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Les Livres

Survivre, Frederika Amalia Finkelstein

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 16 Août 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, La rentrée littéraire, L'Arpenteur (Gallimard)

Survivre, août 2017, 144 pages, 14 € . Ecrivain(s): Frederika Amalia Finkelstein Edition: L'Arpenteur (Gallimard)

 

« Je fais ce cauchemar de façon régulière depuis que j’ai vu la photographie sordide de la fosse du Bataclan. Quand je revois les corps troués, déchiquetés, abandonnés dans des positions humiliantes, quand je revois cette boucherie dans ma mémoire : j’ai la haine. Quand je revois le sang répandu sur le sol, un goût métallique, c’est comme si j’avais ce sang dans ma bouche, c’est comme si leur sang était mon sang, et de nouveau j’ai la haine ».

Survivre est un roman étourdissant, éblouissant, âpre, troublant, saisissant par sa force, sa rage, sa composition, un roman à l’écoute des morts. Ceux du Bataclan hantent ce roman inouï, comme ceux du 11 septembre nourrissaient celui tout aussi exceptionnel de Don DeLillo (1). Ces morts anonymes, puis identifiés, ces ombres transpercées, visages effondrés, ces corps mutilés, cette jeunesse sacrifiée, cette terreur qui s’immisce dans chaque regard, entre chaque page, font trembler Survivre, comme nous avons tremblé la nuit de ce crime contre nature, contre la vie, la pensée et la joie.

Méthode 15-33, Shannon Kirk

, le Mercredi, 16 Août 2017. , dans Les Livres, Critiques, Polars, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Méthode 15-33, mai 2017, traduit de l'américain par Laurent Barucq, 335 pages, 7,70 € . Ecrivain(s): Shannon Kirk Edition: Folio (Gallimard)

 

 

Elle a seize ans. Son ventre s’arrondit, il s’emplit de vie sous son nombril. Elle passe son temps à le perdre dans son laboratoire. Elle réfléchit, elle calcule, elle expérimente. Dans sa tête, tout est tellement différent. Ses émotions, elle les déclenche elle-même. La plupart du temps, elle ne ressent rien. Pas de joie et pas de peine, pas de peur, rien. Pas d’empathie, surtout pour l’homme qui, du haut de son visage ingrat et de sa psychopathie, la kidnappe devant son lycée. Toutes ses émotions, elle les garde bien au chaud pour les offrir à celui qu’elle mettra bientôt au monde. Ou pas. Tout dépendra du déroulement des choses, tout dépendra de son évasion. Ce n’est pas sa faute à elle, c’est la faute de ses cheveux blonds, de ses yeux bleus et de la vie qui pousse en elle. Lorsque l’homme la jette dans sa camionnette bordeaux, elle ne crie pas, ne pleure pas et ne se débat pas : tout ce qu’elle fait, c’est trouer l’homme de ses yeux perçants. L’homme a la peau grasse et les traits informes, il est idiot en plus d’être fou.

Maurice Barrès et le nationalisme français, Zeev Sternhell

Ecrit par Vincent Robin , le Vendredi, 21 Juillet 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fayard, Histoire, Israël

Maurice Barrès et le nationalisme français, Arthème Fayard Pluriel, 2016, 432 pages, 12 € . Ecrivain(s): Zeev Sternhell Edition: Fayard

 

