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Roman

Dolmancé, Thibault Biscarrat

Ecrit par Philippe Chauché , le Samedi, 20 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres

Dolmancé, éd. Abordo, octobre 2015, 148 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Thibault Biscarrat 

 

« Ma vie ne fut qu’éclat, abîme, au cœur de la toile, derrière ces longues draperies qui séparent notre regard de ce dernier royaume. Ma vie n’est qu’une prière pour un Dieu absent ou non révélé ».

Dolmancé est un livre minuscule, une arme légère prête à servir, une grenade littéraire qui ne demande qu’à être dégoupillée, nourri du sang littéraire de Sade et Lautréamont. Les deux écrivains du risque absolu hantent les hauteurs de ce roman. Dolmancé est une aventure littéraire des sommets, des aiguilles arides, des précipices, du déséquilibre, de l’essoufflement où le lecteur se risque à chaque page. Dolmancé, au talent de diamant brut, semble la proie d’une frénésie, d’un mystère, est insaisissable, ils sont légion à en témoigner et le livre en porte les traces acérées : ses femmes, la Consolatrice, le journal intime d’Emeline, et le carnet de Dolmancé, cette colonne vertébrale du roman aux éclats tranchants comme des poignards.

« J’assigne au lieu des vocables, des phonèmes, j’assigne au temps une nouvelle grammaire. Mon présent est un futur à l’abandon : organique pensée de la matière, humus, corps, viscères que j’offre aux saisons ».

Jeunes loups, Colin Barrett

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Vendredi, 19 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Rivages

Jeunes loups, février 2016, trad. anglais (Irlande) Bernard Cohen, 264 pages, 21 € . Ecrivain(s): Colin Barrett Edition: Rivages

 

Recueil de sept nouvelles, Jeunes loups (Young skins, selon le titre original) colle aux basques de jeunes irlandais qui traînent leur mal de vivre dans une petite ville imaginaire de la verte Érin.

Le parti pris de Colin Barrett est clair et net : des tranches de vie brutes de décoffrage, quelques rares repères dans l’histoire de ces antihéros, pas de chute inattendue. On les suit une nuit, quelques jours, rarement plus.

Des hommes, jeunes, chômeurs ou employés à de petits boulots, tous ou presque accros à l’alcool, aux filles, parfois à la drogue qu’ils consomment ou vendent, aux médicaments pour soulager leurs souffrances physiques ou stabiliser leurs sautes d’humeur, leurs maux de tête d’après biture.

Des hommes qui subissent avec un désarmant naturel le cours des événements, qui ne songent guère à se révolter, quitter leur bled aux multiples pubs, tant ils semblent formatés tout autant génétiquement que culturellement à une existence dénuée de sens. Résignés, en dépit d’une colère accumulée et que l’on sent toujours prête à exploser, mais qui se dilue dans une acceptation fataliste ou qui, lorsqu’elle explose, le fait de manière parfaitement aberrante et pulsionnelle.

Plateau, Franck Bouysse

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 18 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, La Manufacture de livres

Plateau, janvier 2016, 301 pages, 18,90 € . Ecrivain(s): Franck Bouysse Edition: La Manufacture de livres

La Cause Littéraire avait aimé Vagabond, adoré Grossir le ciel de Franck Bouysse. Néanmoins, Plateau marque un basculement dans l’œuvre en construction de cet auteur. Franck Bouysse atteint ici une maturité, une puissance, une économie d’écriture qui en font désormais un des tout meilleurs écrivains français.

Si le cadre de son roman n’a pas vraiment changé, on est en Corrèze sur le plateau de Millevaches, il perd désormais sa fonction de décor pour devenir un personnage à part entière, écho tellurique permanent à la solitude et la douleur de vivre des personnages, nourrissant leur détresse, distillant à coups de ciels noirs, de vents mauvais, de pluies agressives, l’infini malheur de vivre des quelques êtres désespérés qui peuplent cette histoire. Le Plateau est vivant, déroutant, mais il porte la mort en lui – éventuellement sous la forme incarnée d’un mystérieux Chasseur rôdant dans les bois, élément même des forces en œuvre dans cette partie du monde.

« Il est une ombre sur le Plateau, un germe sous un tégument, un murmure porté par le vent qui courbe à peine l’échine des herbes.

Imago prêt à toutes les mues ».

Tarédant Sous protectorat, Ami Bouganim

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 17 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Maghreb

Tarédant Sous protectorat, Matanel Foundation Avant-Propos, novembre 2015, 269 pages, 20,95 € . Ecrivain(s): Ami Bouganim

 

Tarédant est une ville imaginaire, à la fois détachée du Maroc et rattachée à ce pays, où vit une population juive en exil – physique et moral –, et de ce fait, aux traditions particulières, à la fois sur et sous-cultivée, « partagée » en deux clients principaux : les courtiers et les aliénés, chacun pouvant échanger avec l’autre avec facilité, en fonction de l’humeur des habitants qui se joue au gré des vents.

Ceux-ci, gouvernés par un prince de retour de contrées plus ou moins lointaines, se défient en joutes oratoires pouvant atteindre – et même dépasser – vingt heures : « L’entrevue entre les deux personnages dura environ vingt-quatre heures. Ils échangèrent des invectives dans la meilleure des traditions rédanaises et il va sans dire que celles de Brave-Vent – le prince – l’emportèrent par leur richesse, leur verdeur et leur pertinence sur celles, plutôt mièvres du médecin. Puis ils se provoquèrent en toutes les langues qui se pratiquaient sur la presqu’île, retenus l’un et l’autre par les riverains de la pointe scandalisés par le sans-gêne grec de l’un et la morgue gauloise de l’autre. Puis ils livrèrent tous les duels qui se pratiquaient dans le monde pour éviter de s’entretuer. Puis ils ouvrirent une mémorable bataille de cartes qui se termina par la ruine du médecin et son endettement » (p.24).

Bombay Girl, Kavita Daswani

Ecrit par Patryck Froissart , le Mardi, 16 Février 2016. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Editions de Fallois

Bombay Girl, août 2015, trad. américain Danièle Mazingarbe, 253 pages, 20 € . Ecrivain(s): Kavita Daswani Edition: Editions de Fallois

 

Voilà un roman qui ouvre une fenêtre inhabituelle sur la société indienne, puisque l’histoire se déroule de nos jours dans les milieux ultra-huppés de la minorité privilégiée que constituent les grandes familles affairistes de l’entreprise capitaliste multinationale tenant le haut du pavé dans la mégapole de Bombay, détenteurs de fortunes aux origines parfois douteuses, voire délictueuses.

Tout Bombay savait comment Dipo gagnait sa vie, mais tout le monde s’en moquait. Ce qui comptait, c’était que Dipo soit affreusement riche…

Dans ces hautes sphères, l’empire financier de la famille Badshah occupe une place enviée. C’est pourquoi l’annonce que fait publiquement le patriarche fondateur de la compagnie Badshah Industries retentit comme un coup de tonnerre dans le ciel doré de ce Bombay où se côtoient et évoluent, loin des bidonvilles, journalistes, vedettes de Bollywood, brasseurs d’affaires, multimillionnaires, banquiers, proxénètes, escrocs à l’affût : le grand-père, détenteur des clés de l’empire, décrète qu’aucun de ses trois fils n’héritera de l’affaire, laquelle reviendra à celui de ses petits-enfants qui saura lui proposer un projet conséquent de nature révolutionnaire susceptible d’apporter à l’affaire familiale très prospère de nouvelles perspectives de développement.