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Les Livres

La France contre les robots, Georges Bernanos

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 11 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Le Castor Astral

La France contre les robots, avril 2015, 247 pages, 18 € . Ecrivain(s): Georges Bernanos Edition: Le Castor Astral

 

Une phrase, croisée au détour d’un recueil de citations, suffit parfois à donner envie de lire l’œuvre dont elle est extraite : On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. De cette phrase percutante, d’une actualité troublante, on apprend qu’elle est signée Georges Bernanos (1888-1948) et qu’elle est extraite d’un essai intitulé La France contre les Robots (1947). A ceci près que ce texte écrit en 1945 n’était plus disponible couramment ; grâces soient donc rendues au Castor Astral pour cette réédition bienvenue, des particularités de laquelle il sera question plus loin, dû aux textes inédits qu’elle contient.

Dès les premières pages, Bernanos, qui écrit alors que la victoire alliée se dessine de plus en plus nettement, met en garde : la Révolution doit se faire, peu importe les conséquences, car « si nous pensions que ce système est capable de se réformer, qu’il peut rompre de lui-même le cours de sa fatale évolution vers la Dictature – la Dictature de l’argent, de la race, de la classe ou de la Nation – nous nous refuserions certainement à courir le risque d’une explosion capable de détruire des choses précieuses qui ne se reconstruiront qu’avec beaucoup de temps, de persévérance, de désintéressement et d’amour ».

Fatras du Soi, fracas de l’Autre, Stéphane Sangral

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 11 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Editions Galilée

Fatras du Soi, fracas de l’Autre, avril 2015, 224 pages, 18 € . Ecrivain(s): Stéphane Sangral Edition: Editions Galilée

 

Matière et révolte

Laisser entendre ce que dessine le dernier livre de Stéphane Sangral qui me questionne, m’encourage à écrire ces quelques lignes. Et même si pour beaucoup je vois que je suis peut-être partial dans cette lecture, rien ne m’empêche de parler de la couleur idéologique qui rend l’accès de ce livre complexe et intéressant – comme couleur, je prendrais le noir. Nonobstant, j’ai fini par trouver un titre à ma chronique, titre qui résume selon moi le projet éditorial de l’ouvrage. Car il s’agit bien de trouver comment un monde sans dieu qui est totalement livré ici à un « matérialisme-réalisme », comment donc on peut parler de militarisme pour en faire la critique, de la connaissance de dieu pour le nier ou encore de la judéité d’un juif tunisien d’origine, livré à une profonde révolte qui confine dans le livre à de longues dissertations innovantes et inhabituelles. Un exemple :

J’ai peur d’avoir besoin que le Néant, tel un dieu, me prenne dans ses bras pour apaiser ma peur d’avoir besoin que le Néant, tel un dieu, me prenne dans ses bras pour apaiser ma peur du néant.

Lisbonne mélodies, João Tordo

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 10 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Actes Sud

Lisbonne mélodies (O Ano Sabático), mai 2015, traduit du portugais par Dominique Nédellec, 240 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): João Tordo Edition: Actes Sud

 

Malgré son titre français, ce n’est pas de la ville de Lisbonne que nous parle ce roman, mais de musique et de création, et encore plus d’identité. Cela commence avec le retour au pays d’un musicien de jazz qui s’est découvert sur le tard une passion pour la contrebasse. Ses armes de jazzman, il les a faites à Québec où il a aussi appris la dépendance à l’alcool. Après quelques années où il s’est perdu lui-même, laissant derrière lui musique et amours rêvés, Hugo revient à Lisbonne, accompagné de son encombrante contrebasse dont il a juré qu’il n’en jouerait plus. Mais revenir là où on ne l’attend pas, où il n’a plus vraiment de place, c’est prendre des risques impossibles à imaginer. Comme celui de rencontrer son double, qui, lui, semble avoir « réussi » : le pianiste de jazz Luis Stockman, qui au cours d’un concert va le trahir, alors qu’ils ne se connaissent pas, en donnant à entendre la mélodie, le thème secret qui est comme l’âme du contrebassiste. Un thème qui le hante et qu’il n’a jamais pu achever et que l’autre lui a « volé ». Un autre qui pourrait être le frère jumeau qu’il aurait pu avoir mais qui n’a jamais vécu… Un frère par les yeux duquel il va apprendre ou réapprendre à voir le monde. La vie. Sa vie.

