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Critiques

Beauté, Philippe Sollers

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 01 Mars 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Beauté, février 2017, 224 pages, 16 € . Ecrivain(s): Philippe Sollers Edition: Gallimard

« Et voici l’événement : un éclair en plein jour, un coup de foudre sans le moindre orage. C’est stupéfiant et très bref. Zeus vient de parler, on est traversé par cet éclat, on en pleurerait de joie. Il est donc toujours là le vieux Zeus, « l’assembleur de nuées », le Père ? On est pétrifiés, on ne bouge pas, on se tait ».

Commençons par le commencement : Beauté est un roman qui ne se lit pas comme un autre. En même temps que nos yeux fixent les lignes imprimées, les pages enchantées, nos oreilles écoutent Les suites françaises de Jean Sébastien Bach sous les doigts de Glenn Gould, la connexion nerveuse est parfaite, le roman des sens s’ouvre, comme un enchantement – Il a un drôle de geste hiératique pour souligner une brève interruption, il tend le bras en avant, paume ouverte –, et tout s’éclaire ! Le pianiste et l’écrivain : même concentration, même justesse de style, de ton, même vivacité, foisonnement, richesse, justesse, même légèreté, concentration, éloignement du monde et présence au Temps, même musique, et quelle musique ! Beauté est un livre heureux et musical, un livre enchanté. Preuve s’il en est, que la littérature s’entend, s’écoute, comme la musique se voit, elle vérifie la vérité d’un roman, son style, ses manières et sa matière. Les romans de Philippe Sollers s’écrivent et se lisent en musique, ce n’est pas un effet de style, rien de démonstratif, la musique est cette aventure romanesque, le roman cette partition éclairée et éclairante.

Aller en paix, Ludovic Robin

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 01 Mars 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La Brune (Le Rouergue)

Aller en paix, janvier 2017, 345 pages, 21,80 € . Ecrivain(s): Ludovic Robin Edition: La Brune (Le Rouergue)

 

« Je me repliais aussi souvent que possible dans mes appartements, où l’amour d’une vie crevait à petit feu… »

Comme souvent dans La Brune du Rouergue, un drôle de livre, unique, marquant, tranche de vie les pieds dedans, avec tous ses ustensiles. Encore une fois, une remarquable réussite de livre. D’un livre, de celui-là. Cette histoire, cette mémoire, cette écriture et les respirations – on les entend, on les ressent – de l’auteur. On pourrait bien y aller de notre larme, quoiqu’en fait rien d’absolument dramatique ne s’y passe, si ce n’est une complète et minutieuse autopsie à l’ancienne d’un couple et d’une famille qui se défait, se rompt, s’évapore peut-être. Il prend, L. Robin – philosophe, au passage – tout le temps qu’il faut pour « dire » à la façon des chansons de geste auprès des cheminées d’antan cet itinéraire heurté, de saison en saison – beaucoup d’hivers, les pages sont cousues de neige – de jour en jour, et en deçà ; minutes, jusqu’aux battements du cœur. Observer à la loupe ce qui se passe dehors – le village familial Savoyard, voisins, beaux-parents, maire, le verglas de chaque tournant, les fonds de ciel de chaque bout de belle saison. Le champ professionnel – vous saurez tout ou presque de l’entreprise de travaux forestiers où travaille l’élagueur, seul nom de celui qui dit « je », le mari, le père.

Ni vivants, ni morts, Federico Mastrogiovanni

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 28 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Métailié

Ni vivants ni morts, février 2017, trad. espagnol (Mexique) François Gaudry, 240 pages, 18 € . Ecrivain(s): Federico Mastrogiovanni Edition: Métailié

 

Ce livre est terrifiant, il donne la nausée et ici le macabre n’est pas juste un folklore. Le Mexique a déjà une très longue histoire de violence et de luttes, mais on aimerait croire aujourd’hui que le pire est derrière. On se souvient notamment de la date du 2 octobre 1968, où plus de 200 étudiants sont assassinés lors d’une manifestation.

Le Mexique est donc une république démocratique et la population doit pouvoir faire confiance aux institutions, et au gouvernement qu’elle a élu. Confiance dans les efforts du gouvernement actuel pour lutter contre le crime organisé et réduire les inégalités, protéger ses citoyens. Nombreux d’ailleurs sans doute sont ceux qui ont confiance ou qui en tout cas n’ont pas envie de creuser au-delà du message officiel. Seulement voilà, il y a des faits et il y a des chiffres, et même si on s’en tient aux officiels, ces chiffres sont déjà effarants et ils ne cessent de grimper de façon exponentielle depuis 2006. Ces chiffres sont ceux des disparus, les ni vivants ni morts, celles et ceux dont les familles ne peuvent faire le deuil, trouver un peu de paix dans la certitude de savoir au moins la vérité, de pouvoir récupérer un corps, un morceau de corps, des ossements, « des lambeaux de vêtements en putréfaction », quelque chose à quoi se raccrocher, quelque chose à quoi donner une sépulture et une mémoire.

Louis XIII et Richelieu, La Malentente, Simone Bertière

Ecrit par Vincent Robin , le Mardi, 28 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Editions de Fallois, Histoire

Louis XIII et Richelieu, La Malentente, avril 2016, 462 pages, 22 € . Ecrivain(s): Simone Bertière Edition: Editions de Fallois

 

Quels que soient le cadre institutionnel et la forme du pouvoir, être appelé premier des ministres ou principal conseiller auprès d’un dirigeant place peu ou prou celui qui accepte cette nomination politique en très sensible compétition avec son solliciteur. Même sans en recevoir le monopole, celui qui détient ainsi au sein de l’Etat une haute main sur les affaires ou les leviers suprêmes ne peut en effet remplir sa mission différemment qu’en revêtant la peau d’un décideur. L’usage d’un consensus établissant le partage de l’exercice du pouvoir – le plus réduit fût-il – ne se voit plus, de nos jours et nulle part au monde, au stade expérimental. Pas davantage que les rivalités qui montent régulièrement de ces associations suspendues au principe d’une loyauté due au chef suprême mais où, pourtant, les battements d’ailes de premiers serviteurs fréquemment tirés trop près des « girons solaires » rappellent à bien des égards la périlleuse ascension d’Icare. C’est assurément en reprenant l’un des plus singuliers cas d’histoire ouvrant sur ces questions délicates qu’aura été conduite la présente étude de Madame Bertière.

L’Orient est rouge, Leïla Sebbar

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Lundi, 27 Février 2017. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Maghreb, Nouvelles, Elyzad

L’Orient est rouge, janvier 2017, 96 pages, 15,70 € . Ecrivain(s): Leïla Sebbar Edition: Elyzad

 

Si vous aimez les histoires à l’eau de rose, inutile d’ouvrir le recueil de nouvelles de Leïla Sebbar. Rien que le titre L’Orient est rouge, si ramassé, évocateur et grave, sera une arme de dissuasion.

Comment faire en sorte que des faits historiques ou d’actualité deviennent une expérience littéraire ? Comment réussir à relier les deux dans un ensemble unifié ?

C’est la prouesse à laquelle L’auteur de ce recueil parvient. Ces douze nouvelles, ces douze récits rouge pivoine, rouge grenade, rouge sang, rouge vie, rouge mort, présentent une très grande cohérence comme la mise en espace de douze tableaux dans une salle d’exposition autour d’un même peintre.

Douze personnages qui semblent mener une vie normale mais qui souterrainement se laissent emporter dans un tourbillon qui les déborde. Ses personnages, nous les avons frôlés, croisés, avec une parfaite indifférence mais Leïla Sebbar va nous obliger à les regarder au fond de leur être.