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Les Livres

L’Homme coquillage, Asli Erdogan

Ecrit par Carole Darricarrère , le Lundi, 07 Mai 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Roman, Actes Sud

L’Homme coquillage, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, mars 2018, 208 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Aslı Erdoğan Edition: Actes Sud

 

En Turquie, on n’écrit pas avec le dos de la cuillère, fût-ce des romans, mais avec le talent farouche de ces écrivains qui avancent dans la vie comme en écriture le regard marqué au fer rouge et la langue scellée à leurs blessures, en suicidés de l’existence inaptes au bonheur souffrant d’un mal étrange que l’auteure nomme elle-même « la constipation de vivre » et pour lesquels la peau ne sera jamais synonyme de douceur.

Tranchant du corps du monde sur le terrain miné de la phrase, la somme de ces mots est plus qu’une histoire, celle d’une jeune-femme blanche, étrangère à elle-même en ce monde, proie forte sensible et seule. Amen corrosif de la différence, l’inconvénient d’être une femme dotée d’un esprit libre dans une société d’hommes (et il y a en beaucoup dans ce livre) nous fait ici violence. Posé là dans ce printemps monochrome loin très loin des îles Caraïbes, ce récit vaudou évoquant une sorte de courte saison en enfer sur une île censée vendre du rêve fait figure de bombe sur une étagère tant « (…) aux Caraïbes, qui peut dire où commence et où s’arrête le réel ? ».

Le Bal des Canotiers, Danièle Séraphin

Ecrit par Marie-Josée Desvignes , le Vendredi, 04 Mai 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Le Bal des Canotiers, Editions Complicités, août 2017, 366 pages, 23 € . Ecrivain(s): Danièle Séraphin

 

Le Bal des Canotiers est placé sous l’égide des Impressionnistes (Monet, Renoir), de la poésie avec Rimbaud et de l’art pictural avec les frères Van Gogh dont la correspondance parsème les presque 400 pages de ce très beau roman virevoltant et léger, au style très classique qui peut surprendre en ces temps d’expérimentation complexe en matière littéraire car il rappelle tout à la fois, entre réalisme et merveilleux, Maupassant (pour le cadre et le traitement des paysages) et, par son côté « contes de fée », l’univers décalé d’Amélie Poulain et celui de Tim Burton. C’est par le personnage de Céleste, gourmande et sensuelle diffusant ses fragrances de simplicité et de bonheur autour d’elle que l’on entre dans cet univers féérique. « Ainsi à la verte coulée d’une colline d’Auvers-sur-Oise, une maison à la noblesse fanée, aux volets décapés par le siècle, abritait cette tendresse mêlée. (…) Sous la gloriette accablée d’un chèvrefeuille et d’un rosier se cachaient une table et deux chaises rouillées. C’était là que Céleste goûtait le mieux ce qu’elle avait accompli : son œuvre palpitante et tressée, de feuillages, de lianes, de branchages et de félicités… Un vélo dans la rue grinçait. Le clocher de l’église tintait. La chatte assise en face d’elle lui contait sa journée avec le pli des yeux… ».

Roman noir, Agnès Michaux

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Vendredi, 04 Mai 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Joelle Losfeld

Roman noir, avril 2018, 236 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Agnès Michaux Edition: Joelle Losfeld

 

Le roman d’Agnès Michaux est à la fois un roman du voyage, du dépaysement, de l’ailleurs, et un roman sur l’identité, son usurpation et les mensonges et faux-semblants que cela provoque. Que faire quand on se fait prendre à son propre piège d’avoir usurpé l’identité d’une célèbre romancière, alors qu’on n’en est qu’à l’écriture de son deuxième roman ? Qui est cette Célia Black, romancière à succès habitant l’île de Pondara, où se rend Alice Weiss pour un séjour qu’elle espère inspirant pour la rédaction de son nouveau manuscrit ? Un peu par jeu au début, et pour échapper aux marques d’intérêt insistantes d’un passager du même avion, la Blanche Alice prendra peu à peu la place de la Noire Célia, les yeux cachés derrière des lunettes de soleil aux verres noirs ou rouges parce qu’elle souffre d’achromatopsie. Avec tous les dangers que cela comporte.

