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Recensions

Siam, Lily Tuck

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Dimanche, 25 Mars 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, Editions Jacqueline Chambon

Siam. Février 2012. Trad. USA Frédéric Joly. 222 p. 21 € . Ecrivain(s): Lily Tuck Edition: Editions Jacqueline Chambon

 

Voyage littéraire inhabituel mais assurément « Siam » est un voyage.

Lointain. Exotique. Dans une Asie du Sud-Est à peine post-coloniale, encore pleine des parfums des bungalows chics des occidentaux, des thés parfumés et des domestiques indigènes obséquieux. C’est Bangkok, en 1967, vrombissant déjà des envols lourds de menaces des bombardiers américains en mission vers le Vietnam du nord.

Comme un présage de la période noire qui s ‘ouvre, le livre commence par le départ de Claire vers la Thaïlande :

« Claire et James s’envolèrent de Boston pour Bangkok le jour de leur mariage. Vol de nuit qui dura presque vingt-quatre heures ; l’avion volant vers l’ouest ne rattrapa jamais le soleil. Il fit nuit tout le temps du voyage. »

Et pourtant, ce qui attend Claire, jeune femme fragile et émotive, c’est un vrai voyage : la découverte fascinante, obsédante, d’un pays qui la submerge de son étrangeté, de ses règles de comportement, de cette langue Thaïe qui s’apparente à des exercices de vocalises :

« Mai, mai, mai, mai – non, nouveau, brûle, bois »

L'état des sentiments à l'âge adulte, Noémi Lefebvre

Ecrit par Theo Ananissoh , le Samedi, 24 Mars 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Roman, Verticales

L’état des sentiments à l’âge adulte, février 2012, 200 pages, 19 € . Ecrivain(s): Noémi Lefebvre Edition: Verticales

 

Etre heureux est une question humaine, dit la narratrice à un moment donné de son récit haletant. Elle n’a pas de nom ni de repères dans un Paris qui se résume un peu aux alentours de la Place d’Italie et de la Gare du Nord. Un jour, un matin, cette question humaine, soudain, semble la saisir, l’empoigner sans possibilité d’y échapper. Elle la présente comme « un changement de vision » ; c’est-à-dire un rejet catégorique de toutes ces fictions plus ou moins conscientes qui permettent d’être encore motivé en dépit du bon sens, d’être distrait de « l’insondable douleur de vivre ». Une perte de toute illusion forcément douloureuse.

Jean-Luc, le compagnon, au chômage, n’a plus l’énergie élémentaire de se faire propre pour les entretiens d’embauche – il vise à un poste de chef de vente ; la narratrice elle-même, diplômée de l’université, n’a pu trouver qu’un emploi de travailleuse sociale. Tout le roman ou presque, en vérité, va décrire le contenu de ce travail social. Et cela a comme la valeur d’un vécu. Sa collègue Mariama, que ses « emmerdements » d’immigrée d’origine sénégalaise semblent paradoxalement mettre à l’abri de tout sentiment de désespoir, et elle, se relaient (de « douze à quinze » et de « cinq à huit ») auprès de… Victor Hugo. Hugo, sans cesse présenté ainsi : « Celui que je connais personnellement, pas celui que tout le monde connaît au moins de nom ».

Ailleurs et sur la Terre, Jacques Sternberg

Ecrit par Laetitia Steinbach , le Vendredi, 23 Mars 2012. , dans Recensions, Les Livres, Science-fiction, La Une Livres, Mijade

Ailleurs et sur la Terre, novembre 2011, 270 pages, 12 € . Ecrivain(s): Jacques Sternberg Edition: Mijade


« Tu es quelqu’un de bien » entend-on souvent ; quelqu’un de bien, vraiment ? A en croire Jacques Sternberg, nous serions plutôt quelqu’un de « pire » au point d’être considérés par l’auteur comme les créatures les plus odieuses et les plus exsangues de sentiments de toutes les galaxies.

Ailleurs et sur la Terre est une anthologie de nouvelles publiées entre 1958 et 1995, par Jacques Sternberg, un des rares auteurs de science-fiction de langue française à la réputation internationale.

