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Critiques

Chants, Canti, Giacomo Leopardi (Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 19 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Italie

Chants, Canti, juin 2019, Garnier-Flammarion, édition bilingue, trad. italien Michel Orcel, 352 pages, 10 € . Ecrivain(s): Giacomo Leopardi

 

Les poètes ont-ils tous leur place sur le monument de Dante ? Giacomo Leopardi s’est octroyé la sienne. Jeune homme de santé fragile et d’un talent inouï, Leopardi a construit dans son Zibaldone et ses Canti un système philosophique et poétique qui a influencé toute la littérature et la pensée de son temps, notamment Schopenhauer et Nietzsche. Le second poème de ses Canti, sans doute l’un des plus réussis, intitulé Sur le monument de Dante, pourrait servir de manifeste à toute la poésie lyrique que Leopardi considère comme « la cime, le comble, le sommet de la poésie, qui est elle-même le sommet du discours humain » (Zibaldone).

On pourrait définir le poète comme un homme qui a trop lu Dante. Définition légère, bien peu académique, mais vérifiée dans la première partie des Canti. Les neuf premières canzones, plus ou moins régulières, sont encore classiques et d’inspiration dantesque. Seguitando il mio canto con el suono (Purgatoire, I, 10 : « Suivant mon chant avec cette musique ») : le chant léopardien a débuté comme ça, comme une variation de La Divine Comédie. On retrouve bel et bien, dans les Canti, la « selva oscura » (forêt obscure) du début de l’Enfer, le « veglio solo » (vieillard solitaire) à l’entrée du Purgatoire ainsi que des Béatrice, celle qui ouvre le Paradis (« quand je vis Béatrice, tournée / sur son flanc gauche, regarder le soleil »).

Freud et Moïse, Psychanalyse, Loi juive et pouvoir, Raphaël Draï (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 19 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Hermann

Freud et Moïse, Psychanalyse, Loi juive et pouvoir, 2018, 282 pages, 25 € . Ecrivain(s): Raphaël Draï Edition: Hermann

 

« En réimprimant un recueil d’articles, c’est assez l’usage d’indiquer au lecteur le lien qu’on croit apercevoir entre ces pages détachées. Les parents trouvent toujours à leurs enfants un air de famille, quelques traits communs ; le plus souvent, ils sont seuls à voir ainsi », écrivait l’auteur du Roman russe, Eugène-Melchior de Vogüé (Souvenirs et visions, Plon, 1887). Tout volume recueillant et donnant à relire des articles antérieurement parus court le risque de paraître une « marqueterie mal jointe ». Le livre de Raphaël Draï (1942-2015) n’échappe pas a priori à ce reproche, s’il s’agit d’un reproche, mais la cohérence de la pensée se révèle plus forte que les tendances centrifuges des différents chapitres.

Il est singulier de rapprocher deux personnages aussi dissemblables que Freud et Moïse, l’explorateur de l’inconscient et le grand législateur de tout un peuple. Le sous-titre du volume évoque les similitudes, qu’elles soient fondées, humoristiques ou douteuses, relevées de longue date, entre le judaïsme et la psychanalyse. Ces points de contact, qui eussent peut-être horrifié les anciens rabbis, étaient apparus à Freud lui-même, comme le montre une de ses lettres :

La Sorcière, Camilla Läckberg (par Jean-Jacques Bretou)

Ecrit par Jean-Jacques Bretou , le Lundi, 19 Août 2019. , dans Critiques, Les Livres, Polars, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Actes Noirs (Actes Sud)

La Sorcière, mai 2019, trad. suédois Rémi Cassaigne, 783 pages, 10 € Edition: Actes Noirs (Actes Sud)

 

Une petite fille de quatre ans, Nea, a disparu dans la région de Fjällbacka. Le commissariat de Tanumshede dans son intégralité est sur le pied de guerre. Par un mystérieux hasard, on retrouve l’enfant, assassinée exactement là, sous le même arbre, où gisait trente ans plus tôt, en 1985, le corps sans vie de Stella, une autre fillette qui habitait la même ferme. À l’époque, deux adolescentes, Marie et Helen, avaient avoué avoir commis le crime. Aujourd’hui, Helen habite toujours Fjällbacka, elle est mariée à un militaire au caractère peu amène et collectionneur d’armes. Quant à Marie, mère d’un enfant, elle est devenue vedette de cinéma et se trouve, pure coïncidence, dans la région pour tourner un film sur Ingrid Bergman qui, soit dit en passant, venait souvent se reposer à Fjällbacka. Pour continuer à planter le décor, il faut ajouter un camp de réfugiés syriens qui tente de s’intégrer à la population locale et ne recule devant aucun effort pour cela, jusqu’à s’entraîner à tirer des bouts pour pouvoir participer à une petite régate locale.

L’Algérois, Éliane Serdan (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Vendredi, 12 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Serge Safran éditeur

L’Algérois, mai 2019, 148 pages, 15,90 € . Ecrivain(s): Eliane Serdan Edition: Serge Safran éditeur

Il y a quelque chose de proustien dans la tonalité de ce roman : même si la phrase est courte, elle reste à fleur de peau.

Quelque chose aussi de Giono par le cadre : celui d’une Provence, aride et mythique.

Mais, bizarrement, c’est au prologue de l’Antigone d’Anouilh que j’ai très vite pensé, tant la logique de ce livre est celle d’une tragédie antique :

Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire de l’Algérois.

Marie Guérin, c’est la petite maigre, « les yeux tournés vers cet ailleurs de la mémoire » qui ressurgit bien malgré nous. Elle pense qu’elle va mourir : « mes jours sont comptés ». Elle sait que « pour aimer, il faut être vivant ». Or « les fantômes ont pris la place des vivants ». Elle se dit que sa vie est sortie de son lit et coule à côté vers le « pays des morts ». Elle tient, dans sa main, une lettre qu’elle vient de trouver dans sa boîte et qu’elle hésite encore à décacheter ; elle attend la nuit pour s’y résoudre, « ouvrir une brèche » et plonger en arrière – le jour de ses dix-sept ans, en 1962.

Le travail des images, Conversations avec Andrea Soto Calderón, Jacques Rancière (par Ivanne Rialland)

Ecrit par Ivanne Rialland , le Vendredi, 12 Juillet 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Le travail des images, Conversations avec Andrea Soto Calderón, Les Presses du réel, coll. Perceptions, avril 2019, 87 pages, 10 € . Ecrivain(s): Jacques Rancière

 

Les entretiens ont ceci de précieux qu’ils ouvrent à des non spécialistes des cheminements intellectuels difficiles d’accès. Ce bref entretien avec Jacques Rancière permet ainsi de découvrir une pensée exigeante, qui, si elle prône l’égalité des intelligences, est assez ardue – l’introduction, plutôt abstraite, d’Andrea Soto Calderón peut d’ailleurs être passée dans un premier temps, pour y revenir après lecture de l’entretien, nourri d’exemples, et au style plus fluide.

L’idée d’émancipation, au cœur des travaux de Jacques Rancière, leur donne une actualité aiguë : le mouvement des gilets jaunes, dans sa perspective, n’apparaît pas de la sorte comme un agrégat sociologique aux revendications pragmatiques, aux visions politiques informes ou disparates, mais comme la création d’une scène proposant une réorganisation du visible, dans une mise en action de la démocratie.