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Les Livres

Journal 1954, Léopold Tyrmand (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 23 Janvier 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Editions Noir sur Blanc

Journal 1954, Léopold Tyrmand, éditions Noir sur Blanc, janvier 2019, trad. polonais, Laurence Dyèvre, 560 pages, 26 €

 

Journal-refuge,Varsovie 54

Léopold Tyrmand, né en 1920, avait trente ans lors de la rédaction de ce Journal 54. Après un parcours très difficile et héroïque, rescapé d’un camp d’extermination nazi (dont sa mère sera la seule survivante de sa famille), appartenant à une famille juive « assimilée » (l’adjectif est celui du communiqué de presse), des geôles du NKVD et du travail forcé en Allemagne (STO), il collabora à plusieurs revues et quotidiens, sans hésiter à écrire des articles personnels, ce qui lui valut une grave mise à l’écart, une interdiction de publier et une expulsion de son logement en 1946. Léopold Tyrmand, dans ce journal, consigne de nombreux événements, cite les personnalités en vogue tout en pointant les dérives et les manipulations d’un parti unique, coupable, selon lui, « d’un sabotage de la pensée ». Ce journal est un partage émouvant avec ce qui a été et n’est plus – une œuvre posthume –, un récit édifiant en bien des points car il nous apprend les finesses et les douleurs d’une existence bohème, nous permet la découverte d’un pays, de sa mentalité et de ses préoccupations. Nous cheminons à rebours, main dans la main, avec l’auteur dans sa pleine jeunesse, nous nous sentons familiers de ses confidences, et même si nous ne connaissons pas Varsovie, la force de son écriture nous campe cette capitale et ses alentours avec une vérité quasi photographique, entre, ce que nous assure Tyrmand, « clairvoyance et expérience ».

Mollusque, Cécilia Castelli (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain , le Mardi, 22 Janvier 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Serpent à plumes

Mollusque, janvier 2019, 151 pages, 17 € . Ecrivain(s): Cécilia Castelli Edition: Le Serpent à plumes

 

La confession de Gérard le crustacé

S’il est vrai que la première phrase d’un roman peut être décisive et révéler le ton et la couleur de l’ensemble, le nom attribué au personnage principal est rarement anodin, innocent. Le narrateur de Mollusque ne s’appelle pas Gérard par hasard : c’est sa mère, une drôle de femme, qui a tenu à le lui donner. « Pas intellectuelle pour un sou », elle aime cependant les poètes et en particulier Gérard de Nerval, qu’elle tient pour l’arrière-grand-parent dans la lignée. Elle aurait d’autant plus dû penser à un autre nom qu’elle sait comment l’ancêtre a fini sa vie : au bout d’une corde. Négligeant royalement l’éducation de son fils, elle préfère s’adonner à une drôle d’occupation, qui semble son passe-temps favori :

Ma mère, bizarrement, adorait repasser ses culottes. Je ne sais pas pourquoi. Cela devait la détendre, la relaxer. Elle faisait souvent des piles entières de culottes qu’elle posait ensuite sur la table et qui finissaient parfois par tomber par terre. Alors elle les ramassait, les repliait, et elle semblait satisfaite.

Le noble art de la brouille, Matthias Debureaux (par Fedwa Bouzit)

Ecrit par Fedwa Ghanima Bouzit , le Mardi, 22 Janvier 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Allary Editions

Le noble art de la brouille, juin 2018, 94 pages, 10 € . Ecrivain(s): Matthias Debureaux Edition: Allary Editions

 

« Une étude néerlandaise de l’université d’Utrecht a estimé la durée moyenne d’une amitié à sept ans. Mais quand l’amitié n’est plus qu’un échange de mauvais procédés, quand l’ami vous rend nerveux, ce vortex bientôt plein de bruit et de fureur ne peut plus durer. À quoi bon s’acharner à maintenir une liaison à bout de souffle sous assistance respiratoire ? À quoi bon surjouer l’amitié sicilienne quand l’ami ne fait plus vibrer les cordes de la sympathie ? ».

Tout l’objet du dernier essai de Matthias Debureaux est de nous exposer les menus stratagèmes par lesquels on peut débrancher une amitié agonisante. Bien plus qu’un manuel, Le noble art de la brouille est un éloge de la rupture. Loin d’être une tragédie, l’auteur y voit une aubaine pour rafraîchir son entourage et s’économiser des centaines d’heures de conversation sans intérêt. Pour l’auteur, une dispute dans les règles de l’art dure à l’infini, par-delà la tombe, nourrie de rancune et jalousement protégée du danger de la réconciliation.

À propos de Rire et gémissement, Tarik Hamdan, et Du bleu autour, Viviane Ciampi, éditions Plaine Page (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 22 Janvier 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Rire et gémissement, Tarik Hamdan, et Du bleu autour, Viviane Ciampi, éditions Plaine Page, 2018, chacun 10 €

Poésie connexion

Comme il me fallait choisir dans toute la livraison 2018 des éditions Plaine Page, j’ai essayé de joindre deux ouvrages assez différents mais qui illustraient avec pertinence le mot de connexion – qui est le titre de la collection où paraissent ces livres, le premier de Tarik Hamdan, poète palestinien et journaliste, et le second de Viviane Ciampi, poétesse italienne et peintre. En effet, dans les deux cas, il s’agit bel et bien d’une « connexion », l’une au monde et à l’Histoire, et l’autre au monde matériel de l’organicité physiologique de l’être humain. Cependant, je parlerai peut-être davantage de Rire et gémissement, car ce recueil est plus volubile, plus imagé et donne mieux à penser la relation avec le monde qui va, avec l’Histoire, avec le tremblement du monde, cher à Édouard Glissant. Mais je n’oublierai pas de décrire mon sentiment à l’égard du travail de Viviane Ciampi, dont l’ouvrage s’accompagne de ses propres encres, taches fluides et bleutées, un peu maritimes et qui rappellent le test de Rorschach.

300 millions, Blake Butler (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty , le Lundi, 21 Janvier 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Inculte

300 millions, janvier 2019, trad. (USA) Charles Recoursé, 550 p. 24,90 € . Ecrivain(s): Blake Butler Edition: Inculte

Il ne faut pas croire tout ce qui est écrit. Les mots inscrits noir sur blanc dans les pages d’un livre ne sont pas forcément les mots que l’on croit lire. Les mots ont aussi un pouvoir. Ils peuvent même être dangereux et, quand on s’en rend compte, il est trop tard. Si toutefois on s’en rend compte.

Gretch Garvey est une espèce de méta Charles Manson qui recrute des jeunes disciples pour l’aider à accomplir son grand dessein : anéantir toute la population américaine et permettre l’avènement de Darrel, la voix qui parle dans et à travers lui. Mais les policiers sont sur le coup. Quand ils l’arrêtent, ils découvrent une maison remplie de cadavres que les disciples de Gretch Garvey lui ont amenés et qu’il a en partie mangés.

Au début du roman, c’est Gretch Garvey qui parle et le texte est annoté par Flood, un policier. D’autres personnes interviennent, glissent par-ci par-là un mot, une remarque, précisent et rectifient certaines situations ou comportements. Dans la maison ont été retrouvées des malles pleines de vidéos. Pour les policiers, elles représentent des indices qui vont leur permettre de comprendre ce qui s’est passé et peut-être aussi de découvrir comment Gretch Garvey a réussi à convertir tous ces jeunes gens. Mais en visionnant les bandes, les policiers se retrouvent contaminés et tuent leur famille avant de se suicider. Ce n’est que le début de l’épidémie.