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Cette semaine

Une brûlante usure, Journal 2016-2017, Gérard Bocholier (par Luc-André Sagne)

Ecrit par André Sagne , le Lundi, 06 Mars 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie

Une brûlante usure, Journal 2016-2017, Gérard Bocholier, éditions Le Silence qui roule, Coll. Les Cahiers du Silence, 2020, 152 pages, 15 € . Ecrivain(s): Gérard Bocholier

 

Auteur d’une œuvre conséquente, commencée au mitan des années 1970 et marquée de plusieurs prix et distinctions, Gérard Bocholier nous ouvre les portes de son atelier de création, là où il puise son inspiration et forge son écriture, au travers de deux années de son journal qu’il publie en 2020. Une occasion rare de pénétrer dans l’intimité du poète.

Tenir un journal pour lui, c’est d’abord, à la suite d’Antoine Emaz, écrire « un récit minimal, une autobiographie par défaut » mais c’est aussi « une autre forme de portrait ». Affaire de toute une vie (il n’a que 19 ans à peine quand il débute son premier journal), ce travail de diariste, par la force des choses, est un révélateur de soi pour les autres mais aussi pour soi-même. Ainsi, à un ami qui trouve ces pages tristes, Gérard Bocholier reconnaît « ce fonds très lourd et très opaque qui est le fondement de tout : une tristesse qui remonte à l’enfance, que rien n’a jamais pu chasser ».

Adrienne Mesurat, Julien Green (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Février 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Le Livre de Poche, En Vitrine

Adrienne Mesurat, Julien Green, 377 pages, 7,90 € Edition: Le Livre de Poche

 

Adrienne Mesurat, assurément, a sa place dans les grandes figures de la littérature française. Julien Green, à travers cette femme recluse dans sa vie autant que dans ses rêves, comme dans une âme hermétiquement close, nous offre un portrait unique d’obsessionnelle, vivant dans une famille d’obsessionnels. Dans sa préface, Julien Green souligne que son roman a été souvent accueilli, à son grand dam, par le signalement de son caractère freudien. Étonnamment, c’est plus encore son caractère anachroniquement « lacanien » qui va nous intéresser ici.

Adrienne Mesurat est un roman borroméen. Partant d’un trio de personnages liés étroitement les uns aux autres, Green va défaire le nœud qui les tient à la manière d’un nœud borroméen* – passion de Jacques Lacan – c’est-à-dire en défaisant un anneau du nœud qui libère du coup les deux autres. La métaphore du nœud borroméen est encore plus frappante quand on sait que, pour Lacan, les trois anneaux (ou maillons) du nœud symbolisent le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. Or il est entendu en psychanalyse que la folie tient à la confusion de ces trois ordres. Adrienne Mesurat, au long de ce roman, va peu à peu fusionner (« confusionner ») les trois, s’écartant tragiquement de leurs dimensions propres.

Le Secret de René Dorlinde, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 13 Février 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Le Secret de René Dorlinde, Pierre Boutang, Les Provinciales, mars 2022, 190 pages, 18 €

 

Ceux qui ne gardent de Pierre Boutang que l’image d’un camelot du roi faisant le coup de poing contre « une meute de gauche » (l’expression est de George Steiner), ceux qui ne connaissent de lui que le polémiste éruptif révélé au grand public en 1987 par les deux émissions d’Océaniques, seront surpris à la lecture du Secret de René Dorlinde. Ce bref roman fut publié en 1947, tandis que George Orwell, sur son île de Jura, travaillait à son chef-d’œuvre et la comparaison n’est pas gratuite. Comme 1984, Le Secret de René Dorlinde est une dystopie politique, mais une dystopie douce, presque proustienne. Même si on devine bien qu’elle existe (parce qu’une dictature ne s’impose et ne se maintient pas autrement), la violence inhérente aux utopies et aux dystopies n’est pas montrée. Il n’y a dans ce roman rien qui évoquerait la salle 101 d’Orwell. En plus de la violence (et ceci en constitue une autre forme), les dictatures et les dystopies se caractérisent par leur rapport au temps : l’idée d’un « sens de l’Histoire », l’avenir qu’elles entendent contrôler en se prétendant immortelles (les hiérarques staliniens, chinois et nord-coréens ont tiré les leçons du tausendjährige Reich qui s’effondra en douze ans) et en imposant leur sceau sur chaque aspect de l’éducation depuis la naissance ; mais également le passé, qu’elles cherchent inlassablement à modifier.

A Rebours, Joris-Karl Huysmans (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Février 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

A Rebours, Joris-Karl Huysmans, Folio, août 2022 (édition : Pierre Jourde ; gravures : Auguste Lepère), 592 pages, 8,90 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Flaubert avait pour ambition d’écrire un roman sur rien, ou presque ; ce sera Bouvard et Pécuchet, inachevé. Huysmans, quatre ans après la disparition du maître, publiera un roman où effectivement rien ne se passe, où les seuls événements sont avortés : À Rebours. Dix ans après un premier recueil de poèmes d’inspiration romantique, dix années où Huysmans s’inscrit dans la veine naturaliste (il participe aux soirées de Médan, organisées par et autour de Zola), le temps de trois romans et une longue nouvelle, il pousse jusque dans ses derniers retranchements le naturalisme et invente quasi le symbolisme en narrant la vie recluse d’un esthète maladif, tant de corps que d’esprit, Des Esseintes.

Comme à l’habitude lorsqu’il est question d’un classique lu ou relu des décennies ou des siècles après sa première publication, l’on est en droit de s’interroger : quel intérêt à l’ouvrir, à s’y plonger quelques heures, alors que foisonne une actualité éditoriale plus en phase avec le monde contemporain ?

Le Gardien du verger, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 07 Février 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Points, En Vitrine

Le Gardien du verger (The Orchard Keeper, 1965), Cormac McCarthy, éditions Points, 1999, trad. américain, François Hirsch, Patricia Schaeffer, 284 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Cormac McCarthy Edition: Points

Si d’aucuns pensent, et disent, et écrivent, que ce roman, le premier du grand Cormac McCarthy, est une sorte de « hors-d’œuvre » (au sens exact du terme), nous n’avons pas lu le même livre. Tout McCarthy est déjà dans ce roman de l’aube du plus grand écrivain américain vivant. S’il faut pointer un décalage dans l’œuvre, ce serait que ce roman, avec l’immense Suttree, est l’un des rares où le déroulement n’est pas un déplacement géographique, un voyage, le « jardin » jouant pleinement son rôle de petit morceau de territoire, et le vieil homme un manant (du latin Maneo.ere : rester immobile). En plantant son décor dans le Tennessee, près de Knoxville sa ville natale, McCarthy annonce que son roman est une ode au terroir, aux racines, à l’osmose entre l’homme et la terre.

Autour du jardin errent des ombres, des hommes perdus, violents, hantés par la mort. Ils n’ont pas de but, pas d’espoir ; ils semblent attendre mais quoi ? Peu à peu, McCarthy nous convainc qu’ils n’attendent rien d’autre que la fin. D’eux-mêmes. De tout. Enfermés dans des paysages irréels de solitude et de silence, les trois principaux personnages sont écrasés par la puissance symbolique et sacrée de la nature qui les enserre. On pense irrésistiblement aux correspondances de Baudelaire et sa première strophe magique.