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La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, Richard Millet (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 20 Octobre 2022. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie

La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, éditions Les Provinciales, août 2022, 300 pages, 24 € . Ecrivain(s): Richard Millet

« Pas de portrait en pied, donc : des images, plutôt ; et malgré le refus de raconter ma vie, qui n’a qu’un médiocre intérêt, la tentation de retrouver le fil, celui de mes vingt premières années, sans céder au romanesque qui pourrait donner de l’épaisseur, non pas plus d’authenticité, à mon récit. On y entendra la basse continue de l’échec et le chuchot de l’innommable, plutôt que le chant d’une enfance heureuse ».

Si on lit avec un rien d’attention l’œuvre de Richard Millet, nous sommes saisis par sa densité, sa force, sa vision, et son style. Qu’il s’agisse de son œuvre romanesque, dont il semble s’être aujourd’hui éloigné, ses récits, ses nouvelles, ses essais, ou encore ses œuvres inclassables, qui appartiennent tout autant à la langue qu’à celui qui depuis près de quarante ans écrit. Il écrit sur sa langue, son pays, ses passions, ses amours, ses livres, ses musiciens, ses colères et ses combats, la France, le Liban, la Méditerranée. Il écrit, à la manière d’un grand classique, un homme de qualité, admirateur des prosateurs du Grand Siècle, et d’écrivains singuliers, qui hantent les bibliothèques, et parfois l’imaginaire des écrivains de notre temps.

Lumière d’août (Light in August), William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 06 Septembre 2022. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard)

Lumière d’août (Light in August, 1932), trad. américain, Maurice-Edgar Coindreau, 628 pages . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

La scène inaugurale de ce roman – l’ouverture peut-on dire tant on pense à l’art lyrique – est d’une lenteur biblique. Le temps y semble dilaté jusqu’au bord de l’immobilité. Plus qu’un ralenti, c’est un à-peine-mouvement, un semblant, qui anime la jeune femme dans son long périple, avec son petit baluchon et cette charge innommable dans son ventre. Qui anime la charrette qu’elle croise et dont on perçoit plus le bruit que le mouvement. Scène d’ouverture écrasée par la chaleur, par la lumière d’août. Une des plus belles ouvertures romanesques de l’histoire de la littérature.

Assise sur le bord de la route, les yeux fixés sur la charrette qui monte vers elle, Lena pense : « J’arrive de l’Alabama : un bon bout de route. A pied de l’Alabama jusqu’ici. Un bon bout de route ».

Lena arrive à Jefferson comme une parfaite étrangère. Pieds nus, enceinte et abandonnée par le père de l’enfant qu’elle porte, Lena stupéfie et scandalise ceux qu’elle rencontre. Elle est considérée comme une paria, suscitant des réactions qui pourraient laisser penser que Jefferson est un lieu où les étrangers et les marginaux sont rares, où il y aurait des normes communautaires.

Petit Maître, Natsumé Sôseki (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 25 Août 2022. , dans En Vitrine, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Roman, Points, Japon

Petit Maître, Natsumé Sôseki, Points, février 2022, trad. japonais, René de Ceccatty, 288 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Natsume Sôseki Edition: Points

 

Ce roman a paru en 1906. Le romancier Sôseki avait alors 39 ans. « Botchan » est le titre original.

Un jeune professeur quitte Tokyo et sa vieille servante et amie Kiyo pour un collège de province, dans une ville reculée. Il y donnera des cours de maths, au milieu d’un corps professoral haut en couleurs, où les inimitiés et les jalousies font la part belle : on y trouve de vieux professeurs comme Koga, un censeur, Tricot rouge, des collègues plus sympathiques comme Porc-épic et des imbuvables comme Cabot ou le Blaireau, directeur de l’établissement.

La province, c’est aussi des logeurs et logeuses qui vivent en louant des gourbis à ceux qui viennent de la capitale.

La province est un monde, tout à fait étranger au nouvel arrivant qui y voit des usages inconnus de lui.

Les élèves sont difficiles, toujours prêts à faire des mauvais coups, toujours prêts à chahuter le nouveau professeur ou à faire le chambard le soir dans les dortoirs.

Les Nuages, Juan José Saer (Par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Août 2022. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Le Tripode

Les Nuages (Las Nubes, 1997), Juan José Saer, éditions Le Tripode, octobre 2020, trad. espagnol (Argentine) Philippe Bataillon, 220 pages, 19 € . Ecrivain(s): Juan José Saer Edition: Le Tripode

 

Nos bien connus Pigeon et Tomatis * ouvrent cet ouvrage – écho à une autre grande œuvre de Juan José Saer, l’enquête, dont nous avons parlé ici-même. Les deux amis, éloignés comme toujours par l’Océan Atlantique – l’un est à Paris et l’autre en Argentine – correspondent toujours et, dans une lettre, Tomatis annonce à Pigeon l’arrivée prochaine d’un envoi mystérieux, de la part de Marcelo Soldi que Pigeon avait déjà rencontré, et qui va prodigieusement l’intéresser. Et « À peu près un mois plus tard, l’envoi était arrivé ! c’était une enveloppe de taille moyenne protégée par une garniture intérieure de plastique à bulles, autocollante mais que Soldi, par précaution, avait fermée avec du ruban adhésif transparent, et qui contenait une lettre assez longue et une disquette d’ordinateur ».

Comme dans L’enquête, le roman va tourner autour d’un manuscrit ancien retrouvé qui va en fait constituer le roman entier, Soldi, l’expéditeur, allant jusqu’à en suggérer le titre en nommant le manuscrit.

La Stupeur, Aharon Appelfeld (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 06 Juillet 2022. , dans En Vitrine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, L'Olivier (Seuil), Israël, Cette semaine

La Stupeur, avril 2022, trad. hébreu, Valérie Zenatti, 252 pages, 22 € . Ecrivain(s): Aharon Appelfeld Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Tout quitter, comme on se dépouille d’un vêtement devenu trop petit et qui enserre. Mais que signifie tout quitter quand ce tout ne recouvre que souffrance, incompréhension, impossibilité à s’exprimer, à se dire ?

Iréna a vécu toute son enfance près d’Adéla, une compagne d’école et une des filles des épiciers juifs de son village. Mais l’heure est à l’épuration, les magasins sont pillés, les Juifs déportés ou exterminés sur place comme la famille Katz. Leur assassinat fait basculer Iréna dans une autre vie, un autre monde : « Iréna tourna la tête : sa vie ici était finie. Une autre vie l’attendait ailleurs. De quelle nature ? Elle n’essaya pas de le deviner. Ce départ ne la réjouissait pas. Elle marchait à petits pas, comme effrayée. Plus elle approchait de la gare, plus il lui semblait que la terre sous ses pieds allait s’ouvrir et qu’un autre sol allait surgir » (p.87).

Sans réfléchir, sans bagages elle quitte maison et mari et prend le train pour se rendre chez sa tante, Yanka, qui vit retirée du monde et « se suffisant à elle-même » : « Que fais-je ici ? se demanda-t-elle dans un vertige » (p.94).