Identification

Articles taggés avec: Saha Mustapha

La prosodie rhizomique de Fatima Chbibane (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 09 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

Fatima Chbibane Bennaçar : La Partition de ta vie, éditions Alfabarre, 2019

Le recueil de Fatima Chbibane, La Partition de ta vie, s’ouvre sur l’Afrique, le continent des origines, le continent des longs sommeils et des rêves vermeils, le continent des mille soleils et des merveilleux réveils. La terre-mère de l’humanité s’interpelle pour qu’elle reprenne dans ses bras ses enfants égarés, dispersés aux quatre coins de la planète, soumis aux servitudes volontaires et involontaires, promis, par leur funeste déracinement, aux fosses communes. « Où es-tu mon ange ? / Moi qui te rêvais colombe blanche / Je ne vois que des tombes étranges » (Fatima Chbibane).

Se profile le port de Tanger, l’irrésistible attraction du rocher noir. Tournent vautours autour des harragas, qui brûlent leurs papiers pour n’avoir que leurs corps à jeter aux flots de la liberté, qui s’entassent et s’écrasent dans les barques de fortune, qui s’ensorcèlent et s’endorment au chant de l’invisible Camarde. Luisent au clair de lune les destinées naufragées. L’Europe à portée de main s’évanouit dans son mirage. « Leur raison de vivre est en même temps leur raison de mourir » (Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe). Ils vivent et meurent d’illusions fatales. « S’effondrent les rêves / S’écroulent les liens avec fracas / Comme se brisent les arbres sans racines » (Fatima Chbibane) quand sombre la patera.

Le TAS ou l’atavique esprit de résistance (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Mardi, 10 Décembre 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Paris. 18 Novembre 2019. Un ami de toujours m’informe par courriel de la victoire de l’équipe de football de deuxième division TAS à la finale de la Coupe du Trône face à la Hassania d’Agadir de première division. Contingence insignifiante à l’échelle mondiale, sacre historique pour les marocains. Les souvenirs d’enfance remontent volcaniquement à la surface. Le terrain d’Al-Hofra (le trou) surplombe l’école franco-musulmane. L’intitulé évite toute référence à la marocanité pour prévenir d’éventuelles contaminations nationalistes. Le lexique colonial, confessionnaliste à souhait, d’un côté les chrétiens, de l’autre côté les musulmans, ressuscite la nostalgie des croisades. La raison religieuse ne se discute pas.

Difficile d’imaginer à l’époque une cité plus surréaliste que les Carrières Centrales. Les bidonvilles labyrinthiques accueillent, dans la spontanéité solidaire, les ruraux proches et lointains. Les ruelles plongées dans la boue transforment la marche en acrobatie périlleuse. Les merveilleux patchworks de couleurs, les costumes ethniques, au milieu des djellabas noires et des haïks blancs, révèlent les provenances.

Zainab Fasiki* La révolution des mœurs par l’art (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 07 Novembre 2019. , dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

 

La bande dessinée de Zainab Fasiki s’intitule Hshouma, mot-clé qui clignote, depuis des siècles, dans les cerveaux marocains comme une alerte culpabilisante. Une machine morale qui broie d’avance toute résistance. Le livre, rouge et noir, indocile et libertaire, se décline comme un blog réfractaire, un graff’zine pamphlétaire. L’esprit soixante-huitard souffle sur les slogans ravageurs. Le message se condense dans sa métaphore. L’image émoustille et scintille comme un sémaphore. Les slogans, les aphorismes, les fragments livrent l’insoutenable vécu dans sa crudité liberticide. Dans cette sémiotique minimaliste, le signe et le signal se répandent en écho. Le cri se fait symbole. La candeur apparente cache une ambition désarmante. Zainab Fasiki veut, à l’instar du poète Arthur Rimbaud, que son dessin soit plus qu’un dessin, qu’il soit catalyseur de révoltes salutaires et locomoteur d’une libération des mœurs, transformateur de la société et transfigurateur de la vie. Qu’il soit une onde de choc, qui délivre les âmes malades de leur tourmente héréditaire.

Eve en liberté Peintures Elisabeth Bouillot-Saha Textes Mustapha Saha

Ecrit par Mustapha Saha , le Mardi, 08 Octobre 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Au-delà des infériorisations exégétiques du phallocratisme triomphant après l’âge de bronze, il faut retenir d’Eve, mère de l’humanité, sa signature ontologique, sa marque étymologique significative de la vie dans ses multiples significations. Depuis plusieurs millions d’années, la conscience humaine se forge dans la contemplation des merveilles de la nature, imagine la volonté secrète qui les façonne sous forme d’œuf cosmique. L’art anthropomorphise cette entité indéfinissable sous forme de Déesse Mère, réponse globale à son intelligence intuitive de la genèse de la Terre et de l’Univers, du mystère de l’existence, de l’énigme de la vie. Cette entité totale est conçue comme principe créateur du monde, sorti du néant, aux commencements des temps. L’art africain lui donne sa première incarnation dans la matière, sa première visibilité, sa première présence identifiable à une génératrice des origines, androgyne, procréatrice de l’incommensurable énergie. Sa sacralisation procure aux artistes-chamanes leur statut de messagers de l’inaccessible, d’intercesseurs de l’invisible, d’interprètes de l’ineffable. Le divin s’élabore dans le silence de l’art avant d’inspirer le verbe qui le nomme. Les premiers temples sont des grottes, des cavernes, des spélonques, des abris souterrains à l’écart du vacarme.

Le Bâton d’Euclide. Pouvoir politique et liberté de création (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Jeudi, 26 Septembre 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

La citation d’Euclide, « En géométrie, il n’y a pas de chemin réservé aux rois », au-delà de son contexte particulier d’une relation légendaire entre un philosophe libre de toute entrave et un monarque omnipuissant, omniprésent, qui entendait tout contrôler, tout surveiller, tout régir, les affaires publiques et les mœurs privées, pose la problématique des rapports forcément conflictuels, pour ne pas dire aporétiques, entre la liberté de création, qui implique une émancipation totale de l’esprit et du comportement de toute emprise institutionnelle, et l’obéissance sociale exigée par le pouvoir établi. Euclide signifie à Ptolémée qu’il a beau être le maître du monde, il ne peut avoir aucune influence sur la science, la poésie, l’art, parce ces univers échappent à son petit monde. Les muses fécondatrices du génie humain choisissent rarement les hommes de pouvoir pour inséminer leur inspiration. Devant la création artistique, littéraire, scientifique, tous les humains sont égaux, ne les distinguent que la qualité singulière de leur passion et leur obstination à lui donner vie.