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Critiques

La langue oubliée de Dieu, Saïd Ghazal

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 24 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Québec, Moyen Orient

La langue oubliée de Dieu, Erick Bonnier Editions, janvier 2017, 232 pages, 20 € . Ecrivain(s): Saïd Ghazal

 

C’est un livre travaillé par la mémoire. Le lecteur comprend au fur et à mesure des mots et des phrases combien il peut être difficile de se souvenir comme d’oublier : « Wardé, ma grand-mère, avait la hantise de la mémoire disloquée, elle pratiquait le délire obsidional. J’étais l’entonnoir dans lequel son passé se déversait avec un amour mâtiné de haine ».

Aram est le descendant d’un peuple de confession syriaque parlant l’araméen, il est le dépositaire du cahier de son grand-père, personnage à la fois truculent, rempli d’une sincérité et d’un vouloir vivre hors du commun. « J’ai la langue mouillée par le ressac alphabétique d’un syriaque rouillé, d’un arabe trahi et d’un français adopté ».

Il faut qu’il traduise ce cahier, il n’a pas le choix, s’il veut enfin vivre avec lui-même. Rejeton d’une histoire d’amour et de meurtre, il vit avec une prostituée qu’il honnit, entre autre pour le rôle qu’elle a joué dans cette histoire qui le hante. « Didon, inconnue multiplicatrice de toutes coordonnées dans l’équation de mon existence. Ton émergence a fait chavirer l’opération d’addition simple de ma vie familiale et amicale ». Le style de l’auteur est flamboyant, il force l’admiration tant il est travaillé par une poésie du corps et des émotions :

Mon amie Nane, Paul-Jean Toulet

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 23 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La Table Ronde - La Petite Vermillon

Mon amie Nane, janvier 2017, 187 p. 7,10 € . Ecrivain(s): Paul-Jean Toulet Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Il faut loyalement avertir tout lecteur de ce joyau littéraire : il sortira de ce livre éperdument amoureux de Nane et pour longtemps. Nane c’est Paris, la beauté, l’esprit, la joie d’être jeune et adulée par les hommes. Nane c’est l’insouciance des fêtes, des salons, des spectacles, du tout-Paris bourgeois du début du XXème siècle. Mais Nane c’est, d’abord, une jeune femme issue du peuple et qui s’est hissée dans le monde avec ce que la nature lui avait donné de mieux, sa beauté. Elle fait commerce de son corps mais en demi-mondaine, comme on disait alors. Aujourd’hui on utiliserait sûrement « call-girl » mais en tout cas jamais putain. Nane a trop de charme et d’intelligence pour ce terme brutal et jamais, le narrateur – Toulet sûrement – ne se permettrait son usage.

Ce roman, est-ce un roman ? Pas vraiment. On a une succession de tableaux mettant Nane dans diverses situations, devant son miroir, chez sa mère, à Venise, lors d’un apéritif mondain. Une succession qui, irrésistiblement, fait penser au théâtre, si prisé alors sur les boulevards parisiens. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit point d’un « théâtre de boulevard » balourd et souvent trivial tel qu’on le connaît aujourd’hui. Non, nous sommes plutôt du côté de Labiche, avec des dialogues pétillants, un humour souvent très drôle, des personnages décalés et toujours étonnants.

Ce que nous avons perdu dans le feu, Mariana Enriquez

Ecrit par Cathy Garcia , le Jeudi, 23 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Nouvelles, Editions du Sous-Sol

Ce que nous avons perdu dans le feu, Éditions du sous-sol, janvier 2017, trad. Espagnol (Argentine) Anne Plantagenet, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Mariana Enriquez Edition: Editions du Sous-Sol

Étranges, effrayantes, macabres ou le plus souvent même sordides, ces nouvelles de Mariana Enriquez ne peuvent laisser indifférent. Narrées pour une majeure partie d’entre elles à la première personne, elles nous enfoncent dans les côtés les plus obscurs de l’Argentine, à Buenos Aires le plus souvent, dans un contexte urbain et déshumanisé, où la pauvreté avance comme une gangrène. On peut penser effectivement à l’Uruguayen Quiroga ou même au Bolivien Oscar Cerruto, mais Mariana Enriquez possède une griffe très personnelle et très contemporaine. Ici le glissement vers le fantastique ou plutôt vers l’horreur surnaturelle, ce qu’on appelle le réalisme magique dans la littérature sud-américaine, est clairement un prétexte pour évoquer ou rappeler des faits qui n’ont rien de surnaturel, si ce n’est que leur cruauté semble absolument inhumaine. Que ce soit des cauchemars et des spectres d’une dictature et ses disparus qu’on ne peut faire que semblant d’oublier ou la violence effroyable d’une société où tous les pouvoirs qui se suivent sont corrompus, la misère, les bidonvilles, les ravages de la drogue, la sexualité prédatrice, le trafic d’enfants, la torture, les humiliations, l’exploitation, la pollution, les maladies, les difformités, la folie et la noirceur de l’âme, parfois érigées en culte. C’est de souffrance dont il est question, non pas seulement de la souffrance humaine, mais de la souffrance de tout le vivant.

Cahier Perec, L’Herne

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 22 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Revues

Cahier Perec, L’Herne, novembre 2016, 280 pages, 29 €

 

« C’est un aquoiboniste

Un faiseur de plaisantristes

Qui dit toujours à quoi bon

A quoi bon »

Pourquoi cette citation d’un fragment d’une chanson de Serge Gainsbourg pour introduire la critique du Cahier de L’Herne consacré à Perec ? Peut-être parce qu’un rapprochement peut s’établir entre ces deux personnages qui sont deux personnes d’origine étrangère et que les hasards de l’histoire ont installé dans un autre pays que celui de leurs lignées. Tous les deux ont vécu en France mais ont été des êtres sans patrie, sans racines figées, sans identité rigide, toujours en quête de famille. Deux affamés de reconnaissance avec des ambitions jamais aussi hautes que leurs espérances. Deux passionnés de culture, deux écorchés vifs, deux touche-à-tout, toujours en chasse de perfection. Toujours insatisfaits, se consolant des limites de leur possibles avec la cigarette et la boisson, toujours anxieux, dans l’excès d’expériences tout le temps, partout. Deux infatigables travailleurs. Deux brûleurs de chandelle par les deux bouts.

Il n’y a pas d’écriture heureuse, Alain Marc

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 22 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Revues

Il n’y a pas d’écriture heureuse, Le Petit Véhicule, Revue Chiendents n°109, septembre 2016, Cahier d’arts et de littératures, 5 € . Ecrivain(s): Alain Marc

 

Ce numéro de la précieuse revue Chiendents est consacré à Alain Marc, dont un ouvrage fondamental en deux parties, Chroniques pour une poésie publique, et Mais où est la poésie ? a fait l’objet il y a quelque temps d’une présentation dans La Cause Littéraire.

Alain Marc est pluriellement remarquable. Il possède un talent, une vertu, et un boisseau de capacités :

D’abord il est poète, naturellement, spontanément, foncièrement.

Ensuite il est militant, défenseur acharné d’une poésie qui serait, qui redeviendrait ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : publique.

Enfin il est, simultanément ou successivement, critique, analyste, lecteur attentif, sourcilleux, exigeant, à l’affût de tout ce qui se fait, se dit, s’expose, se publie dans le domaine de la poésie, domaine qu’il appréhende et parcourt en long et en large en faisant montre d’une culture littéraire, théâtrale, événementielle quasiment encyclopédique.