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Critiques

Bach ou le meilleur des mondes, André Tubeuf (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Le Passeur

Bach ou le meilleur des mondes, André Tubeuf, 288 pages, 19,50 € Edition: Le Passeur

 

Si Dieu, « ôtant toute chose », avait donné à Bach la totalité du temps et l’orgue, Bach eût recréé le monde : tel est le pari musical de Tubeuf. Son essai repose sur la phrase de Leibniz, tirée de La Monadologie : « Dum Deus calculat, fit mundus » (tandis que Dieu calcule, le monde se fait). Selon Tubeuf, si le Leibniz mathématicien de génie avait composé de la musique, sans doute aurait-ce ressemblé à L’Art de la fugue. Mais celui de l’optimisme et de la Théodicée aurait plutôt composé la Messe en si. Bach est le plus mathématicien des musiciens et le plus musicien des mathématiciens.

Les analogies sont nombreuses entre la science de Bach et la pensée de Leibniz. Les thèmes des fugues, comme les actes par lesquels Dieu crée les monades, sont des « fulgurations continuelles de la Divinité ». Tous les mondes musicaux existent déjà dans l’entendement infini du compositeur. Par une nécessité morale et non métaphysique, il les génère ; par leur formule propre, ils coexistent selon le principe d’harmonie préétablie. De même, la musique de Bach agit de manière parfaitement autonome et l’art du contrepoint est bien celui de l’harmonie entre toutes les parties.

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, Georges Didi-Huberman (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Les éditions de Minuit, Histoire

Eparses, Voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie, février 2020, 176 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Georges Didi-Huberman Edition: Les éditions de Minuit

L’image et la « pansée »

Afin de se soustraire à l’ambiguïté qui régit tout protocole de représentation qu’il soit iconique ou linguistique, Didi-Huberman, après avoir travaillé sur les seules photos existantes et les documents sur les fours crématoires (et la polémique que son livre suscita), trouve ici une autre tentative pour parvenir à dire, toucher et atteindre le cœur et la raison – l’inconscient aussi – par le « témoignage » des documents qu’il présente ici.

Didi-Huberman propose le « simple récit-photo » d’un voyage dans les papiers du ghetto de Varsovie. Il apporte sur le corpus d’images inédites, réunies clandestinement par Emanuel Ringelblum et ses camarades du groupe Oyneg Shabes entre 1939 et 1943, un premier regard et une première analyse.

L’auteur revient sur un point majeur et qu’il a déjà soulevé : « une simple image n’est jamais simple ». D’autant que celles-ci restent inséparables d’une archive de trente-cinq mille pages de récits, de statistiques, de témoignages, de poèmes, de chansons populaires, de devoirs d’enfants dans les écoles clandestines, de lettres jetées depuis les wagons à bestiaux en route vers les camps.

Reflets des jours mauves, Gérald Tenenbaum (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 31 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Héloïse D'Ormesson

Reflets des jours mauves, Gérald Tenenbaum, octobre 2019, 200 pages, 17 € Edition: Héloïse D'Ormesson

Existe-t-il des affinités aussi mystérieuses que subtiles entre la musique et le code génétique qui, à partir de quarante-six chromosomes, fait qu’aucun être humain ne ressemble exactement à un autre ? Ce même code génétique forme-t-il la figure moderne (mais en réalité éternelle) du destin, du fatum antique ? Se contente-t-il – ce serait déjà beaucoup – de déterminer la couleur de nos yeux, de nos cheveux, la forme de notre nez, ou régit-il également nos goûts, nos actions ? Existe-t-il des affinités plus mystérieuses et plus subtiles encore entre le code génétique et la Kabbale, ce très ancien courant du judaïsme, qui scrute non seulement les mots du texte sacré, mais encore les lettres de chaque mot à la recherche d’un sens caché ? Dieu a créé le monde par un acte de langage.

On le sait, les « littéraires » s’intéressent peu aux avancées scientifiques. George Steiner a écrit à ce sujet une page amère. Au rebours, non seulement les scientifiques cultivent souvent les arts en amateurs éclairés, mais ils nous donnent parfois des œuvres à part entière, comme ces Reflets des jours mauves, dont l’auteur enseigne les mathématiques à l’université de Nancy (on lui doit des ouvrages sur les fascinants nombres premiers, ainsi qu’une Introduction à la théorie analytique et probabiliste des nombres).

L’inconsolable, Et autres impromptus, André Comte-Sponville (par Ana Isabel Ordoñez)

Ecrit par Ana Isabel Ordonez , le Mardi, 31 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, PUF

L’inconsolable, Et autres impromptus, 304 pages, 19 € . Ecrivain(s): André Comte-Sponville Edition: PUF


Inconsolable devant la perte de son enfant, le philosophe André Comte-Sponville a repris le format des Impromptus, c’est à dire des textes brefs, écrits entre philosophie et littérature. L’ouvrage s’intitule L’inconsolable et autres impromptus, publié chez Puf en février 2018.

Les premiers Impromptus publiés chez Puf en 1996 ont laissé des traces indélébiles et voilà qu’on se retrouve avec L’inconsolable et autres impromptus, qui d’une certaine façon nous fait changer de pensées, cette fois-ci sur le deuil et la vie même. Dans le sens où la perte d’un être cher altère le temps, on perçoit chez Comte-Sponville comme un geste transcendant et vertueux exprimant l’amour pour ce fils perdu.

Pastorale, Aki Ollikainen (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Lundi, 30 Mars 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Héloïse D'Ormesson

Pastorale, Aki Ollikainen, janvier 2020, trad. finnois, Claire Saint-Germain, 144 pages, 16 € Edition: Héloïse D'Ormesson

 

Pastorale : « œuvre littéraire (poésie, roman, drame) qui relate la vie, les amours des bergers et des bergères dans le cadre conventionnel de la douceur champêtre » (Trésor de la langue française).

Il s’agit bien d’une œuvre littéraire. Il y est question, entre autres, d’un berger, qui partage peut-être avec ceux de la tradition une certaine candeur, de sa vie et de ses amours. Le cadre pourrait, si l’on évacue les connotations du terme et que l’on s’en tient à sa dénotation première, être qualifié de champêtre. Pour le reste, Pastorale n’en est pas une, comme on peut s’en douter : Aki Ollikainen subvertit les codes d’un genre qu’il serait bien malaisé, autrement, de remettre au goût du jour – sauf peut-être dans une certaine veine écolo-post-apocalyptico-décroissanto-minimaliste… qui nous semble suspecte.