Ce volumineux contenu est en réalité une réédition de l’étude menée à bien il y a déjà plusieurs décennies par l’historien Zeev Sternhell pour sa thèse de doctorat. Son travail universitaire avait ainsi été publié une première fois en 1972. C’est alors, grâce à une sorte de dédicace auto-élogieuse dans l’avant-propos de cette reparution que, restituant la parole à son ancien superviseur et conseiller (Jean Touchard) à la Fondation nationale des sciences politiques, l’historien de l’Université hébraïque de Jérusalem relate le gratifiant retour récolté à chaud par lui et son docte ouvrage : « Sternhell, vous m’avez convaincu, je vous soutiendrai ! ». Dans ce contexte et au cœur de cette épaisse réalisation effectivement, le recours au scanner millimétrique, irradiant à la fois le spectre du « nationalisme » de la IIIe République française et celui de Maurice Barrès mis en surimpression, renvoyait indubitablement à quelque pâleur ou à l’imperfection de nombreux traitements jusqu’alors appliqués à ces deux évocations souvent arrimées dans un rapide mécanisme fusionnel. Aussi bien alors, tout comme le démontre habilement Sternhell à travers le résultat de ses recherches, parce que les mots « Barrès » et « nationalisme » ne se seront jamais fondus dans l’équation absolue que suggérait leur approche coutumière, un tel ouvrage éclairant et démystificateur mérite-t-il que l’on redécouvre maintenant (surtout au temps politique actuel) son propos savamment nuancé et instructeur.

Une petite chose sans importance, Chroniques lunaires d’un garçon bizarre, Catherine Fradier

Ecrit par Marc Ossorguine , le Mercredi, 12 Juillet 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Au Diable Vauvert, Jeunesse

Une petite chose sans importance, Chroniques lunaires d’un garçon bizarre, 171 pages, 12 € . Ecrivain(s): Catherine Fradier Edition: Au Diable Vauvert

Il est autiste. De cet autisme que l’on nomme Asperger : celui qui épate les gens ordinaires (et fiers de l’être) qui n’y voient souvent qu’une monstruosité admirablement surprenante pour des scenarii de films ou de séries télé. Il s’appelle Sacha et suit sa mère au cœur du Congo, de la RDC, La République Démocratique du Congo, où celle-ci est médecin dans une organisation humanitaire. Sacha a quatorze ans. Il aime la précision et a compris depuis longtemps que les autres, enfants ou adultes, ne comprenaient rien, eux, à sa manière d’être.

Apprendre à vivre avec Asperger n’est pas le plus difficile. C’est avec les autres qu’il faut apprendre à vivre, et parfois les autres n’y tiennent pas vraiment.

Une chose qu’il connaît très bien, c’est la moquerie, celle que ni l’ignorance ni la peur ne suffise à expliquer. Il connaît bien aussi les décimales de pi, au-delà des cinq cents premières. Pas de meilleurs remèdes contre l’angoisse quand le monde devient trop hostile ou inquiétant que de se les réciter, mais aussi d’inventer une histoire, un conte, Conte de Pi, dont chaque mot compte de nombre de lettres correspondant aux décimales. Car un conte, pour d’autres que lui, c’est plus facile à mémoriser que des chiffres.

Des voix dans l’obscur, Françoise Ascal

Ecrit par France Burghelle Rey , le Mercredi, 12 Juillet 2017. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Des voix dans l’obscur, éd. Æncrages& Co, 2015, dessins de Gérard Titus-Carmel, 44 pages, 21 € . Ecrivain(s): Françoise Ascal

 

Le recueil de Françoise Ascal, Des voix dans l’obscur, accroche la lecture dès l’incipit par le neutre liminaire, un « ça » à la Giono, mimant « l’afflux des mots », mise en abyme du  travail de l’auteur.

Le texte à proprement parler commence par un hommage à la morte (la mère ?) dont la musique provient des répétitions de mots-outils et d’infinitifs. Ecriture au lyrisme discret qui entraîne à poursuivre la découverte poétique.

Alors, dans la confusion des pronoms, se forme l’idée d’un dédoublement comme souvent en provoque l’acte d’écrire (1). De ce fait, de ses bras à « elle », quand « j’écris pour me libérer de leurs songes / rejoindre les vivants », naît le « tu » prisé par la poétique contemporaine et qui accentue ici le mystère de l’énonciation.

De brèves strophes aux mètres libres allant jusqu’à prendre la forme de versets se multiplient de deux à six dans la page. Des vers courts y côtoient de longs paragraphes qui se lisent dans un seul souffle. La respiration se retient comme celle des morts qui rôdent : « est-ce que le morts parlent » ; il y a enfin la peur qui devient ombre quand se perd le nom.