t-il, je t’ai aimée de tout temps, car tu es le Toi de ma vie, mon rêve, mon sort, mon envie, mon éternel désir… »* Hans, qui ne s’est jamais auparavant adressé à Clavdia, la tutoie d’emblée. Car, de même que la tuberculose outrage, sans se laisser d’abord voir puis à grand renfort de drames, la vie de cette communauté dont les apparences doivent rester sauves, de même la vie intérieure de Hans est trop bouillonnante pour se plier encore, cette nuit de Walpurgis, aux cachotteries bienséantes d’une conversation mondaine.