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Ecriture

Grand Hôtel d’Europe, 1891 / I-Histoire rêveuse (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 17 Septembre 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Tu imagines que tu arrives au « Grand Hôtel d’Europe » un matin d’hiver – enfin de l’hiver pondichérien. Le ciel est bleu avec quelques nuages. Il fait vingt-cinq degrés. Un employé vêtu de blanc balaie la cour. Tu remarques sa peau soyeuse, sa démarche élégante. Tu lui souris. Il te sourit. Le propriétaire est descendu du perron et se dirige vers toi à pas lents. Vêtu de blanc lui aussi. Très élégant lui aussi. Il doit avoir au moins soixante-dix ans mais conserve une minceur étonnante. Il demande à l’employé, dans la langue locale, de prendre ta valise. La rue est tranquille devant la grille de l’hôtel où tu as noté le nom du fondateur – le père du propriétaire actuel. Parfois, une Ambassador, une moto, klaxonnent en approchant d’une intersection. Le propriétaire t’a précédé dans le hall un peu poussiéreux. Il examine ton passeport et écrit quelque chose sur un gros registre puis tend à l’employé (est-ce le seul ?) la clé de ta chambre.

(Quinze endroits en Inde où tu fus – plus modestement ou immensément – heureux : une boucle de la rivière Periyar après Aluva tandis que sous la pluie des branchages dérivent ; le ghât de Chet Singh à Bénarès dans le brouillard de janvier ; la somptuosité dentelée du mausolée d’Ibrahim Shah à Bijapur dans un crépuscule de mars – et tu avais face à toi le plus beau monument du monde).

Des animaux plein la tête, par Kátia Bandeira de Mello-Gerlach

, le Jeudi, 12 Septembre 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

traduit du portugais (Brésil) par Stéphane Chao

 

Dans une tour de la rue numéro cent, à un demi-métro de la place du Temps

Scène vue à travers une lunette bleue

 

Anuschka plante des graines en sachet dans un vase en argile rougeâtre et fragile ; les mains caressent la terre, accomplissant un rituel printanier en plein automne. Du balcon à la rue, il n’y a que quelques empans tortueux qu’on descend en cordée pouce après pouce. Les sourcils d’Anuschka se rapprochent lorsqu’elle produit un effort intellectuel pour imaginer les sensations que procurerait un saut vertical depuis le balcon. Les doigts d’Anuschka flagellent les racines avec des feuilles de persil et de chèvrefeuille ou tout autre produit de l’oxygène et de la photosynthèse. La naine ne démontre guère l’envie de sortir de l’appartement ou du périmètre des tours. Elle doit semer les graines et attendre la floraison.

Deux femmes à Dresde (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Jeudi, 04 Juillet 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

« On ne se console pas des chagrins, on s’en distrait » (Stendhal, Armance)

 

Elle était dans cette ville pour quelques jours. On lui avait dit « Change un peu d’horizon, cela te fera du bien, il faut oublier. Visite l’Italie ou l’Europe Centrale, tu y trouveras des trésors cachés ». Des proches lui avaient offert un coffret-voyage pour un week-end. Elle pouvait choisir parmi de nombreuses destinations. Et elle avait opté pour Dresde, une amie l’accompagnait. La destination n’est guère prisée des touristes, en tout cas des Français. Son amie et elle pourraient couper avec la routine dans cette cité pour ce court moment. Le temps du séjour, elles entendraient autour d’elles d’autres sonorités, du germanique, du tchèque, du russe. Ne serait-ce que par cette musique des mots, elles connaîtraient un vague dépaysement.

Les travaux et les jours (extraits 7) (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Mardi, 02 Juillet 2019. , dans Ecriture, La Une CED, Bonnes feuilles

 

Le jardin

Modeste carré entouré de haies de buis, il végétait tranquillement sous le règne de propriétaires insoucieux qui laissaient pousser l’herbe haute, quelques ronces, et ne haïssaient pas les orties. Le liseron s’entortillait dans le buis ; la menthe crépue, jamais coupée, méditait l’invasion du coin nord. À l’ouest, vaillamment, les hortensias résistaient à toutes les incuries.

Au sommet d’un vieux pin ombrageant les poubelles une corneille avait bâti un nid désordonné. Les fourmis s’affairaient dans les graviers de l’allée, les punaises s’accouplaient sous les feuilles d’une rhubarbe à l’abandon. Des gendarmes noirs et rouges et des coccinelles pâles formaient l’aristocratie d’une faune qui n’avait jamais vu de papillons.

Quelques abeilles rousses d’une ruche voisine dérangeaient tenacement les petits déjeuners d’été sur la table qui neuf mois sur douze rouillait là gentiment.

Lettre à Rachid, Histoire tunisoise (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Lundi, 01 Juillet 2019. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

1- Mon cher Ami P.,

J’espère que tu vas bien moi j’y vais bien ! Ici à Tunis-capitale il fait froid car c’est l’hiver. Je travaille beaucoup dans mon restaurant qui marche très bien. Je fais le serveur et je reçois beaucoup de bakchichs. Pas des Tunisiens qui sont trop radins mais des Français ou des Allemands qui m’aiment beaucoup. Je m’ennuie aussi beaucoup de toi toujours et je voudrais te revoir vite. Je t’aime beaucoup et je sais que toi aussi tu m’aimes beaucoup toujours. Alors tu vois. S’il te plaît, reviens vite en Tunisie. On ira à Metlaoui et à Tozeur voir Fawzi et Bilal et après on rentrera en France avec toi. Ici à Tunis-capitale j’ai pas trop d’amis. Comme tu le sais tous mes amis ils sont à Tozeur et à Metlaoui. La mentalité de Tunis-capitale est pas bonne pour moi. Ils courent toujours comme s’ils allaient jamais mourir. Moi je trouve ça con ! En plus on peut jamais savoir si, avec qui on parle, on va pas avoir des problèmes. A Tozeur et à Metlaoui, tous les flics je les connais et ils me connaissent moi, donc pas de problèmes. Ici déjà j’ai eu des problèmes. Alors tu vois. Tu me manques trop et depuis que tu es parti j’ai jamais fait l’amour avec.