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Ecriture

Djemila (Par Elisabeth Bouillot et Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Lundi, 04 Mars 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Départ de la Tour 106 des Minguettes, qui s’écroule, emportant avec elle l’urbaine sérialité des grands ensembles. Entre des parents incompréhensifs et une fratrie divisée, la petite fille regarde le ciel, plane entre être et néant. Elle écoute en boucle Barry white, Marvin Gaye, Donna Summer. La destinée s’augure musicale. Réminiscences sensitives à vie. Lycée en pointillés. Fugues par intermittences. Explorations du monde de la nuit. Danseuse sexy. Un frère la mouche au père autoritaire. Brutalités répétitives. Fuite sans retour. A quinze ans.

Paris, bien sûr. Djemila Khelfa débarque à l’improviste chez une grande sœur généreuse, amie de célébrités artistiques et littéraires. Michel Foucault entre autres. Adolescente des stratosphères, propulsée dans les hautes sphères. Jean-Luc Hennig, agrégé de grammaire, journaliste à Libération, rédacteur en chef du mythique Rolling Stone France, animateur sur Fréquence Gaie, auteur prolixe de livres sur la nuit, le sexe, la mort. Et toute sa bande, intempestive, provocatrice, fascinante. On les appelle « Les homos de Libé ». Des artistes et des intellectuels, argentins, brésiliens, latino-américains, s’agglomèrent dans les boîtes sulfureuses. Marcia Baila des Rita Mitsouko casse les codes de la variété. Catherine Ringer et Fred Chichin mettent le feu aux planches. Cœur brûlant du Paris transgressif. Triangle magique de l’art volcanique avec New-York et Berlin. Paname conquise en toute liberté. Sans domicile fixe.

Apostille & Excursus… à la girafe, par Eric Poindron

Ecrit par Eric Poindron , le Vendredi, 22 Février 2019. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

N’oublie Jamais, lecteur, que si la girafe laisse des traces, l’ombre de la girafe ne laisse pas de taches.

 

Lorsque j’écris une histoire, il m’arrive, sans que je ne le dise à personne, d’enfouir des secrets derrière les mots, devenant ainsi le passager clandestin de ma propre histoire.

Qui suis-je quand j’écris ? Suis-je moi, ou ce que les autres disent que je suis ?

BRIGAND GANDIN

Ou celui qui se glisse derrière celui que je « suis » ?

BRIGANTIN comme un navire qui vogue sur les sous-entendus de l’aventure ?

Ai-je écrit mes livres ?

Je ne sais pas ; ou à peine. Je les ai vus avant, peut-être ; je les ai lus peut-être.

Tel Quel (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 18 Février 2019. , dans Ecriture, La Une CED

 

Que Monsieur Songe le sache, moi aussi je m’étiole. Est-ce risquer l’indécence que l’affirmer ? De le dire je ne tire aucun bénéfice évident. Je refuse simplement l’autocensure ou la sublimation. Je cherche juste à déchiffrer quelques liens logiques, d’établir des hypothèses voire de découvrir quel problème je devrais me poser plutôt que de touiller ma marinade marinellienne et tinorossinnante constituée de sensations et de sentiments plus ou moins douteux. Sachez toutefois qu’il existe chez moi ni le goût du drame ni celui d’interprétations globalisantes qui reconduiraient aux apories d’un toposromantique.

Certes mon inquiétude ne me quittera pas, comme en témoignent tous les brouillons que j’ai torchés jusque-là pour étancher mes foirades en croyant que chacun d’eux pourrait encore toujours (ou perpétuellement) faire de moi écrivain. Chaque fois je reprends à zéro d’inconduite les chemins déjà parcourus en des parodies de sermons sur la montagne (puisque j’y habite depuis 70 ans). Ils n’ont jamais levé la moindre obscurité. Et dans leur avalanche je me laisse avaler d’autant qu’avec le temps mes find du moi sont difficiles.

Tombeau de Marceline Rozenberg (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Vendredi, 15 Février 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED


Les pères inventent le prénom de leur fille comme les poètes trouvent un titre à leur recueil. Ils partent à sa recherche comme les chercheurs d’or en quête de la pépite miraculeuse. Pendant des jours et des semaines, leur tête cogite, s’agite. Et un beau jour, une présence de syllabes et de voyelles. Un rythme sonore, comme la seule note juste. Indélébile, tatouée sur le cœur. La chair d’un corps dans ce seul mot, toute la vie, toute sa vie d’enfance et de vieillesse. Etre déclarée, proclamée vivante à la face du monde.

Seuls ceux qui aiment en trouvent les secrets, les formules magiques, les raccourcis sentimentaux dans les calendriers, dans les arbres aux robustes branches dont les fruits sont de tendres disparus. Prénoms en fleurs, écloses en fruits mordus, en nuit et en soleil, en pays de cocagne, en saints écorchés, décapités, crucifiés, en fantaisies aventurières et en langues mystérieuses.

Shloïme grimpe les escaliers d’une vieille mairie de lointaine province, avant-guerre. On est en 1928 à Epinal où coule la froide Moselle. C’est le mois de mars, du printemps bientôt.

Le rayon vert (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Vendredi, 15 Février 2019. , dans Ecriture, La Une CED

 

Il se cogne aux rochers d’Omoa. Aux falaises hurlantes. Le bateau s’éloigne, reprend un peu d’élan puis revient à la charge entre deux vagues. La vague, la nuit, la terre. La puissance. Le sel, le fer, l’huile noire du moteur.

Il est plus de trois heures du matin et il s’agit d’accoster, de bien sauter, de ne pas se fracasser. Les sacs sont jetés sur le quai. On se parle à voix basse, on s’embrasse. Quelques minutes pour rejoindre la demeure de sa cousine, Aline est revenue à Fatu-Hiva.

Le pain et les papayes étalent leurs bienfaisances sur la toile cirée, la cuisine est ici le centre de l’habitation. Une table, des chaises de jardin en plastique blanc, la télévision et des matelas au sol. C’est presque tout. On y entre en enlevant ses chaussures, le carrelage est propre, le carrelage est frais à cette heure. Ça sent bon, ça sent le café. Aline veut partir pour Hanavave dès l’aube, qu’importe la fatigue, elle est fermement décidée à effectuer ces trente-quatre kilomètres aller-retour dans la journée. Reprendre la route de son enfance, là où elle distinguait les deux volcans unis pour former l’île, les deux caldeiras s’ouvrant à l’ouest pour abriter les deux villages de Fatu-Hiva. Omoa et Hanavave. Là où précisément des teintes de rose vieilli, de mauve éthéré abondent. Le parfum des herbes sauvages.