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Critiques

Le Démon de l’île solitaire, Edogawa Ranpo

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 09 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Japon, Wombat

Le Démon de l’île solitaire, mai 2015, trad. japonais par Miyako Slocombe, 320 pages, 23 € . Ecrivain(s): Edogawa Ranpo Edition: Wombat

 

Un vrai régal ce roman, vraiment surprenant, un polar frisson d’une grande classe, au style limpide et très agréable à lire, qui parut d’abord en feuilleton dans les années 1929-1930 et qui n’a pas pris une ride, grâce peut-être aussi à une excellente traduction. On se laisse en tout cas très facilement happé par un suspense en tension permanente, avec un plaisir d’enfant, chaque énigme résolue ouvrant la porte à de nouveaux mystères. Minoura, le narrateur, est entraîné malgré lui dans cette histoire rocambolesque qui fera de lui un détective autodidacte, en tombant follement amoureux de celle qui sera la première victime d’un tueur énigmatique et ceci dans une chambre close, rappelant Le mystère de la chambre jaune.

Enquête, aventure, chasse au trésor et épouvante, le démon de l’île solitaire est un subtil mélange d’ambiances noires et romantiques, qui rappellent effectivement tout à la fois Conan Doyle, l’île du Docteur Moreau et Edgard Poe, le tout à la sauce japonaise. C’est tout à fait volontaire de la part de l’auteur, de son vrai nom Tarô Hirai, dont le pseudonyme fait référence justement à Edgard Poe. L’auteur aborde ici des sujets sensibles centrés sur le corps, comme la monstruosité, l’handicap physique, le rejet et l’homosexualité.

Casanova l’aventure, Alain Jaubert

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 07 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Casanova l’aventure, septembre 2015, 304 pages, 20,50 € . Ecrivain(s): Alain Jaubert Edition: Gallimard

 

« Il écrit sa vie en la vivant. Son écriture, c’est sa parade quotidienne, l’entrecroisement de toutes les combinaisons, la musique des histoires. Un art de vivre polyphonique ».

« Ma vie est ma matière, ma matière est ma vie ».

Si l’histoire de Casanova est un roman, celle de ses Mémoires, baptisées l’Histoire de sa vie, le sont tout autant. Jusque dans les années soixante du siècle dernier, on ignorait que ce manuscrit en français n’attendait qu’à revivre. Histoire de ma vie se trouvait en la possession des descendants de Friedrich Arnold Brockhaus, un éditeur qui avait aussi en son temps publié Le Monde comme volonté et comme représentation d’Arthur Schopenhauer. Il a donc changé de main et de pays, et il est désormais l’heureuse propriété de la Bibliothèque Nationale de France. Des mécènes anonymes et visionnaires, comme ceux qui ont un jour aidé le vénitien, ont fait ce qu’il convient toujours de faire, pour que le manuscrit retrouve une place de choix en belle compagnie. Histoire de ma vie est désormais placé sous la protection de la BNF, où il retrouve Voltaire, et c’est heureux. Avant cette découverte exceptionnelle, les lecteurs français de l’aventurier philosophe devaient se contenter d’une douteuse traduction de l’édition allemande, d’une adaptation tout aussi trompeuse, mais désormais ce qui a été vécu, pensé et écrit par Giacomo peut être lu en français, sa langue d’adoption, la langue de l’aventure (1).

Le trompettiste tchèque, Desző Kosztolányi

Ecrit par Marc Ossorguine , le Samedi, 07 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays de l'Est, Nouvelles, Cambourakis

Le trompettiste tchèque, mai 2015, traduit du hongrois sous la direction d’András Kányádi, 128 pages, 10 € . Ecrivain(s): Desző Kosztolányi Edition: Cambourakis

 

Desző Kozstolányi (1885-1936) fait partie de ces écrivains trop rares qui réjouissent à chaque lecture ceux qui les connaissent et qu’ils préservent un peu comme un jardin secret. Régulièrement, un éditeur passionné publie quelques titres dont on parle peu, trop peu, puis que l’actualité oublie. Nous avons déjà dit dans nos pages le bonheur que pouvait procurer la lecture de Cinéma muet avec battements de cœur ou Kornél Esti. Les lecteurs attentifs à ce qui nous vient de Hongrie ont pu découvrir il y a quelques années Le traducteur Kleptomane et – s’ils ont été séduits – c’est avec un bonheur redoublé qu’ils devraient découvrir ce nouveau recueil de nouvelles. Car il s’agit en France d’une vraie nouveauté, aucune des nouvelles présentées ici n’avait encore fait l’objet d’une traduction française.