Ecrire sa vie. Du pacte au patrimoine autobiographique, Philippe Lejeune

Ecrit par Arnaud Genon , le Mercredi, 10 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Ecrire sa vie. Du pacte au patrimoine autobiographique, éd. du Mauconduit, mai 2015, 128 pages, 13 € . Ecrivain(s): Philippe Lejeune

Quand le théoricien se raconte

C’est incontestablement à Philippe Lejeune, « le pape de l’autobiographie », ainsi que certains le surnomment à raison, que l’on doit l’intérêt grandissant porté aux écritures de soi. Depuis 1975, date à laquelle il publia son célèbre essai intitulé Le Pacte autobiographique (Seuil, coll. Poétique), il n’a cessé de s’intéresser aux écritures autobiographiques et à offrir à ces textes que l’on méprisait jusqu’alors, l’éclairage et l’attention qu’ils méritent.

C’est son propre parcours que Philippe Lejeune décide de partager dans le premier des cinq textes qui composent le présent ouvrage. L’aventure intellectuelle qui est la sienne n’est pas simplement celle d’un théoricien qui a exploré les chefs-d’œuvre de l’autobiographie (Rousseau, Stendhal, Gide, Sartre, Leiris…) et en a inventé la « grammaire ». Philippe Lejeune, par l’intermédiaire du travail qu’il a mené sur l’autobiographie de son arrière-grand-père paternel, Les étapes de la vie, s’est peu à peu détaché du « canon littéraire » pour étendre ses recherches aux écritures ordinaires. La découverte du texte de Xavier-Edouard Lejeune, son aïeul, a aussi été l’occasion pour lui de s’aventurer sur les chemins de la critique génétique, c’est-à-dire l’étude des brouillons d’une œuvre, aventure que le troisième texte – « Du brouillon à l’œuvre » – relate et explique.

Bordeaux la mémoire des pierres, Jean-Michel Devésa

Ecrit par Theo Ananissoh , le Mardi, 09 Juin 2015. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Bordeaux la mémoire des pierres, Ed. Mollat, février 2015, 229 pages, 20 € . Ecrivain(s): Jean-Michel Devésa

C’est à la fois simple et complexe. Et réussi comme récit et comme atmosphère. François Lister, soixante-treize ans, prof de philosophie, revient à Bordeaux où il a grandi cinquante et un ans après l’avoir quitté. Lister est le fils unique de républicains espagnols réfugiés comme beaucoup d’autres en France dans les années d’après-guerre. Son père, engagé dans la lutte contre Franco, un « preux », est déjà mort quand sa mère et lui (il a alors six ans) arrivent à Bordeaux. A vingt-deux ans, précisément le 8 novembre 1962, Lister quitte… Quitte quoi exactement ? Bordeaux, oui, physiquement ; mais il y a plus. Pour lui, en effet, la pendule semble s’être arrêtée à cette date du 8 novembre 62. La veille, Julían Grimau, un dirigeant du Parti (communiste) infiltré dans l’Espagne franquiste a été arrêté. Il sera fusillé. Grimau aurait dû être dans Madrid en compagnie de Rosario Santiago, habile à jouer pour le Parti le rôle de compagne ou de maîtresse. Tombée malade au dernier moment, elle n’a pas pu fournir cet appui à Grimau. Rosario Santiago, qui réside à Bordeaux, est le grand amour de Lister, alors étudiant en philosophie. Mais Rosario vit corps et âme pour la cause ; elle est entièrement au service du Parti. Alors que Lister, lui, ne cesse de se poser des questions sur les stratégies et les décisions dudit Parti. Lister, c’est patent, est un observateur, pas un actif. En lui, l’amour ne se laisse pas aisément sacrifier, au point de le rendre très jaloux et soupçonneux quant aux liens exacts qu’entretiennent Grimau et Rosario.