Sphère, Didier Ayres (par Yasmina Mahdi)
Sphère, Didier Ayres, 128 p., éd. La Rumeur libre, 2024, 126 p. 18 €

Dans l’univers en interprète
L'histoire a beau prétendre nous raconter toujours du nouveau, elle est comme le kaléidoscope : chaque tour nous présente une configuration nouvelle, et cependant ce sont, à dire vrai, les mêmes éléments qui passent toujours sous nos yeux.
Le monde comme volonté et comme représentation, chap. XLI, Schopenhauer
Tout d’abord, 3 chapitres et 33 poèmes composent le nouveau recueil de Didier Ayres, édité par La Rumeur libre. Rappelons que le chiffre 3 évoque le solide, le liquide, le gazeux, le passé, le présent et l’avenir ; le bleu, le jaune et le rouge ; le minéral, le végétal et l’animal, ce qui équivaut à une synthèse et à une totalité. Ensuite, 33 est un nombre qui associe la dualité et le ternaire, un palindrome, également nombre du symbolisme du miroir et de l’initiation. En multipliant 3 par 33, nous trouvons 99. Or, 99 est un nombre composé, associé à la fin, à la complétude.
En Islam, aux 99 noms d’Allah. Dans la Kabale, 99 est lié à l’ange de la miséricorde. Cette somme de deux chiffres semblables personnifie l’accomplissement et la sagesse, et marque la fin d’un cycle. D’autres éléments du système décimal arabe ou de numération romaine apparaissent comme titres ou à l’intérieur des poèmes : Trois, Dix-sept heures, 1978, quinze ans, 5000, Vingt, etc., mentionnant des heures, des dates, des âges.
Les expériences, les perceptions et les visions de Didier Ayres se déclinent sous forme kaléidoscopique, en multiples facettes, tournoyant dans une sphère lumineuse, projetant à la fois un nombre fini d'éléments dans un espace fini (clos), et en même temps un nombre indéfini de combinaisons. Ici, vues aquatiques, neiges, aquariums, cristaux, matière, lieux de repos ou cénotaphes dérivant le long de fleuves… La forme stylistique fait appel au chiasme grammatical.
Dans des villes de feutre
Dans certains cristaux
La fin et la beauté (…)
Ou
Tu gis dans de profondes piscines
Au sein de cette année double
Deux mille vingt
Violemment.
L’auteur réaperçoit la ronde des jours à travers une boule, tantôt transparente, tantôt opaque, géode cristalline, rutilante. C’est une poésie réverbérant, qui réfléchit, transporte, renvoie au récit. C’est une poésie-réflexion, qui surgit des tréfonds, une prose qui défriche. Une succession de mots à la signification intense, véhicule des fragments d’expériences, creuse des sillons.
Je regarde c’est ainsi
Allant dans des zones aqueuses
Qui abritent des deuils
Mon père descend toujours la Sombre
Ma sœur dans sa barque.
Une gamme chromatique personnifie les choses, les peint de rouge, d’or, de blanc, de jaune, de noir, de gris, de rose, de bleu, de violet.
Papillons rouges sur des ciels outremer (…)
Ou
L’ange
Là dans les feuillages gris.
Le temps joue un rôle déterminant, rapprochant deux éléments hétéroclites, créant une image nouvelle.
Le simple pain de la nuit
Dans la chapelle froide
Le temps comme toujours habillé d’une chemise brillante
Cette musique
Cette musique.
L’architecture occupe une place dans le livre avec différentes figures géométriques de portes, de rues, de fenêtres, parfois encadrées de nature, ainsi que les métaux, les pierres précieuses, sujets à part entière. Cette poésie ne comportant qu’un point final ou d’interrogation, est libre d’entraves, résolument contemporaine. C’est également une poésie du constat, de la simplicité ; une littérature qui capte l’instant et le rend essentiel. L’écriture spéculaire de Didier Ayres renvoie à une métaphysique, qui transcende le présent.
Une pensée jaillissant de grands arcanes solitaires
Ma personne
Quelle est la vérité ?
L’exploration des sens du poète s’effectue dans une certaine solitude, dans un « monde abstrait », lors d’un « Vague jour » car, « Qu’il est vain de parler » …
Yasmina Mahdi
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