Drôle d’univers que celui de la villa L’Acheloos tenue par Baby et Erythie, qui accueille Alice, et du Grand Hôtel des Cinq-Mondes, où Amour et Princess logent. Une typologie de l’espace divise l’île en Terramar, la zone de transit populaire, et Pondara, la zone touristique de luxe. Agnès Michaux aime les mots des descriptions imagées :

Le Tonneau magique, Bernard Malamud

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 03 Mai 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Nouvelles, Rivages

Le Tonneau magique, avril 2018, trad. américain, Josée Kamoun, 265 pages, 21 € . Ecrivain(s): Bernard Malamud Edition: Rivages

 

Quel secret Bernard Malamud détient-il pour être capable de rendre passionnante la vie de gens ordinaires, campés dans leurs vies ordinaires ? Des épiciers souvent – on se rappelle avec émotion Le Commis–, divers petits commerçants, petites gens, dans la pauvreté, traversent un épisode de leur vie. Les nouvelles de ce recueil font penser fortement aux contes du Shtetl, vieille tradition des Juifs d’Europe Centrale, à mi-chemin de la déploration et du mystique, voire du fantastique. Plus étonnamment, ces nouvelles ont irrésistiblement quelque chose de l’évidence, de la flagrance de Raymond Carver. Il faut imaginer peut-être un Carver juif !

Des petits commerces de quartiers, boulangeries, épiceries, confiseries, ateliers de tailleurs tenus par des gens pauvres comme Job, jusqu’aux palais improbables ou aux rues de Rome, Malamud tisse sa toile en 13 nouvelles qui, si elles nous mènent en des fictions diverses, n’en déroulent pas moins inlassablement les thèmes récurrents, obsessionnels de l’auteur de L’Homme de Kiev : angoisse, malheur, culpabilité, effarement devant la vie, autant de thèmes prégnants dans la littérature juive d’Amérique et d’ailleurs.

Et leurs bras frêles tordant le destin, Jean Le Boël

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 03 Mai 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Editions Henry

Et leurs bras frêles tordant le destin, 2017, 81 pages, 10 € . Ecrivain(s): Jean Le Boël Edition: Editions Henry

Dans son « Avant-Dire » qui constitue un « Bréviaire de poète », Jean Le Boël met les pendules à l’heure au sujet de sa conception et de sa réception de la poésie : « (…) qu’on me laisse récapituler le peu qui régit mon écriture et que je n’impose qu’à celle-ci ». Sa poésie, maintenue dans son envergure d’altitude et d’exigence, respectera une langue française riche de sens et rigoureusement élaborée, dans une entreprise de curiosité ouverte sur un perpétuel étonnement et un goût de l’effort tenu, puisque « la grandeur du poème ne tombe pas du ciel ». L’Humain est bien au centre de la Voix poétique, altruiste et bienveillante dans le partage des émotions dont elle fait vibrer nos regards, l’univers, nos égards. « Si ma poésie est lyrique », écrit le poète-éditeur Jean Le Boël, « oscillant entre le souci de la plus grande simplicité et l’évidence du mystère, l’émotion qu’elle vise n’est pas la mienne exhibée, mais la redécouverte par le lecteur de la sienne enfouie ». La difficulté de la poésie réside bien dans cette oscillation dont peu de poètes trouvent l’équilibre, la juste mesure créative, et dans cette donation du sens de cœur à cœur ouverts sur les autres, soi, le monde. L’échange s’inscrit comme condition de possibilité du poème : « Je me suis toujours pensé à l’image des autres ; l’empathie m’est naturelle avec les vivants, avec les disparus, même les plus antiques, surtout si j’en entends la parole ». Cet échange prend corps dans une « maîtrise de la parole » qui associe l’Autre par « l’écoute » et « la proximité » :