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Poésie

Devenir nuit, Marie Joqueviel (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 26 Mars 2024. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Gallimard

Devenir nuit, Marie Joqueviel, Gallimard, Coll. Blanche, février 2024, 96 pages, 17 €

 

Toute poésie est comme une version de la fable du moi et du monde. Ici, « le monde ne demande pas à ce qu’on l’habite/ le monde ne demande rien/ sauf peut-être qu’on le regarde » (p.54), et le moi, qui veut savoir ce qui l’a permis, y est prêt, et attend le tarif. Le voici : pour regarder le monde, il lui faudra « devenir nuit ». C’est une mise exorbitante, mais donnant – peut-être – l’occasion unique, dans la foulée, de « devenir le monde/ une fois au moins/ avant de mourir » (p.58). Voilà un tel livre.

Avant d’aller vers ce qu’on ignore, la poète (dans la partie « Peuple du désastre », significativement à la fin) fait utilement le point sur ce qu’on sait. Nous savons, écrit-elle un peu sombrement, au moins trois choses (« nous savons » veut dire : nous nous mentirions illusoirement sur ces points). D’abord nous savons que « nous rêvons seuls » (nous n’avons de sommeil que celui donné par notre cerveau, et l’insomnie elle-même est sommeil manqué par notre cerveau, et lui seul).

Quitter la terre, Daniel Morvan (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 25 Mars 2024. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Quitter la terre, Daniel Morvan, éditions Le Temps qu’il fait, janvier 2024, 140 pages, 18 €

 

Ambiguïté

Pourquoi ce titre : ambiguïté ? Parce que le poète est polarisé entre la campagne bretonne de son enfance et une formation universitaire à Paris, laquelle s’est avérée plus difficile, je suppose, que pour les Normaliens de cette époque ; ces élèves des Écoles Normales Supérieures eux restant non clivés par cette séparation (qui sait ?), ni suppliciés par cette double dague au-dessus de leur tête. Ce recueil, en tout cas, balance de la nostalgie à la révolte, de l’intelligence naturelle au savoir savant. Daniel Morvan, je crois, est aux prises avec une culpabilité inhérente à ce mouvement de balancier. Tout l’ouvrage tourne autour de cette question, celle du déclassement social et culturel, donc vers le haut depuis le bas, mais surtout sans surplomb, sans survol, seulement axé sur un approfondissement de ces deux natures. Pour tout dire, je crois que l’on peut parler de nœud gordien. Seul le lecteur probablement est à même de trancher cette corde.

Nuit Sauvage et Ardente, Parme Ceriset (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 21 Mars 2024. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Editions du Cygne

Nuit Sauvage et Ardente, Parme Ceriset, Editions du Cygne, janvier 2024, 100 pages, 10 € . Ecrivain(s): Parme Ceriset Edition: Editions du Cygne

 

Une femme qui marche, qui court, qui vole, solitaire, qui va droit devant, dans la nuit, dans le vent, dans les champs, dans la brume, dans l’eau des ruisseaux, dans les rues « où fourmillaient jadis le sens de la fête, la joie scintillante en pépites, la liberté des êtres », qui va, indomptée, sous des pluies de lave et de cendre, dans le flou du présent dans lequel elle est en mouvement et dans le trouble tumulte des souvenirs douloureux d’un passé tout récent, dans l’espace et dans le temps d’un décor torturé, chaotique, et dans l’atmosphère lourde, apocalyptique, de la fin d’un monde dévasté par les guerres.

Tel semble être le courant narratif de près des cent compositions poétiques constituant ce recueil.

Poésie fluide, libre, comme celle qui va, sans entrave, toutes chaînes rompues, qui traverse.

Qui fuit.

Car le jour touche à son terme, Frédéric Dieu (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 18 Mars 2024. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Car le jour touche à son terme, Frédéric Dieu, éditions de Corlevour, Revue la forge, janvier 2024, 80 pages, 15 €

Écobuage

Le recueil de poèmes que publie Frédéric Dieu, aux éditions de Corlevour, est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord pour son écriture stylisée mais pas emphatique, sobre, et cependant n’hésitant pas à conduire le poème sur les rives de moments lyriques ; en somme, une langue claire et raffinée. Et pour l’essentiel l’on peut se référer à la théorie d’Empédocle sur les quatre éléments, théorie des éléments comme combustible, matière, pour avancer au sein des profondeurs de cette poésie. Car cette poésie est hantée par le feu et la terre essentiellement, jusqu’à la combustion des tourbes ; mais aussi par l’eau et l’air, ce dernier étant figuré par le vent. Donc simplicité du fond qui engage une certaine métaphysique, un lieu immatériel où se jouent les sens et les significations. Pour cela, il ne faut pas négliger des emprunts à la Bible et ses forces parlantes. C’est à cette traversée que nous sommes invités. Un monde calciné, éprouvé par les cicatrices laissées par le chemin des flammes, une sylve obscure où émergent des images, sorte d’apocalypse lente et appuyée.

Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, Dominique Sampiero (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 13 Mars 2024. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres

Inventaire du vide comme neige et fleurs non répertoriées, Dominique Sampiero, éditions de Corlevour, 2023, 144 pages, 18 €

 

Le poète « nordiste », né en 1954, dans ce livre copieux, tutoie l’inconnu, élargit « l’immense tente », et « mes yeux touchent le sommeil ».

Structuré en trois parties (dont les titres jouent de l’espace et du corps), le livre révèle nombre d’apprentissages sinon de victoires sur le vide, le rien, le non-être, l’identité trompeuse.

La langue, le plus souvent en morceaux de prose, est prise sur l’attente, le silence, la surface du monde ; la mort, certes, est à l’avant-poste : que de trous à combler, que d’enterrements de mots et de morts.

Dans « l’inventaire » à établir, la présence de ce qui peut se perdre, s’oublier, être négligé, est prégnante :