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Critiques

Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers, Frédéric Vitoux (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 03 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Biographie, Récits, Grasset

Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers, Frédéric Vitoux, janvier 2020, 368 p., 22 euros Edition: Grasset

 

Le titre quelque peu intrigant est issu d’une phrase prononcée, à Central Park et à un inconnu riche et malheureux en ménage, par Ginger Rogers dans le film La Fille de la 5e Avenue (1939), où l’actrice interprète une employée de bureau réduite au chômage : « Peut-être que les gens riches sont juste des gens pauvres avec de l’argent ». Au cours des dix-sept chapitres de son « autobiographie parcellaire », l’académicien Frédéric Vitoux revient sur ses années de jeunesse, au bonheur des étés passés à la villa La Girelle, dans le domaine de La Nartelle, proche de Sainte-Maxime, à son père emprisonné après la guerre à la prison de Clairvaux, pour collaboration avec les forces allemandes, alors qu’il travaillait comme journaliste au Petit Parisien. Un livre écrit en 2000 par Vitoux, L’Ami de mon père, crève l’abcès et a valu à l’auteur nombre d’inimitiés et de sarcasmes.

Journaux, Kafka (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 02 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Biographie

Journaux, Kafka, Editions Nous, janvier 2020, première traduction intégrale par Robert Kahn, 840 pages, 35 € . Ecrivain(s): Franz Kafka

 

« Ma consolation est – et je vais me coucher avec elle – que je n’ai pas écrit depuis si longtemps, que donc ce fait de l’écriture ne peut pas entrer en compte pour évaluer ma situation actuelle, mais que cela devrait quand même, avec un peu de force virile, pouvoir s’arranger au moins provisoirement » (2 octobre 1911, Premier cahier).

Pour la première fois un éditeur audacieux propose la traduction intégrale des 12 cahiers qui constituent ces Journaux, écrits par Franz Kafka de 1910 à 1922. Un gros livre de plus de 800 pages, achevé d’imprimer le 17 décembre 2019, jour de la mort de Günther Anders (le 17 décembre 1992 à Vienne, auteur notamment de Kafka pour et contre, Circé, 1990), sur les presses de l’imprimerie Smilkov en Bulgarie. L’écrivain tient un journal, pour lui-même (comme pour ses autres écrits, il avait demandé à Max Brod de les détruire), journal de ce qu’il vit, ressent, rêve, voit – « Forte ondée. Mets-toi en face de la pluie, laisse les rayons d’acier te pénétrer, glisse-toi dans l’eau qui veut t’emporter, mais reste quand même, attends ainsi debout le soleil qui surgit soudainement et sans fin » –, de ce qu’il imagine.

Sara ou l’émancipation, Carl Jonas Love Almqvist (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 02 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Cambourakis

Sara ou l’émancipation, Carl Jonas Love Almqvist, février 2020, trad. (collective) suédois, Elena Balzamo, 127 pages, 16 € Edition: Cambourakis

Savoir qu’ils n’auront jamais lu tous les livres, même quand la chair sera devenue triste, chagrine incessamment celles et ceux que possède la passion de la lecture. Ce qui adoucit l’amertume de cette angoisse permanente est la découverte aléatoire de merveilles littéraires et la certitude de tomber ici et là, au hasard des promenades solitaires dans la jungle des textes parus et à paraître, sur un trésor dont ils ignoraient l’existence.

Je n’avais, je l’avoue sans honte, jamais entendu parler de Carl Jonas Love Almqvist… C’est donc sans a priori, bien qu’ayant été séduit par la beauté de la jeune femme dont le portrait figure en couverture, que j’ai entrepris la lecture de Sara ou l’émancipation.

Albert, sergent suédois, dès le départ du bateau sur lequel il a embarqué au départ de Stockholm, est attiré par le comportement singulier d’une jeune femme dont il apprendra rapidement qu’elle se nomme Sara Videbeck et qu’elle voyage seule, installée sur le pont avant avec ses bagages, ce qui, au début du XIXe siècle dans le pays au protestantisme puritain qu’est alors la Suède, est inhabituel et peu conforme à la norme sociétale.

2 livres poétiques (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 02 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

 

Vers cela qui n’est pas, Michel Bourçon, éditions La Crypte, 2019, 60 pages, 12 €

 

Ce trente-neuvième livre de poésie de l’auteur creuse encore un peu plus les marques d’un domaine que sa pensée et son écriture circonscrivent ; ce territoire de la marche, du pas intérieur, des éclaircissements sur lui-même.

Pourquoi, au fond, marcher dans ses pas, retendre, au fil des mots, les plis et replis du terrain ?

Bourçon, en de brefs poèmes, dont parfois les parties s’aèrent sur la page, poursuit sa voie : dire le peu avec le peu, l’« imprononçable » que la quête attise ou vise.

« en marge de soi » (p.28) pourrait ordonner l’ensemble des fragments qui situent cette errance porteuse de sens.

La toile d’araignée, Joseph Roth (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 01 Avril 2020. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Gallimard

Edition: Gallimard

Point trace de nostalgie chez Joseph Roth. Son œuvre romanesque, essentiellement nourrie de la fin programmée de l’Autriche et de la Mitteleuropa, est plus souvent un constat accablant de la chute de ce qui avait fait de son pays le centre de l’intelligence et de la créativité européenne. On est loin de la nostalgie naïve de Stefan Zweig. Roth écrit au scalpel.

Dans le Berlin grondant du début de la montée du nazisme – on est en 1922 – un Berlin dévoré par les démons qui vont bientôt l’emporter vers le cataclysme universel, Joseph Roth situe un roman aux accents du désespoir qui s’apprêtait à saisir l’Europe.

Le héros – jamais terme ne colla plus mal à un personnage – Theodor Lohse, est un profond minable animé d’une ambition démesurée. Ancien petit officier de l’armée, il s’introduit pas à pas, à la suite de rencontres flatteuses, dans les réseaux glauques d’une ville gangrénée par les cercles, les sectes, les groupuscules de toutes obédiences, plus douteuses les unes que les autres. Il faudrait imaginer un Julien Sorel pataugeant dans les cloaques idéologiques et moraux de l’Allemagne en nazification. L’abandon de toute morale, de toute référence à des valeurs, au bien et au mal, est condensé dans ce personnage capable de tout, trahir, changer d’avis, n’adhérer à aucun code, assassiner ceux qu’il considère à un moment comme gênants pour sa carrière, sa soif de gloire.