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Critiques

Le travail des images, Conversations avec Andrea Soto Calderón, Jacques Rancière (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Vendredi, 12 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Le travail des images, Conversations avec Andrea Soto Calderón, Les Presses du réel, coll. Perceptions, avril 2019, 87 pages, 10 € . Ecrivain(s): Jacques Rancière

 

Les entretiens ont ceci de précieux qu’ils ouvrent à des non spécialistes des cheminements intellectuels difficiles d’accès. Ce bref entretien avec Jacques Rancière permet ainsi de découvrir une pensée exigeante, qui, si elle prône l’égalité des intelligences, est assez ardue – l’introduction, plutôt abstraite, d’Andrea Soto Calderón peut d’ailleurs être passée dans un premier temps, pour y revenir après lecture de l’entretien, nourri d’exemples, et au style plus fluide.

L’idée d’émancipation, au cœur des travaux de Jacques Rancière, leur donne une actualité aiguë : le mouvement des gilets jaunes, dans sa perspective, n’apparaît pas de la sorte comme un agrégat sociologique aux revendications pragmatiques, aux visions politiques informes ou disparates, mais comme la création d’une scène proposant une réorganisation du visible, dans une mise en action de la démocratie.

Zabor, ou Les psaumes, Kamel Daoud (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Jeudi, 11 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Maghreb, Babel (Actes Sud)

Zabor, ou Les psaumes, 330 pages, 21 € . Ecrivain(s): Kamel Daoud Edition: Babel (Actes Sud)

 

« Le vieillard était devenu une poignée de chair dans la main froissée du drap »

Zabor ou Les psaumes est d’abord un splendide livre d’images écrit dans les parages de la mort. L’histoire de Zabor, pauvre de tout sauf de ses mots, est celle d’une défaite triomphalement équivoque. Même le nom du village où Zabor vit, Aboukir, est beau de l’éclat de ses trois syllabes en branches, soleil dessiné par l’enfance dans des odeurs et des bruissements dont l’angoisse et les rêves se nourrissent.

Mais l’histoire de Zabor est aussi celle de l’émancipation par une langue que l’on décide de faire sienne. Car « Tout baiser se fait dans le silence de la langue ».

 

« L’orgasme n’est pas un complot occidental »

L’Homme trans, Variations sur un préfixe, Bruno Chaouat (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 11 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Léo Scheer

L’Homme trans, Variations sur un préfixe, mars 2019, 152 pages, 16 € . Ecrivain(s): Bruno Chaouat Edition: Léo Scheer

 

La quatrième de couverture de L’Homme trans nous apprend que son auteur enseigne la littérature à l’université du Minnesota. Il est de prime abord surprenant qu’un professeur de littérature s’empare de questions comme celles dont traite ce volume (le transhumanisme, les concepts de transgenre et de transparence), toutes notions à cheval sur la science, la philosophie et la sociologie, mais dont peu d’écrivains se sont jamais saisi. Non que ces trois objets manquent d’intérêt, mais les problèmes variés qu’ils soulèvent sont récents (moins de quinze ans), alors que l’apparition et la reconnaissance des grands écrivains résultent d’une alchimie lente et mystérieuse. De surcroît, hors du domaine de la science-fiction, les romanciers répugnent souvent à s’emparer des questions scientifiques (« il n’est rien de plus négligé par les humanités que la technologie et les sciences du vivant », p.18), Siri Hustvedt et Michel Houellebecq formant des exceptions. Mais, compte tenu de la vocation totalisante de la littérature, de sa capacité à former « une mathesis, un ordre, un système, un champ structuré du savoir » (Roland Barthes par lui-même, 1975, pp.122-123), il est évident qu’elle peut être appelée à éclairer les transformations en cours.

Cette voix d’un ailleurs, Danusza Bytniewski (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Jeudi, 11 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Cette voix d’un ailleurs, éd. Samizdat, 2013, 96 pages . Ecrivain(s): Danusza Bytniewski

 

Comment appréhender cet autre soi-même, une sorte de double en un lieu autre ? : « La voix/goutte à goutte elle chemine en moi/Me lave de la poussière/ Tel un oiseau qui voudrait voler, cogne contre les bourreaux de mon impuissance ».

L’échappatoire mène à la conclusion de faire partie d’un tout « autre » : « Je suis plus loin que l’exil. Je n’ai pas quitté mon corps, c’est lui qui m’a quitté… Je suis… sans tout ce qui donne à vivre ».

Le mystère de la vie jaillit dans tout son éclat avec une sorte de touche incantatoire non dénuée d’absence : « Mon corps semble en repos éternel, car je suppose que j’ai un corps. Il est si loin de moi, dans une zone où je ne suis pas ».

Au désert mental se substitue le souvenir du paysage ressenti :

Annoncer la couleur, Ernest Pignon-Ernest, André Velter (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 10 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Actes Sud, Arts

Annoncer la couleur, mars 2019, 96 pages, 29 € . Ecrivain(s): André Velter et Ernest Pignon-Ernest Edition: Actes Sud

 

« Tenir Parole à bras le corps dans La Lumière et dans La Force ».

« Toujours & Toujours Attiser le Feu qui nous jette en Avant ».

« C’est le même Corps dans le Décor qui joue sa peau sans y penser ».

Ernest Pignon-Ernest et André Velter sont deux archers. Leurs flèches : pour l’un le fusain, la plume et le pinceau, pour l’autre la phrase et les mots acérés, ils se croisent, se lient et fécondent la poésie et le dessin. L’image chante dans son mouvement et la phrase l’illumine. C’est une main ouverte comme une offrande – on pense évidemment à celle du torero José Tomás (1) –, un pied ailé, un œil fermé de femme ombré de noir, un corps nu aux bras ouverts, comme une divine présence, un voilier dans le lointain, suspendu sur l’océan, comme les mouettes qui l’accompagnent : « Pour annoncer la couleur rien ne vaut le noir et blanc ».