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Ecriture

Nouvelles brésiliennes (II) - Hector Bisi Où dorment les trains ?

, le Vendredi, 30 Novembre 2018. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

 

Hector Bisi

Où dorment les trains ? (2)

 

À Julio Cortázar.

Le souterrain est la vie après la vie.

Un corps par terre, un corps par terre dans un wagon de métro, un corps par terre dans un wagon de métro et une femme qui le regarde, Are you OK ?, le corps par terre c’est moi et fais-moi le plaisir d’enlever de mon visage la lumière de ton téléphone portable putain, on ne peut plus se réveiller en paix après une bonne cuite, attends, excuse-moi, on se connaît, non ?, c’est pas possible, 1990 métro Green Park c’est ça ?, ça me revient, je t’ai vue sur le quai et je suis entré dans le wagon, je revenais du chantier de construction avec une chemise moitié blanche moitié bleu marine que mon ami d’enfance anglais m’avait prêtée, ingénieur tout juste diplômé qui travaillait comme manœuvre dans un chantier à London, family chocked haha, c’est toiiii putain t’as pas changé,

Nouvelles brésiliennes (I) - Rafael Mendes, Amnistie (traduction Stéphane Chao)

, le Vendredi, 23 Novembre 2018. , dans Ecriture, Nouvelles, La Une CED

Pleins d’appréhension, nous regardions le journal télévisé, un après-midi de septembre 1979. À côté de moi sur le canapé, Angela me tenait la main, en tremblant un peu. Le silence pesait dans la salle à manger, comme si ce silence devait précéder le cri que nous pousserions à l’unisson, un hurlement motivé par la bonne nouvelle qui viendrait de la télévision, croyions-nous.

À l’écran, le reporter désignait un avion posé sur la piste de l’aéroport Santos Dumont. Les passagers débarquaient, heureux d’être de retour au Brésil après des années d’exil. Artistes et politiciens, certains célèbres, d’autres non, mais tous avec la même pensée, la même cause à défendre. Nous fixions l’image déformée de l’appareil dans l’espoir de reconnaître, parmi la foule des passagers, le fils que nous n’avions pas vu depuis bien longtemps.

Lorsque le gouvernement avait décrété l’amnistie pour les prisonniers et les exilés politiques, Angela s’était déjà habituée à l’absence de Paulo. Elle ne s’asseyait plus sur son lit, elle n’embrassait plus son oreiller en pensant toute seule à quelque chose d’indicible, à quelque chose qu’elle ne révèlerait jamais. Elle ne s’irritait plus à tout propos, comme elle le faisait juste après ma dispute avec notre fils. Le jour où l’on a appris à la télé le retour des exilés, elle s’était accommodée de l’état de chose, mais ne l’avait jamais accepté, jamais compris.

Vestiges d’automne, par Alix Lerman Enriquez

Ecrit par Alix Lerman Enriquez , le Lundi, 19 Novembre 2018. , dans Ecriture, Création poétique, La Une CED

 

J’ai enfilé mon manteau rapiécé,

troué d’automne triste

et déjà trempé de pluie.

 

J’ai marché dans les flaques d’eau

avec mon ciré de fortune,

couleur jaune citron,

comme la teinte d’un soleil disparu

qui clignote dans mon souvenir perdu.

Le Garçon vaudois (Histoire insulaire), par Patrick Abraham

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 26 Octobre 2018. , dans Ecriture, La Une CED

 

1. Il s’appelait Martial. Cette saison-là, je passai deux mois dans une île italienne : la nommer n’intéresserait personne. N’y ayant aucun lien, j’augurais que je pourrais y terminer sans entrave le manuscrit qui à Paris me plombait l’existence et que mon éditeur attendait avec une impatience hargneuse. J’aimais à chaque coin de rue les petits sanctuaires devant lesquels les vieilles femmes se signaient sur le chemin de leurs courses, marmottant une prière ou une malédiction ; les églises du quinzième siècle avec leurs cimetières moussus où jouaient les enfants et les niches décolorées de leurs saints ; les appels des mères, au crépuscule, et leur dialecte résumant les invasions successives de l’île. Pour lui, Martial, j’ignore ce qui l’avait conduit ici. De l’italien, il ne mâchonnait que des bouts de phrases. Je tentai de le lui enseigner mais nos efforts n’aboutirent à rien d’utilisable. Il s’en moquait : les clients de l’hôtel où on l’employait au bar (moi, avec une régularité monacale, j’y entrais à cinq heures cinquante ; y buvais un carafon de rosé local en feuilletant les journaux et en grignotant des olives ; quittais les lieux vers sept heures pour retravailler un moment avant le dîner : ce fut d’ailleurs ce rituel qui fournit un prétexte à notre première conversation sérieuse) étaient originaires de toute l’Europe et des trois Amériques, et son culot, sa jolie frimousse, ses clins d’œil malins ou ses mines intelligemment effarouchées dès qu’on le dévisageait avec insistance accéléraient ou simplifiaient les choses – s’il était judicieux qu’elles s’accélérassent ou se simplifiassent.

« Comme une étendue de poésie mouvante », Alain Defossé en Inde (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 17 Octobre 2018. , dans Ecriture, La Une CED

 

« Où sont nos amis morts ? »

(Baudelaire, cité par Gustave Roud, Air de la solitude)

 

1.Il était assis sur le trottoir en face de son hôtel ; il fumait. La moto, avec difficulté, se gara un peu plus loin. Je le connaissais mal mais je l’avais lu. J’avais lu aussi plusieurs des livres qu’il avait traduits. Je le connaissais mal mais nous nous étions écrit. Enfin, il m’avait écrit. Peut-être avions-nous eu des amants communs. C’était la première fois qu’il venait en Inde. Je lui en avais sans doute suggéré l’idée par rhétorique de politesse. Cette proposition, qui n’en était pas une, dut faire son chemin en lui. Puis arriva le moment où ce voyage en Inde acquit pour lui la consistance du réel. Il me posait beaucoup de questions dans ses courriels ; j’y répondais de mon mieux. Quand son passeport fut renouvelé et son visa obtenu, je me rendis compte que ce n’était plus, de lui à moi, un jeu ou une rhétorique de politesse. Cela m’effraya. Je lui avais réservé un taxi et une chambre.