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Roman

Infini, L’histoire d’un moment, Gabriel Josipovici

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 05 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Quidam Editeur

Infini, L’histoire d’un moment, janvier 2016, trad. anglais Bernard Hoepffner, 164 pages, 18 € . Ecrivain(s): Gabriel Josipovici Edition: Quidam Editeur

 

« La racine du mot inspiration est le souffle, a-t-il dit, et toute la musique est faite de souffle. Si j’ai donné quoi que ce soit à la musique, a-t-il dit, c’est lui rendre la conscience de l’importance de respirer, de la respiration. On l’appelle ruach en hébreu, et avec ce ruach Dieu a créé le monde et avec ce ruach Dieu a créé Adam, et c’est ce ruach qui nous fait vivre et aussi qui fait de nous des êtres spirituels ».

Infini est le roman d’un compositeur de notre temps, le portrait d’un musicien, Tancredo Pavone, révélé par Massimo, son ancien homme de confiance, son majordome. On découvre sa vie et sa musique, ses musiques, ses écarts, ses amours, ses envolées, ses passions – Purcell mais aussi Bach et Mozart, leurs petites oreilles écoutaient les sons intérieurs et pas les sons extérieurs – ses fictions sonores et ses frictions musicales – Schoenberg était un vrai musicien, a-t-il dit, mais il a été un désastre pour la musique. Schoenberg, a-t-il dit, a ramené la musique cinquante ans, sinon cent ans en arrière. Pavone compose au cœur de l’Europe, entre Londres, Monte-Carlo, Paris et Vienne, au centre de cette Europe qui vibre, puis se désaccorde dès les années 30 en Allemagne puis en Italie, alors il choisit la Suisse comme ligne de fuite.

A la table des hommes, Sylvie Germain

Ecrit par Zoe Tisset , le Vendredi, 04 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Albin Michel

A la table des hommes, janvier 2016, 262 pages, 19,80 € . Ecrivain(s): Sylvie Germain Edition: Albin Michel

 

« Le porcelet ne la quitte plus, il vient se frotter contre ses genoux. Elle déboutonne son gilet, ouvre sa chemise, dégage un de ses seins, elle prend le goret dans ses bras, et l’allaite ».

Etonnant ce premier chapitre où nous sommes dans « la peau » d’un porcelet affamé, venant de naître et fuyant la guerre. Tout est alors sensations, instinct, survie. L’homme moderne a oublié qu’il était aussi un animal, l’homme d’aujourd’hui a falsifié la nature, elle se rappelle à lui dans le dénuement.

« Comme auparavant auprès de la daine, le goret aime à paresser, à ruminer la jouissance d’être en vie, d’appartenir à la terre, de respirer l’espace, de faire peau avec les éléments, chair avec le monde ».

Dans ce livre, le porc vaut mieux que l’homme, brutal, aigri, incapable de vivre avec ses congénères.

Mrs. Bridge & Mr. Bridge, Evan S. Connell

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 03 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Belfond

Mrs. Bridge & Mr. Bridge, Belfond Vintage, trad. américain Clément Leclerc & Philippe Safavi, janvier 2016, 330 pages, 16 € & 432 pages, 16 € . Ecrivain(s): Evan S. Connell Edition: Belfond

 

Evan S. Connell (1924-2013) a publié une vingtaine de livres, principalement des romans, plus des nouvelles, de la poésie et des essais, dont aucun n’avait eu les honneurs de la traduction en français jusqu’à cet hiver, moment où les éditions Belfond, dans leur très bonne collection Vintage, ont eu l’excellente idée de publier le diptyque parfait Mrs. Bridge (1958) et Mr. Bridge (1969). Ces deux romans, surtout le premier, font l’objet d’un culte Outre-Atlantique, et arrive l’opportunité de juger sur pièce ; autant l’affirmer haut et clair : ceci est un double chef-d’œuvre, et peu importe qu’il soit accessible si tard en contrées francophones.

Ces deux romans racontent l’histoire d’un couple appartenant à la bonne bourgeoisie bien pensante de Kansas City durant les années trente et le tout début des années quarante ; Mrs. Bridge adopte le point de vue d’India Bridge, Mr. Bridge, celui de Walter Bridge. Autant dire que les amateurs d’aventures extraordinaires peuvent passer leur chemin, car Connell semble avoir atteint le Nirvana littéraire voulu par Flaubert, cette écriture « sur rien ». Dans ce diptyque, rien d’extraordinaire ne se produit, aucun événement ne vient véritablement perturber la vie de Mrs. et Mr. Bridge, si ce ne sont ceux afférents à une vie de famille dans une ville moyenne du cœur des Etats-Unis, sur les rives du Missouri.

La poupée de Kafka, Fabrice Colin

Ecrit par Anne Morin , le Jeudi, 03 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Actes Sud

La poupée de Kafka, janvier 2016, 259 pages, 20 € . Ecrivain(s): Fabrice Colin Edition: Actes Sud

 

L’histoire de la poupée de Kafka repose jusqu’à la fin sur un malentendu, des faux-semblants. Des mésententes, ou des rencontres esquissées, ratées, avortées d’un père, Abel Spieler, trop souvent absent, distrait ou au contraire trop pesant, et de sa fille, Julie, autodidacte, volontaire, intrépide, vivante, en quête désespérément d’un point d’accroche, d’un accord avec ce père enseignant, séducteur impénitent, vivant dans les traces de Kafka dont il connaît tous les tours et détours, les ombres et les lumières, les faux jours de la personnalité :

« Quelle que soit la véhémence avec laquelle le professeur s’en défendît, le saltimbanque Kafka, le funambule, le déséquilibriste, avait toujours occupé une place à part dans son cœur, dédaignant querelles et piètres batailles, planant en souverain au-dessus des oriflammes littéraires » (p.30).

Elle, Julie, se réfère le plus souvent aux aphorismes de Zürau, son père au Journal, au Procès, à La Métamorphose (p.155). Curieusement (?) Le Château où se perd la trace de Kafka, de son côté le plus suspendu, en suspens, s’il n’est pas cité une seule fois, est partout présent et se révèle enfin dans le délire de Julie :

Ce que j’appelle jaune, Marie Simon

Ecrit par Frédéric Aribit , le Jeudi, 03 Mars 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Léo Scheer

Ce que j’appelle jaune, janvier 2016, 204 pages, 18 € . Ecrivain(s): Marie Simon Edition: Léo Scheer

 

On n’a pas idée du courage qu’il faut parfois pour écrire un livre. Il serait si simple de renoncer, de retourner à la vie comme elle va, au métro, aux plateaux télé, à la boxe ordinaire des jours qui passent. Laissez tomber, conseil d’ami, on vous le serine si souvent. Mais vous vous obstinez, vous tenez bon. Et sueur, larmes, nuits blanches, le livre enfin se fait. Et vous voilà délivré.

De délivrance en effet, il est beaucoup question avec Marie Simon. Car c’est tout un incendie qui couve, jaune, en ce fétu de paille : fœtus omniscient qui raconte la mère qui le porte, jaune d’œuf plus bavard qu’une poule et qui, de chapitre en chapitre, invente celle qui s’appellera Maman, l’accompagne durant les quelques mois de gestation commune, l’abrite dans sa tendresse utérine des violences infinies du monde. Et la libère finalement des nombreux traumatismes qui grossissaient en elle depuis sa propre enfance, en la faisant à son tour, bébé démiurge, advenir à elle-même. Juste retour des choses : les cris, et puis l’écrit.