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Les Livres

Les Ex ne meurent jamais, Eric Essono Tsimi

Ecrit par Zoe Tisset , le Samedi, 13 Mai 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Les Ex ne meurent jamais, L’Orpailleur, mars 2017, 126 pages, 14 € . Ecrivain(s): Eric Essono Tsimi

 

C’est comme si on était assis à une terrasse de café à bavarder avec un homme qui converse autour de sa vie et de ses expériences en tant que « Afrocain, c’est-à-dire africain défroqué, afro quelque-chose, afrométisse, afroplanétaire, afrocaucasien, afropolitique, afrodescendant peut-être, puisque mon arrière-arrière-grand-père était africain au début et à la fin de son existence ».

Voilà le ton est donné, il est léger, souvent humoristique, parfois plus grave. « C’est comme les fromages, les africains, il y en a de plusieurs sortes, mais tous sont du même pays l’Afrique, la terre la plus pure, où les mélanges d’origine ont le moins eu lieu (…) alors que d’où je viens c’est si naturel (notre seconde nature) : être inhumain, brûler vif les voleurs de poule, condamner à mort les pédés ». L’auteur raconte son adolescence, ses premiers amours. « Et dans son rapport à Séraphine, il a bien précisé combien je pouvais changer sa vie. Il lui a même dit que j’avais dix savons différents pour me laver (Nivea, Dove, Le Chat, etc.). Zomo a ajouté que j’ai un parfum qui reste même après s’être lavé trois fois dans le marigot ».

Je dansais, Carole Zalberg

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 12 Mai 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Grasset

Je dansais, février 2017, 162 pages, 16 € . Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Grasset

 

Au XVIème siècle, dans le volume III, chapitre 5 de ses Essais, Montaigne écrivait déjà : « Les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles ». Aujourd’hui, cinq siècles plus tard, ce sont les femmes éduquées qui prennent la plume pour rompre le silence qui entoure la condition des femmes et la recherche d’une réelle émancipation.

Dans son dernier roman, Je dansais, empli de bruit et de fureur où le morbide et la noirceur dominent, Carole Zalberg tente, à travers un récit singulier, de décrypter les ressorts de la violence infligée à des jeunes filles sans défense dans notre pays prétendument « civilisé ». Mais son exploration ne se limite pas à un cas particulier. Elle étend et généralise sa dénonciation à toute la condition féminine en général.

Au départ, l’intrigue s’appuie sur la réalité, mais l’auteur va bien au-delà. À partir d’un fait divers qui pourrait se tailler une part belle sur certaines chaînes de télévision ou dans certains journaux à sensations, Carole Zalberg, par la grâce de l’écriture, confère à son récit une ampleur exemplaire.

Bel et moi, Jacques Perry

Ecrit par Hans Limon , le Vendredi, 12 Mai 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Bateau Ivre

Bel et moi, mars 2016, 136 pages, 16 € . Ecrivain(s): Jacques Perry Edition: Le Bateau Ivre

Perry, l’impérissable

Quelque chose de Racine chez Montherlant, disait en substance Gabriel Marcel. Quelque chose de Montherlant chez ce Perry crépusculaire, touchant trio de chair et de lettres où se mêlent souvenirs évanouis, rêves plus grands et plus beaux que nature, fragments d’écrits flambés, désespoirs chenus, clameurs entrecroisées, regrets démentis, simulacres de vie trop envahissants, mensonge et vérité (à moins que ce ne soit l’inverse ?).

Duplicité trouble et ternaire. Drôle de jeu de piste, ivre et torse et tendre, à la mesure d’un Dédale alangui, parfaitement maître de son architecture. Tom-Louis fabrique Bel-Mais de toutes pièces, personnage de pure invention mangeur-de-conscience et pourvoyeur-de-vie-renouvelée qui, en retour, prolonge et recrée Tom-Louis, son père d’encre à défaut de sang, son idole, son envers-tête-grise, l’admire et l’assimile à son être de papier au point de lui prendre ses mots, ses humeurs et son épouse, à la manière d’un fidèle noyé d’enthousiasme qui, au confluent du sacrilège et de l’adoration, se couvrirait des reliques d’un saint révéré dans l’espoir de le faire revivre, ne serait-ce que l’instant d’une fiction, juste avant l’ultime subm(v)ersion.

Échelles, Alain Wexler

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Vendredi, 12 Mai 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Echelles, Les écrits du Nord, éd. Henry . Ecrivain(s): Alain Wexler

 

Échelle de Richter, échelle de toit, échelle de Jacob, échelles d’évaluation, échelle de fortune, échelle du bonheur même entend-on curieusement en ce 21e siècle… (Quelques degrés) sous-titre le poète-éditeur Alain Wexler pour annoncer la magnitude générale de ce recueil publié dans la collection Les Écrits du Nord aux Editions Henry, Échelles. Quelle énergie libère ces poèmes et quelles échelles gravissent-ils pour dénicher les mots, « des œufs entre les dents » cueillis dans l’arbre d’altitude, jusqu’à nous embarquer jusqu’aux hauteurs de la genèse, du poème absolu ?

Poésie de magnitude générale : celle des échelles poétiques – géolocalisable : l’échelle de l’arbre, qui « s’enfonce dans la fourche aux oiseaux » ; musicale ; échelle de la nuit ; de la hauteur féminine (« l’échelle, timide de nature / Procède par degrés. / Ensuite, la femme / Devient l’échelle de l’homme ») ; télescopique ; l’échelle empruntée par l’escalier ; l’échelle des jambes… – notre vie courante n’est-elle pas ainsi affaire de quelques degrés, mesure de marches enjambées, osées, manquées, perceptions graduées ou de dégradés dans le cercle chromatique de nos existences où chacun rame pour tenter d’avancer ?

Dans son regard aux lèvres rouges, Yves Charnet

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 11 Mai 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Bateau Ivre

Dans son regard aux lèvres rouges, janvier 2017, 264 pages, 19 € . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: Le Bateau Ivre

 

« Vous étiez le nouvel amour. L’espace s’était de nouveau remis à trembler. Une brûlure bleue ; une lumière balbutiée. Il y avait de nouveau quelque chose dans l’air. Quelque chose d’imperceptible. Je vous avais parlé de cet air bleu sur le fond duquel se découpait, aux yeux de Frédéric, toute la personne de Madame Arnoux. Scène de l’apparition dans L’Education Sentimentale ».

Dans son regard aux lèvres rouges est justement un roman de l’apparition, roman vécu, peut-être une autofiction, sûrement une autofriction, le narrateur est l’auteur, et l’acteur de ce qui se joue là sous ses yeux, sur sa peau et donc dans sa main. Dans son regard aux lèvres rouges ne craint rien de la force de la littérature – qu’on la qualifie comme on le souhaite ! il y risque son corps, il y risque sa phrase, et son style dans ce corps à corps avec Romy B. Il dévoile, se dévoile et dévoile son amoureuse, s’avance et avance la jambe, à l’image des toreros qu’il admire – c’est ainsi qu’il se place, avançant la main et guidant la charge de la corne opposée du toro et de Romy. Il se dit, ma vie doit être libre, joyeuse, mystérieuse, évidente comme le sourire radieux de Romy, mais, car il y a un mais permanent dans ce roman, Romy hésite, ne cesse d’hésiter entre son époux et son amant de la péniche, même lorsqu’elle s’offre c’est en hésitant. Cette hésitation est l’une des tensions du roman.