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Cette semaine

Construire un feu (To Build a Fire, 1902), Jack London (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 17 Octobre 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, En Vitrine, Libretto

Construire un feu (To Build a Fire, 1902), Jack London, éditions Libretto, trad. américain, Paul Gruyer, 176 pages . Ecrivain(s): Jack London Edition: Libretto

 

Le cadre de l’histoire, dans le froid extrême d’un Yukon en grande partie inhabité, établit d’entrée le rôle principal de la nouvelle : la Nature. On est loin de celle des romantiques qui communique avec l’âme des hommes. La Nature de ce récit est impassible, d’une cruauté tranquille dans son indifférence. A sa manière, Jack London rejoint dans ce texte sublime, le chant des grands panthéistes que furent avant lui Spinoza et Thoreau. Mais en déifiant le monde naturel, London en fait un Dieu terrible, dénué de tout affect, de toute attention, à mille lieues du Dieu bienveillant des Chrétiens. Le Dieu de Spinoza est plus proche, il est la Nature et ne connaît donc ni compassion, ni amour, ni cruauté, il est, simplement, englobant le Grand Tout.

Le ciel est vide, blanc comme un linceul, immense comme l’éternité. La terre est à l’unisson, infinie, immaculée, déserte. L’homme de cette nouvelle est seul au monde et n’a d’autre compagnon que son chien dans ce paysage spectral.

Les Naufragés du Wager, David Grann (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Août 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, La rentrée littéraire, En Vitrine, Editions du Sous-Sol

Les Naufragés du Wager, David Grann, éditions Du Sous-Sol, août 2023, trad. anglais (USA), Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages, 23,50 € . Ecrivain(s): David Grann Edition: Editions du Sous-Sol

 

David Grann puise, ouvrage après ouvrage, la matière de son travail dans la réalité. Il met les mains jusqu’aux coudes dans la pâte du réel et en fait des fictions plus fictionnelles que les fictions. L’incroyable matériau qu’il réunit avant d’écrire dépasse toute entreprise d’investigation : plus de 150 ouvrages, textes d’époque, journaux de bord, journaux intimes, rapports maritimes ont été ici utilisés pour construire, mieux pour re-construire, cette folle équipée du Wager et de son escadre de voiliers, cette terrifiante histoire qui rejoint les plus inoubliables récits de marins. Les éléments qui élaborent cette narration sont en effet essentiellement des récits de marins, des témoignages écrits par les acteurs du drame avec une précision, une rigueur en lesquelles Grann fait parfaite confiance car « ces hommes croyaient que leurs vies mêmes dépendaient de ces récits. S’ils échouaient à proposer une version convaincante des faits, ils risquaient de finir pendus ou ligotés à la vergue d’un navire ».

Chroniques Martiennes, Ray Bradbury (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 22 Août 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, Science-fiction, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

Chroniques Martiennes, Ray Bradbury (1946), Folio-SF, trad. américain, Jacques Chambon, Henri Robillot, 318 pages . Ecrivain(s): Ray Bradbury Edition: Folio (Gallimard)

Commençons par un truisme : Les Chroniques Martiennes sont des chroniques au sens strict du terme. Des histoires scandées par le temps calendaire sur une longue période, celle de la colonisation de Mars par les Terriens. Ce n’est pas un roman, ce ne sont pas des nouvelles, mais un tissu de narrations que Bradbury, avec un sens époustouflant de l’épopée, a tramées en un grand récit, donnant à ces moments épars la cohérence d’un roman. Chaque chapitre comporte un titre, référence probable aux chroniqueurs médiévaux de France – Ray Bradbury était un homme d’immense culture, en particulier européenne.

Roman-culte de la Science-Fiction, cet ouvrage pourtant ne ressemble guère à la SF traditionnelle. Les moyens de la conquête de Mars, les technologies mises en œuvre, espaces et machines n’intéressent que peu Bradbury. Ce n’est pas l’épopée d’une conquête planétaire mais l’épopée d’hommes lancés dans des situations nouvelles qui servent de révélateurs de la nature humaine. Le courage moral et physique, la générosité, le sens du sacrifice de l’individu pour le groupe, sont parmi les qualités lumineuses que l’aventure martienne révèle et accentue. Le racisme, la haine, la jalousie en sont le pendant sombre.

Manhattan Transfer, John Dos Passos (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 19 Juin 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

Manhattan Transfer, John Dos Passos, Folio, février 2023, trad. anglais (USA) Philippe Jaworski, 544 pages, 9,70 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Grâces soient rendues à Philippe Jaworski, dont on peut de bon droit estimer qu’il a souffert, enfant, adolescent et adulte, de traductions pénibles d’ouvrages anglo-saxons, puisqu’il soigne depuis des années cette souffrance en rendant justice à ces ouvrages ! Et pour le coup, on soupire d’aise : il était grand temps que Manhattan Transfer, le cinquième roman de John Dos Passos et, au passage, l’un des plus importants romans de la modernité soit proposé en français autrement que dans la langue guindée et purificatrice de Maurice-Edgar Coindreau. Certes, ce dernier a œuvré pour la reconnaissance de la littérature anglo-saxonne en France, d’Ernest Hemingway à William Faulkner ou de John Steinbeck à Erskine Caldwell, mais qu’est-ce qu’il pouvait élaguer ! On rêve ainsi à lire Le Petit arpent du bon Dieu en français dans toute sa virulence…

Pour Manhattan Transfer (1925), c’est donc désormais chose faite, que ce passage de l’anglais d’un New York populaire à un français assoupli de ses convenances, et on peut pleinement goûter le propos de John Dos Passos. Jugeons sur pièce avec un paragraphe saisissant, celui de l’accident du livreur de lait Gus, conclusion du second chapitre :

La Mort à Venise (Der Tod in Venedig, 1912), Thomas Mann (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 07 Juin 2023. , dans Cette semaine, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Roman, Le Livre de Poche, En Vitrine

La Mort à Venise (Der Tod in Venedig, 1912), Thomas Mann, Le Livre de Poche, trad. allemand, Félix Bertaux, Charles Sigwalt, Axel Nesme, 138 pages . Ecrivain(s): Thomas Mann Edition: Le Livre de Poche

 

Roman d’un déclin inéluctable inscrit dans une Venise glauque, écrasée de soleil et de puanteurs, assaillie par une épidémie de choléra, La Mort à Venise est un thrène dédié à la vieillesse et à la déchéance d’un homme. Loin, très loin des clichés de la Venise des fêtes et des touristes de la Place Saint-Marc, cette novella nous invite à entendre les derniers élans, la dernière passion, les derniers doutes, le dernier désespoir, le dernier souffle de Gustav Aschenbach, un écrivain quinquagénaire, venu à Venise pour nourrir son amour des arts et échapper un temps à sa ville d’origine, Munich, qui le déprime.

C’est un Ange qui va l’accompagner dans ce dernier chemin. Un Ange droit sorti d’un tableau de Léonard, aux traits fins, presque féminins, aux cheveux longs et ondulés. Tadzio. Dans les lignes qui suivent, surgit le Saint Jean-Baptiste de maître Leonardo, et Mann place l’image réelle au-dessus de celle de l’artiste.