Maître de la démonstration par l’absurde, Jacques Sternberg n’a de cesse de prouver à son lecteur que le monde sans l’homme est finalement bien plus policé et fréquentable qu’avec la présence de celui qui a inventé les notions de société, de respect ou de droits de l’homme. Quoique… ces derniers soient bien appliqués puisqu’il ne s’agit en somme que de conquérir des terres peuplées d’êtres non-humains, donc non éligibles à l’application d’un traité quelconque. C’est qu’ainsi, avec une grande ironie – parfois amusée, parfois désabusée voire désespérée – que l’auteur nous renvoie à nos propres errements ou contradictions, comme dans la courte histoire « Les étrangers ». Qui d’ailleurs n’est pas sans nous rappeler une actualité teintée de polémique autour de la notion « d’identité »…

Une odyssée américaine, Jim Harrison

Ecrit par Lionel Bedin , le Jeudi, 22 Mars 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, USA, Roman, J'ai lu (Flammarion)

Une odyssée américaine, (titre original The English major), traduit de l’américain par Brice Matthieussent, 2010 283 p. 6,70 € . Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: J'ai lu (Flammarion)

Au début Une odyssée américaine de Jim Harrison commence comme un roman de gare : un banal divorce dans le Michigan. Cliff et Vivian se séparent au motif qu’ils ne se comprennent plus. Il est passé de professeur de littérature à paysan, elle vend maintenant des appartements de luxe à une clientèle fortunée. Séparation. Que faire ? Le déclic : la mort de la chienne, et un puzzle « datant de mon enfance. Il y avait quarante huit pièces, une pour chaque État, toutes de couleurs différentes. La boite contenait aussi des informations sur l’oiseau et la fleur associée à chaque État ».

Du passé faisons table rase. Kerouac, Thoreau et Emerson dans la tête, des souvenirs cuisants, un puzzle des États-Unis… l’idée de « partir » s’impose. Tenter d’y voir clair ? « Impossible. Tu essaies d’entamer une vie nouvelle à soixante ans, c’est tout aussi impossible. La seule chose que tu peux faire, c’est des variations sur le thème habituel. Tu es un raton laveur acculé par les chiens de meute de la vie ». Que faire contre le poids du passé, des habitudes, des phrases du père qui résonnent encore, de ce frère mort… Au moins, prendre une décision. Peut-être cesser de se demander pourquoi les gens se séparent, pourquoi les grandes et bonnes intentions de la vie de couple finissent par s’effilocher. Cesser de croire aux grands choses, aux grands desseins, au destin. « Peut-être que la vie se réduit à une succession de mesures temporaires ». Peut-être que « le monde est un lieu instable, mon esprit aussi ».

Nous étions des êtres vivants, Nathalie Kuperman

Ecrit par Guy Donikian , le Jeudi, 22 Mars 2012. , dans Recensions, Les Livres, La Une Livres, Récits, Folio (Gallimard)

Nous étions des êtres vivants, 240 p., janvier 2012, 5,10 € . Ecrivain(s): Nathalie Kuperman Edition: Folio (Gallimard)

On pourrait toujours dire que l’époque est propice à la (re)lecture du texte de Nathalie Kuperman, que cette réédition tombe à pic, que la mise à disposition de ce texte au plus grand nombre ne peut que répondre à un besoin évident, tant l’actualité est riche en délocalisations, fermetures programmées et inéluctables aux yeux de certains, menaces en tous genres qui pèsent sur les salariés. Sans doute trouvera-t-on dans ce texte bien des échos de cette actualité économique. Mais toutes ces bonnes raisons de lire ce texte ne doivent pas masquer les qualités littéraires dont fait preuve l’auteur.

La construction tout d’abord. Nathalie Kuperman donne la parole à plusieurs employés d’une maison d’édition, ce qui est l’occurrence d’un texte à plusieurs voix pour mieux observer de l’intérieur les ravages d’une restructuration de l’entreprise après le rachat par un individu, dont le but n’est que pécuniaire. Le chœur, qui représente l’ensemble des employés, a aussi la parole. C’est l’occasion de suivre l’évolution de chacun quand la suspicion oblitère les rapports dans l’entreprise. Qui sera viré, qui aura la promotion que je mérite, sont autant d’interrogations légitimes. « C’est au moment où il faudrait que nous nous aimions que nous nous regardons avec méfiance ». Ainsi s’établissent des rapports qui poussent certains à commettre des actes insensés. Et d’aucuns iront jusqu’à saboter le déménagement en saccageant les cartons des uns et des autres.