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Le Jardin d’Orléans, Catherine Saulieu

05.04.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions de Fallois

Le Jardin d’Orléans, mars 2018, 344 pages, 22 €

Ecrivain(s): Catherine Saulieu Edition: Editions de Fallois

Le Jardin d’Orléans, Catherine Saulieu

 

Histoire d’un nain (de jardin)

Catherine Saulieu a retrouvé les mémoires de son grand-père, Joseph Magloire, et se fondant sur ceux-ci, elle raconte sa vie. Il est issu d’une famille bourguignonne qui a dû s’exiler en Algérie à la fin du 19esiècle à la suite d’une faillite frauduleuse.

Une famille de tradition royaliste, qui déteste les francs-maçons et revêt des habits de deuil le 14 juillet, date funeste. Et naturellement, viscéralement antisémite. « Ceux-là, on les haïssait. Malheureusement, ils étaient fourrés partout, et même en classe de grec où il n’était pas rare qu’ils confisquent le prix d’excellence » note l’auteur avec ironie.

Le failli s’appelle Adrien Legros, il a signé un blanc-seing à un prêtre qu’il a chargé de construire un orphelinat. Mais l’abbé est un mauvais gestionnaire et Adrien se trouve rapidement ruiné. Loin d’en vouloir à l’église catholique, Adrien élève ses enfants et petits-enfants (dont Joseph Magloire grand-père de l’auteur) dans la foi chrétienne avec un discernement proche du néant.

Né en 1895 en Algérie, Joseph Magloire grandit dans un milieu étriqué peuplé de curés coincés, de dames patronnesses et d’antisémites patentés. C’est un élève nul et ses premières attirances ressemblent à des amitiés particulières avant qu’il ne se passionne pour le chant grégorien.

A 29 ans, alors qu’il n’a jamais approché la moindre femme et qu’il est ignorant des choses du sexe (on ne vit pas impunément dans la robe des curés à cette époque-là), on le marie avec une certaine Jeanne. Elle lui donnera sept enfants et il est probable que, à l’instar du prince Salina dans Le Guépard, il n’ait jamais vu son nombril.

Joseph doit trouver un emploi stable et correctement rémunéré pour nourrir sa famille. Quoi de mieux que de devenir professeur de l’enseignement public malgré sa haine de la gueuse et son niveau scolaire médiocre ? Joseph est nommé professeur à Sétif, ville qui regorge de colons réactionnaires qui n’éprouvent que sympathie pour lui et ses idées ignobles. Mais servir l’Etat ne va pas jusqu’à accepter de payer ses impôts ! Bien avant Thévenoud, Joseph souffre de phobie administrative. Avec succès grâce à la complicité d’un employé du fisc compréhensif.

L’Action française ayant été condamnée par le pape, Joseph s’en éloigne pour tomber de Charybde en Scylla, les Croix de Feu dont la haine des francs-maçons, des juifs et des socialistes est pire encore.

En 1936 les élections législatives portent le front populaire au pouvoir et Léon Blum devient président du conseil. Tout ce que Joseph déteste ! Des socialistes, des communistes, des juifs… Et c’est là que se noue le drame qui confère son titre au livre.

Le jardin d’Orléans est situé au bout de l’avenue qui traverse la ville de Sétif. Le 29 juin 1936 le fils de Joseph, âgé de 11 ans et aussi antisémite que son père, se castagne avec quelques gamins (d’horribles juifs naturellement) et il reçoit des coups d’un gamin de son âge nommé Serge Lévy. Joseph, selon ses dires, va poliment protester auprès de la mère et celle-ci lui fait tomber son chapeau.

Mais Mme Lévy n’a pas la même version des faits : elle va au commissariat de police déposer une plainte, nantie d’un certificat médical attestant d’une incapacité de travail de 10 jours, et elle affirme avoir reçu trois coups de poing et une volée d’insultes antisémites de la bouche de Joseph.

Les faits sont accablants et Joseph est muté à Tlemcen. Le jour de son départ, tout ce que Sétif compte de réactionnaires et de racistes vient lui rentre hommage. A ce stade du récit Catherine Saulieu semble rendre les armes : pourquoi raconter avec tant de détails « l’histoire d’une abjection » ? Car Joseph est un être borné à qui on a enseigné la haine des juifs, qui l’a pratiquée toute sa vie durant et l’a transmise à ses enfants, dont la mère de l’auteur. « Je ne veux pas que tu la fréquentes » dira-t-elle un jour à Catherine Saulieu, quand elle apprendra que sa fille a une amie qui s’appelle Jacqueline Bensakem.

A Tlemcen, Joseph continue à professer ses sympathies d’extrême droite pendant ses cours et il est de nouveau muté, à Saint-Flour cette fois, où la guerre de 40 le surprend. Le régime de Vichy est une divine surprise pour lui et il voit en Pétain un héros, le sauveur de la France qui va restaurer ses vraies valeurs. Pétainiste convaincu comblé par les lois antisémites, mais pas collabo, il est cependant mis à la retraite d’office après la guerre, toute son œuvre passée au service du fascisme et à la haine raciste ne plaidant guère en sa faveur.

Joseph Magloire meurt en 1980 sans avoir manifesté la moindre prise de conscience ni le moindre regret d’avoir mené une vie médiocre, sans avoir éprouvé le plus petit remords de ses idées abjectes.

Catherine Saulieu semble s’être fixé pour but de confesser les tares de ses ancêtres pour laver sa propre famille de cette saloperie et elle nous livre le récit d’un siècle d’antisémitisme borné dont elle a sainement interrompu la transmission aux générations futures. Mais il reste bien des familles où d’autres petits Magloire poussent sur de la fange.

 

Fabrice del Dingo

 


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A propos de l'écrivain

Catherine Saulieu

 

Catherine Saulieu a été professeur de français en Algérie et à Damas. Le Jardin d’Orléans est son premier livre.