Les nouvelles présentées dans ce recueil sont majoritairement des écrits de jeunesse de l’auteur, antérieurs à la Grande Guerre (9 nouvelles réparties entre 1907 et 1913, et une 10e de 1929), mais l’auteur a réalisé pour ces « coups d’essai » de véritables « coups de maître ». Le lecteur y trouvera déjà ce mélange d’ironie et de gravité, de réalisme teinté d’absurde ou de fantastique poétique.

L’Homme-tigre, Eka Kurniawan

Ecrit par Theo Ananissoh , le Vendredi, 06 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Asie, Roman, Sabine Wespieser

L’Homme-tigre, septembre 2015, trad. de l’indonésien par Étienne Naveau, 246 pages, 21 € . Ecrivain(s): Eka Kurniawan Edition: Sabine Wespieser

 

Le lecteur, l’heureux lecteur (insistons !) de L’Homme-tigre apprend dès la toute première phrase du roman que Margio a assassiné Anwar Sadat. Il lira (une demi-douzaine de pages de description calme et méticuleuse) comment Margio a tué (est-ce le mot approprié ?) sa victime. A la fin de ce premier chapitre, Margio expliquera calmement aux policiers que ce n’est pas lui qui a commis cet acte mais un tigre qui est dans son corps. « Ce tigre était blanc comme un cygne, cruel comme un chien féroce ». Il faut reconnaître à Margio… comment dire ? la bonne foi d’avoir annoncé avant l’assassinat que le tigre en lui avait envie de commettre un meurtre. Ceux qui l’on entendu dire cela à plusieurs reprises, copains ou voisins, au pire ont pensé qu’il manifestait là une haine bien compréhensible contre son père, homme très violent dans son foyer. Mais ce père (Extraordinaire réussite d’un personnage ; sans doute le meilleur du roman de ce point de vue. Un concentré de souffrance et de cruauté. Une agonie humainement grandiose), ce père donc est mort récemment et enterré ; c’est d’ailleurs ce qui a fait réapparaître Margio qui avait disparu du village sans laisser d’adresse.

Les Clameurs de la Ronde, Arthur Yasmine (2ème critique)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 06 Novembre 2015. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Les Clameurs de la Ronde, Carnet d’Art Editions, mai 2015, 85 pages, 9 € . Ecrivain(s): Arthur Yasmine

 

« Pour quel éclair, hein ? On l’a jeté, le miroir… On l’a jeté… comme ça… au puits… au temps !… Un essaim de cendres que c’était ! Oh, toutes les brisures, tous les éclats qu’on a bouffés… Oh oui, le feu, on l’a payé ! Avec beaucoup de nuits même ! Bien pauvre ! Bien puant ! Tout seul qu’on était ! Tout seul à se ronger la peau pour des poèmes… Bien sûr qu’elles y étaient les plaies ! La poisse, le vertige, le sol, le ciel, on les a raclés sur la lyre… ».

Ces premières lignes fulgurantes de l’Avis au Lecteur servant de prologue à l’éclatant recueil d’Arthur Yasmine contiennent à la fois sa profession de foi personnelle, son manifeste poétique, une affirmation de la spécificité de son écriture, et une introspection douloureuse dans son âme de poète.

Car Arthur Yasmine est un poète – un vrai ! – qui, dans cet opuscule, hurle sa colère et son désespoir de voir que l’expression poétique est donnée pour moribonde, voire est déclarée morte par les éditeurs qui rechignent de plus en plus, pour des raisons trivialement commerciales, d’inscrire la poésie dans leur ligne éditoriale.